Cinéma, mon amour ! de Driss Chouika: ''LA VACHE'', UN FILM D’UNE GRANDE INTENSITE POÉTIQUE ET HUMAINE

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Le réalisateur iranien, Dariush Mahrjui, et sa femme, sont décédés des suites d'une attaque au couteau alors qu'ils séjournaient dans leur maison en Iran. En mars 2022, devant une salle comble, Mehrjui avait dénoncé publiquement la censure de l'État sur les films et l’activité culturelle en général. Il avait notamment déclaré : « Ecoutez-moi, je n'en peux plus. Je veux me battre. Tuez-moi, faites de moi ce que vous voulez, détruisez-moi, mais je veux mon droit »

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« Je ne fais pas de films directement politiques pour promouvoir telle idéologie ou tel point de vue. Mais tout est politique (...) Le cinéma est comme la poésie, qui ne peut prendre partie pour personne. L'art ne doit pas devenir un outil de propagande ». DARIUSH MEHRJUI. 

UN FILM PIONNIER DANS L’HISTOIRE DU CINÉMA IRANIEN

Présenté à La Mostra de Venise en 1971, puis au Festival de Cannes (Quinzaine des Réalisateurs), “La vache“ du réalisateur iranien Dariush Mehrjui, sorti en Iran en 1969, a été favorablement accueilli par la critique comme par les cinéphiles et le large public, et a récolté plusieurs prix dans des festivals prestigieux à travers le monde.

Le cinéma iranien, riche en diversité et en profondeur, a produit certaines des œuvres cinématographiques les plus émouvantes et provocantes. Parmi ces joyaux cinématographiques, "La Vache" se distingue comme un chef-d'œuvre de son réalisateur iranien Dariush Mehrjui. Le film a captivé les cinéphiles par son récit poignant, ses performances exceptionnelles et sa manière unique de transcender les frontières culturelles pour toucher le cœur de l'humanité.

Avant de plonger dans les subtilités de "La Vache", il est essentiel de comprendre le contexte artistique et culturel dans lequel Dariush Mehrjui a créé cette œuvre majeure dans l’histoire du cinéma iranien. Les années 1960 ont été une période de transition pour ce cinéma, avec un intérêt croissant pour des récits authentiques et une exploration plus profonde des réalités de la vie quotidienne en Iran. Avec ce film, Mehrjui a acquis le statut de pionnier du mouvement cinématographique iranien, connu depuis lors sous le nom de "Nouvelle Vague Iranienne". Il a bien cherché et réussi à rompre avec les conventions narratives traditionnelles et à donner une voix à des histoires simples mais hautement significatives et profondément humaines.

L’histoire du film est bien simple. Hassan, un villageois marié mais sans enfants, possède l’unique vache du village qu'il aime et chérit plus que tout. Mais, le jour où il a été obligé de quitter le village pour se rendre en ville, la vache engrossée meurt dans l'étable. Craignant la réaction de Hassan qu’ils savent très attaché à sa vache, les villageois cachent la vérité et vont lui dire, à son retour, que sa vache s'est enfuie. N’ayant pas pu supporter la perte de sa vache chérie, et sentant qu’il a perdu son statut social privilégié au sein de la communauté villageoise, Hassan plonge dans une psychose aiguë qui s’est rapidement développée en une assimilation maladive, se voyant lui-même dans la peau de sa vache, adoptant ses manières animales. Et toutes les tentatives de sa femme et des villageois échouent à le ramener à une vie normale...

Mais, au cœur du film "La Vache" réside la vache elle-même. Mehrjui utilise habilement cet humble animal comme une métaphore puissante. La vache devient le symbole de la simplicité, de l'innocence et de la pureté, des qualités qui se perdent souvent dans la complexité de la vie moderne. La vache devient une icône, représentant la connexion profonde entre l'homme et la nature, une connexion que la société moderne semble souvent négliger.

Le personnage principal, Hassan, est un paysan ordinaire dont la vie tranquille est perturbée par les événements extraordinaires qui secouent le village. L’acteur  Ezzatolah Entezami, déjà acclamé pour ses performances antérieures, apporte une profondeur émotionnelle et une humanité touchante à son personnage.

Si "La Vache" a été accueilli favorablement par la critique internationale, c’est grâce à sa narration innovante, sa direction artistique et son exploration profonde de thèmes universels. Le film, qui a remporté plusieurs prix, a consolidé la position de Dariush Mehrjui en tant que réalisateur de renom, qui ne cache d’ailleurs pas ses influences : « J'ai été grandement influencé par Ingmar Bergman et Michelangelo Antonioni ». Et, au-delà de son succès initial, "La Vache" est devenu l’un des films les plus emblématiques qui continue de résister à l'épreuve du temps.

QUÊTE UNIVERSELLE ENTRE RÉALISME ET POESIE

Sur le plan culturel, le film a été salué pour sa capacité à transcender les barrières linguistiques et culturelles. Avec très peu de dialogues, le film raconte une histoire universelle, basée sur la recherche de soi et la lutte pour préserver l'essence de la vie dans un monde en mutation, qui parle aux publics du monde entier. "La Vache" a ainsi contribué à élargir la reconnaissance internationale du cinéma iranien et à ouvrir la voie à d'autres réalisateurs qui ont cherché à raconter des histoires profondément enracinées dans leur culture, mais universellement compréhensibles.

Plus de cinq décennies après sa sortie, "La Vache" demeure l’un des piliers du cinéma mondial. Les cinéastes contemporains et les élèves des écoles de cinéma étudient encore son esthétique et sa forme narrative comme un exemple significatif de la façon dont le cinéma peut transcender les frontières géographiques et linguistiques pour toucher le cœur de l'humanité. La vision artistique de Mehrjui, qui allie réalisme social et poésie visuelle, a contribué à définir le langage cinématographique moderne.

"La Vache" de Dariush Mehrjui est bien plus qu'un simple film ; c'est une expérience cinématographique immersive qui transcende le temps et l'espace. La fusion magistrale de la simplicité rurale avec la complexité de la vie moderne crée une œuvre intemporelle qui résonne à un niveau profondément humain. Ainsi, si que le monde cinématographique continue d'évoluer, "La Vache" reste un constant rappel de la puissance du cinéma pour capturer l'essence même de notre existence. Ce film nous rappelle que, tout comme Hassan et sa vache, notre propre voyage à travers la vie est une quête universelle de vérité et de connexion sociale, susceptible d’évoluer vers des fins tragiques.

Enfin, il faut bien rappeler la bien triste fin du réalisateur de ce film, mort assassiné à coups de couteau, lui et son épouse, dans leur domicile le 14 octobre 2023. Un peu avant, en mars 2022, devant une salle comble, Mehrjui avait dénoncé publiquement la censure de l'État sur les films et l’activité culturelle en général. Il avait notamment déclaré : « Ecoutez-moi, je n'en peux plus. Je veux me battre. Tuez-moi, faites de moi ce que vous voulez, détruisez-moi, mais je veux mon droit ». Les funérailles avaient eu lieu au Vardat Hall, le grand complexe des arts de Téhéran, avec les hommages des cinéastes Jafar Panahi, Masoud Kimiai, Mohammed Rasoulof et Bahman Farmanara.

FILMOGRAPHIE SÉLECTIVE DE DARIUSH MEHRJUI (LM)

« La vache » (1969) ; « Monsieur Naïf » (1971) ; « Le cycle » (1975) ; « Les locataires » (1986) ; « Hamoun » (1990) ; « Sara » (1993) ; « Pari » (1995) ; « Leila » (1996) ; « Le poirier » (1998) ; « Le mélange » (2000) ; « Rester en vie » (2002) ; « Les invités de Maman » (2004) ; « Santouri » (2007) ; « Le costume orange » (2012) ; « Fantômes » (2014).

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