''Cinéma, mon amour'' de Driss Chouika: QUEL(S) PUBLIC(S) POUR QUEL(S) CINEMA(S) ?

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D’une époque où nous étions des “publics en quête de films“ nous sommes passés à une époque de “films en quête de publics“.

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« Le public a un a'ppétit pour tout ce qui touche à l’imaginaire, tout ce qui est éloigné de la réalité et que la création nous permet ». Steven Spielberg.

Steven Spielberg a sans doute raison dans son affirmation, en général. Le seul point d’interrogation réside dans le fait que le public n’est pas uniforme. Le public est multiple, dans le sens qui a poussé les sociologues et chercheurs à répertorier le public du cinéma en plusieurs catégories. Ainsi, le cinéma a des publics qui varient selon la variété des genres, écoles et styles cinématographiques. En général, il y a le grand public, avec ses diverses catégories socio-professionnelles, et le public des cinéphiles. En tout cas, le cinéma étant un art de partage en public, il permet des lectures, jugements et commentaires sans frontières bien définies entre les discours érudits ou profanes. En plus, avec le développement des moyens technologiques, une large part de la culture individuelle et collective est aujourd’hui largement cinématographique. La culture d’aujourd’hui déborde des multiples écrans qui nous quadrillent partout pour s’immiscer dans notre vie quotidienne.

La sociologie des publics et de la réception est l’une des branches les plus en vue de la sociologie du cinéma. La diversité des publics du cinéma et de leurs pratiques varient selon les conditions de la fréquentation des lieux de projection et de consommation des films dans chaque pays. En ce qui concerne le Maroc, nous avons été pendant longtemps, du fait de la colonisation, des consommateurs d’images produites ailleurs et qui ne concernent nullement notre culture et notre mode de vie. Ce n’est qu’avec l’indépendance que nous avions commencé à produire, pregressivement, nos propres images. A partir de là, nous avions commencé réellement à nous constituer en publics de cinéma, puis en cinéphiles. Et, depuis, nous avons évolué sur un sable mouvant. Nous sommes passés, en gros, d’une époque où nous étions des “publics en quête de films“ à une époque marquée par la présence de “films en quête de publics“. 

DES PUBLICS EN QUETE DE FILMS 

Jusqu’aux années 80, la distribution et l’exploitation étant dominées par les compagnies étrangères, nous étions - nous les marocains - à la recherche de films qui s’adressent à nous, qui parlent nos langues et qui reflètent nos manières de vivre. A défaut, nous avons été longtemps obligés de consommer les films étrangers qu’on nous impose. Puis, au fur et à mesure, les cinéphiles se sont organisés en ciné-clubs pour pouvoir voir et échanger à propos de films particuliers proposés par des circuits en dehors de la distribution commerciale. Quant aux diverses catégories du grand public en quête de films marocains ou de films en dehors des réseaux dominants, ils vont devoir attendre longtemps avant de voir pointer, progressivement, quelques films marocains que quelques distributeurs et exploitants ont commencé à programmer dans les salles de cinéma.

Petit à petit, avec l’évolution de la production nationale, les films marocains ont conquis de larges catégories des publics du cinéma. C’était l’âge d’or du cinéma au Maroc. La fréquentation des salles de cinéma avait atteint le chiffre record de plus de 40 millions d’entrées par an; et le cinéma national a pu s’imposer dans la programmation régulière des salles de cinéma. Malheureusement, plusieurs nouvelles conditions, dont la multiplication des chaînes satellitaires, les nouvelles technologies de diffusion, le piratage..., ont fini par réduire, en quelques années, les publics du cinéma à une peau de chagrin.

DES FILMS SANS PUBLIC

Ainsi, nous avons vécu une situation bien paradoxale. Nous nous sommes retrouvés avec une production cinématographique nationale en développement constant, passant de la production de quelques films à une vingtaine de films par an, alors que le public désertait progressivement les salles de cinéma qui fermaient à une allure alarmante. Nous sommes ainsi passés, en quelques années, de 250 salles de cinéma à une trentaine actuellement !

Les modes de consommation des films ont radicalement changé, alors que la production, du fait de la continuité du Fonds d’Aide à la production nationale, suit encore son cours normal, comme si de rien n’était. Cette situation paradoxale vient du fait que les producteurs ne sont pas tenus à la gorge par une nécessité de rentabilité, du moment que le remboursement de l’Avance sur Recettes demeure purement fictive et formelle, et que les films sont, dans leur majorité, produits en totalité par la cagnotte de l’Avance sur Recettes.

Aujourd’hui, nous nous retrouvons donc avec des films sans public, dont certains ne sortent même pas dans les salles de cinéma, rangés dans leurs disques durs DCP, circulant juste dans quelques festivals qui les projettent souvent dans des conditions techniques non-professionnelles. Et quand ils sortent dans quelques salles, ils sont souvent enlevés de l’affiche avant la fin de la première semaine, faute de spectateurs. Quant aux ciné-clubs, n’en parlons pas, ils n’existent presque plus, à quelques exceptions près et qui ne sont actifs qu’occasionnellement !

Ce qui pousse à se poser sérieusement la question cruciale qui demande des réponses urgentes : jusqu’à quand allons-nous continuer à pratiquer la politique de l’autruche, évitant de voir les choses en face et chercher, en concertation avec les professionnels s’ils sont encore intéressés par leur profession (!), des solutions adéquates et rationnelles susceptibles de faire renaître et redynamiser le secteur cinématographique national. C’est le seul moyen de stopper son naufrage.

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