L’impossible partition de la Palestine : 2/2  Du plan Allon aux Accords d'Oslo 1967 – Par Mohamed Chraibi

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Yitzhak Rabin, Yasser Arafat et Shimon Perez lors de la signature des Accords d'Oslo en 1993 à la Maison Blanche

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Jean-Pierre Filiu, professeur des Universités en France et aux USA, spécialiste de la Question Palestinienne, vient de publier un livre intitulé « comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n'a pas gagné. Histoire d'un conflit (XIXe. – XXIe) » (Seuil, février 2024), riche en informations sur ce conflit, pour la plupart peu connues du grand public. Quid.ma reprend les plus importantes pour la compréhension de ce conflit bicentenaire, dans une série d’articles dont nous avons initié la publication dans un précédent numéro (voir : Aux origines d’Israël, le sionisme chrétien). L’article d’hier est parti de plan du révérend Bush 1844 à la Nekba.  Cette deuxième partie conclue le tour d’horizon par un retour sur les accords d’Oslo

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Avec l’entrée en guerre de la Jordanie en juin 67, Jérusalem Est (sous contrôle jordanien depuis 1950) est conquis, le quartier des Maghrébins, au pied du mur des Lamentations est démoli et l'espace ainsi dégagé est affecté aux prières où les Juifs viennent, depuis lors, se  lamenter ****. L’Esplanade des Mosquées, de l'autre côté du Mur,  reste affectée au culte musulman mais Jérusalem réunifiée passe totalement sous contrôle israélien. 250 000 palestiniens traversent le Jourdain pour se réfugier en Jordanie. La Cisjordanie conquise passe sous administration militaire israélienne et les  lois applicables aux zones majori

tairement peuplées d'arabes en Israël y sont étendues. La loi sur les « biens absents" adoptée en 1950 pour s'emparer des terres d’où les Palestiniens avaient été chassés en 1948 est appliquée en Cisjordanie conquise de même qu'une loi ottomane de 1858 qui transfère à l’état israélien la propriété des terres non cultivées pendant 3 ans. 

 Le statut définitif de la Cisjordanie est l'objet de dissension  au sein cabinet israélien présidé par Eshkol. Allon, alors ministre du travail, propose en juillet 67 le plan qui depuis porte son nom : la frontière orientale est fixée au Jourdain, les zones relativement peu peuplées sont annexées, et les autres constituées en deux grandes enclaves  rattachées à la Jordanie. Un corridor,  entre Jéricho et Bethlehem est prévu à cet effet.  C est plus du tiers de la Cisjordanie englobant toute la vallée du Jourdain de la mer de Galilée à la mer Morte et la bande de Gaza (1) qu’ Allon propose d’annexer. De même que le plateau du Golan où il est prévu de concentrer les Druzes. La Cisjordanie porte désormais l'appellation biblique de « Judée Samarie" (2). Ce plan secrètement négocié  avec le roi Hussein est finalement rejeté́ par ce dernier qui a trouvé le partage trop favorable à Israël. Les combats qui opposent  l'OLP à l’armée jordanienne en septembre 1970 (3), convainquent Hussein de reprendre ses pourparlers secrets avec les nouveaux dirigeants dont Israël s'est doté suite à la quasi-catastrophe de la guerre du Kippour (octobre 73). Ceux ci refusent toute modification substantielle du plan Allon.  En octobre 1974, le sommet Arabe de Rabat reconnaît l'OLP comme « unique et légitime représentant du peuple palestinien". Hussein, qui s'y était rendu aux commandes de son B727 (pour des raisons sécuritaires, ou pour impressionner les foules arabes) est seul à s'y opposer, peut être suite à la tentative d'assassinat ourdi contre lui par le Fatah et déjouée par les services marocains. Et le mois suivant Arafat est invité à s'exprimer devant L’ONU.

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Le plan Allon a-t-il été définitivement abandonné ou provisoirement rangé au placard pour être remis sur la table au début des années 90.? C'est cette deuxième hypothèse qu’avance E. Said (écrivain et militant palestinien de renommée mondiale)  quand il écrit que les accords d'Oslo, signés en grande pompe à la Maison Blanche en 1993 et 1994, ne sont rien de plus qu'un  « plan Allon modifié » (4). Jugement excessif ? Pour répondre à cette question, nous devons commencer par examiner ces fameux Accords.

Les accords d'Oslo 1993 - 94

Il a fallu attendre que Rabin arrive en 1992 à la tête d’un gouvernement à majorité travailliste pour que l’existence d’un peuple palestinien soit reconnue ainsi que la prise de conscience de son aspiration à constituer une nation. Mais nullement son droit à la souveraineté sur un territoire, c’est à dire à se constituer en état. 

Rabin décidé à en finir avec le conflit israélo-palestinien, ouvre des pourparlers secrets avec Arafat à Oslo qui aboutissent à un échange de lettres entre les deux dirigeants. Le premier reconnaît le droit d’Israël à vivre en paix et dans la sécurité et renonce au recours à la violence. De son côté Rabin reconnaît l’OLP comme représentant unique du peuple palestinien (suivant en cela la déclaration du sommet arabe de Rabat de 1974, ignoré jusque là, voir supra) et partenaire de négociations pour la paix. Un chapitre inédit dans la longue relation entre Israël et les palestiniens est ouvert. 

Cette reconnaissance mutuelle est scellée dans un accord signé en grande pompe (Oslo I) en octobre 93 à la Maison Blanche qui n’est en fait qu’une déclaration de principe sur « les arrangements intérimaires d’auto gouvernement » ouvrant la porte à des négociations en vue d’ « établir une Autorité palestinienne (AP) d’auto gouvernement intérimaire… ». La déclaration prévoit le retrait graduel des forces israéliennes de certaines parties des territoires occupés en 67, au fur et à mesure que la « puissante force de police » dont sera dotée cette Autorité y prendra en charge l’ordre public et la sécurité intérieure. Ni dans les documents ni dans les propos de Rabin, il n’est question de création d’un état palestinien au terme de la période intérimaire des 5 ans d’autogouvernement. De plus, Israël se réserve le droit de poursuivre l’implantation de nouvelles colonies en Cisjordanie. Pour l’heure, la priorité de Rabin est le retrait des militaires de Gaza, en perpétuelle rébellion. Arafat souhaite également le retrait israélien de Jéricho. 

L’accord dit Gaza-Jéricho signé au Caire en mai 94 marque le début de la période intérimaire qui devra donc prendre fin en mai 99. Arafat fait une entrée triomphale à Gaza en septembre 1994. Cependant le cadre législatif de ces deux enclaves reste inchangé, les mêmes lois établies par Israël à Gaza et en Cisjordanie y demeurent en vigueur. La première victime de la « puissante force de police » de l’Autorité Palestinienne est… un civil palestinien mort sous la torture. Le Jihad Islamique, non tenu au respect des engagements de Arafat, continue ses attentats contre les Israéliens, appelant des actions répressives féroces de l’AP. Rabin finit par évoquer une possible séparation avec les Palestiniens qui sont « différents de nous sur tous les plans » tout en excluant tout retour aux frontières de 67 et en insistant sur le maintien de Jérusalem comme capitale indivisible d’Israël. Il précise que les prochains retraits distingueront 3 zones: A (sous contrôle de l’AP), B (sous contrôle conjoint d’Israël et de l’AP) et C (sous contrôle exclusif d’Israël). Ces 3 zones occuperont respectivement 3%, 24% et 73% de la superficie de la Cisjordanie. Gaza est en zone A, à l’exception des colonies juives qui restent sous contrôle israélien. Ce dépeçage de la Palestine fait l’objet des accords dits Oslo II signés à Washington en septembre 95. Rabin est assassiné cinq semaines plus tard à la grande satisfaction du Likud de Netanyahu qui accède au pouvoir pour la première fois en 96. Le processus de mise en place de « l’autogouvernement intérimaire » en prend un coup mais est-ce une catastrophe ? Probablement pas, à en juger par les premiers résultats de l'application des dispositions d'Oslo II : Recrudescence des attentats en Israël et dégradation des conditions de vie des Palestiniens qu’ils soient en zone A, B ou C. Et surtout, la probabilité d’aboutir à la création d’un état palestinien à l’issue de la période intérimaire en mai 1999 ne semble jamais avoir dépassé le seuil de 0%.  

Pour revenir au jugement négatif d'E. SAID sur les accords d'Oslo qualifiés d’ajustements au plan Allon de 1967. Il est, certes, d'une trop grande sévérité car entre ces deux plans il y a eu des avancées majeures : La reconnaissance du peuple palestinien et la légitimité de son aspiration à constituer une nation même si, ni dans la lettre ni dans l'esprit des accords d'Oslo, il n'existe de référence à un état palestinien. L’OLP est reconnue par la communauté internationale (y compris Israël) comme unique représentant du peuple palestinien, Arafat a été invité à s'exprimer devant une A.G. de l’ONU,  la Palestine, admise comme membre Observateur au sein de cette organisation, est reconnue comme Etat par de nombreux pays, l'AP (susceptible de constituer un futur gouvernement palestinien sous réserve de mettre fin aux divisions au sein de l'OLP) existe. Les accords d'Oslo, en dépit de leur incapacité à déboucher sur un état palestinien souverain, n'en constituent pas moins quelques jalons visibles sur cette voie. Mais le but ultime est au bout du fusil. 

  • dont la population essentiellement composée de réfugiés de 48, serait transférée en Cisjordanie (et même une partie disséminée en Israël) et remplacée  par des colons Juifs. Devant l’évidence de la non faisabilité de ce plan, il fut, un moment, envisagé de faire de Gaza un territoire sous administration jordano-palestinienne.
  • Après le règne de Salomon, le Royaume d’Israël est scindé en deux : la Judée au Sud avec Jérusalem pour Capitale et Israël au Nord avec Samarie pour Capitale.
  • Combats largement emportés par l’armée jordanienne sur les combattants palestiniens. L’OLP chassée de Jordanie se réfugie au Liban. Épisode connu sous le nom de « Septembre Noir".
  • E. SAID, in « the Morning After » in the  London Review of books vol 15 No 20-21 octobre 1993
  • Une scène fascinante remontant du fond des âges qui témoigne de l’attachement  viscéral, mystique des Juifs pour ces lieux, que j'ai observée avec effarement de nombreuses fois lors de mon séjour à  Jérusalem en 1996.

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