CARNET DE VOYAGE - ABDALLAH SAAF AU PAYS DE HÔ CHI MINH, 2ème PARTIE : ENFIN HANOÏ, ‘’LA PORTE DU MAROC’’

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«La Porte du Maroc », ainsi que l’appellent les Marocains. Elle fit sur le plan diplomatique l’objet d’une petite bataille symbolique, certains ayant voulu la baptiser « Porte de l’Afrique », sous prétexte que diverses nationalités ont participé à sa construction. Peut-être. Mais le concept, le référentiel, le modèle, l’idée à la base, l’architecture, les mains, sont marocains.

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Abdallah Saaf a été, entre autres, ministre de l’Education nationale, membre de la Commission pour la révision de la Constitution de 2011. Auteur de plusieurs ouvrages et président du Centre d’Etudes et de Recherches en sciences sociales (CERSS), il a effectué plusieurs voyages au Vietnam. Venant de la gauche radicale marocaine, il ne pouvait qu’être sensible au pays de Hô Chi Minh et Giáp dont les guerres contre le colonialisme et l’impérialisme au XXème siècle peuvent constituer pour un Homère contemporain une Iliade et une Odyssée des temps modernes. Mais pas seulement. Qualifié de pays à revenus intermédiaires par la Banque mondiale, le Vietnam est désigné, au choix, comme « l’atelier du monde », ou un autre « tigre économique » de l’Asie. Un Chiffre pour en témoigner : Au cours des huit premiers mois de cette année, il a attiré des investissements étrangers estimés à 16,8 milliards de dollars. Ce Carnet de voyage, Abdallah Saaf l’explique par la nature des liens économiques, culturels, et humains significatifs qu’entretient le Maroc avec le Vietnam. Par son affection sentimentale et intellectuelle pour cette lointaine et proche contrée, aussi. Une manière de célébrer ce magnifique pays en son jour de fête nationale (le 2 septembre).  Dans cette deuxième partie, A. Saaf raconte Hanoï, le Hanoï de ses lectures, et celui qu’il avait enfin sous les yeux.

Arrivée à Hanoï en milieu de journée, mais sans nos bagages, en raison des dysfonctionnements survenus au cours du déplacement. Ils finiront par arriver le soir même. Accueil chaleureux du côté des responsables vietnamiens avec des représentants de l’Association des Vétérans de la résistance vietnamienne. Un colonel est chargé d’accompagner notre séjour. L’ambassade marocaine n’est pas en reste. L’ambassadeur est là très présent, accueillant, amical. Le programme annoncé est chargé.

Une première journée au pas de charge

Déjeuner vietnamien avec ses plats typiques. Entourés des représentants de l’organisation des Vétérans, nos hôtes officiels, nous goûtons aux plats qui se succèdent : nems, salades, soupes, poissons, fruits, accompagnements très variées. J’ai fréquenté la cuisine vietnamienne dans différentes villes du monde : Rabat, Casablanca, Paris, Grenade, Madrid, Washington, New York… mais là je découvre de nouvelles recettes. Insérée dans son milieu, la gastronomie vietnamienne dévoile d’autres saveurs, d’autres dimensions, mais je suis incapable de dire mon sentiment sur les différences…

Un important groupe de journalistes est là pour « couvrir » la rencontre. Puis eût lieu le départ pour la conférence. L’ambassade a manifestement fourni des efforts considérables pour réussir à déplacer vers l’après-midi l’activité programmée initialement pour le matin. Malgré le manque de sommeil, nous nous devions de tenir et de communiquer au mieux.

La conférence porte sur les relations maroco-vietnamiennes. Elle cible une dimension fondatrice. Les participants, les intervenants, l’assistance en général sont d’un niveau officiel marqué : des ministres, des ambassadeurs, des représentants d’institutions diverses, les ambassades de Palestine, de Turquie, de Russie, de Belgique, du Venezuela… En plus des responsables et enseignants universitaires, des groupes d’étudiants et de journalistes. 

Dans la conférence sur la mémoire commune entre le Maroc et le Vietnam, deux sessions aux portées historiques étaient prévues. Les intervenants font partie de l’Association des Vétérans des guerres de Libération du Vietnam et du Haut-Commissariat aux Résistants et Anciens membres de l'armée de libération. Cette thématique est maintenant abondamment fréquentée, en tout cas dans les départements d’histoire et dans la grande presse. Une troisième session portait sur la coopération académique et les programmes de recherche entre les deux pays. Du seul angle de la qualité et du nombre de l’assistance, la conférence paraissait d’emblée réussie.

Les communications se succèdent et je présente la mienne : on m’avait demandé quelques semaines avant le voyage de prospecter les perspectives d’un projet de programmes de recherches et d’enseignement maroco-vietnamien. J’ai développé quelques pistes dans cette direction : il me paraissait possible d’investir à partir de la mémoire, et à travers l’organisation de journées d’études, colloques, conférences ou de cours et de programmes dans les cursus universitaires. La première vague de recherches peut aboutir à de projets à venir au niveau des universités et des think-tanks partenaires des deux côtés.

La mémoire historique partagée met au premier plan de nombreux concepts, faits et processus. Il s’agit de démontrer la particularité d’une mémoire historique partagée à travers l’implication de combattants marocains dans la lutte du peuple vietnamien pour sa libération du joug colonial.

Lire aussi : CARNET DE VOYAGE - ABDALLAH SAAF AU PAYS DE HÔ CHI MINH, 1ÈRE PARTIE : LE RÊVE VIETNAMIEN

Tôt ce matin, dans un cérémonial appuyé, je signe une convention de partenariat entre le Centre que je dirige (Le Centre des Etudes et recherches en Sciences sociales/ le CERSS) et l’Institut des Etudes pour l’Afrique et le Moyen-Orient (IAMES). La convention institue le principe d’échanges d’informations, d’études, de monographies, de consultations bilatérales, l’organisation de conférences, de tables rondes, de séminaires, de débats, de brainstormings, la mobilité des chercheurs entre les deux pays…

De nombreux chercheurs et enseignants de l’Institut étaient présents. Je ne pus m’empêcher de m’interroger sur l’origine de cette idée - dans des pays géographiquement, politiquement, et culturellement lointains - de consacrer une institution académique aux seules questions africaines et moyen-orientales.

La Porte du Maroc

Houdac on Twitter: "Pendant que vous dormiez, je suis partie à la recherche  de la porte des marocains ???????? à 70km de Hanoï!! Merci à la team de  recherche : Nhung et

La Porte du Maroc restaurée, une année après le premier passage de Abdallah Saaf, en 2018, jeune marocaine, @houdac pose pour la postérité

Nous nous rendons ensuite ou siège de l’Université Nationale de Hanoï où nous sommes reçus dès le seuil par un comité d’accueil qui attendait visiblement depuis la première heure. La visite commença par le musée de l’université : de vieux portraits, des images plus aux moins récentes tirées des combats du pays ; photos des professeurs, étudiants et dirigeants du Vietnam passés par là sont affichées, des séquences de la résistance armée et de l’action politique vécues depuis l’université… C’est que l’histoire de l’université de Hanoï reflète celle du pays, de ses combats, de ses élites, de ses organisations, de sa société. L’université vietnamienne du moins celle de Hanoï est profondément mêlée à l’histoire du mouvement national et social du pays. Elle s’est faite dans le combat et a grandi à travers lui… 

Un mémorandum de partenariat est signé entre l’Université Mohammed V et l’Université Nationale de Hanoï en vue de renforcer la coopération culturelle entre les deux pays et pour appuyer les actions à entreprendre par les deux institutions. L’objectif est de renforcer les relations historiques, la coopération entre les institutions universitaires, le rapprochement des points de vue des experts et des professeurs, le développement des actions communes et de collaboration dans la publication de livres et d’articles. Je donne à l’occasion un entretien au magazine « le courrier du Viêtnam ». De même la T.V vietnamienne s’attardera longuement sur notre séjour. La couverture médiatique est très large. J’eus une longue discussion avec ma voisine, l’interprète vietnamienne de l’ambassade, sur la vie quotidienne à Hanoï, le coût et la qualité de la vie, les espérances des gens. Elle se prêta gentiment à mes questions.

Après la visite à l’université nous sommes invités par nos hôtes à un restaurant de la place. Le président et ses collaborateurs sont là. Après déjeuner, nous partons visiter « la Porte du Maroc », ainsi que l’appellent les Marocains. Elle fit sur le plan diplomatique l’objet d’une petite bataille symbolique, certains ayant voulu la baptiser « Porte de l’Afrique », sous prétexte que diverses nationalités ont participé à sa construction. Peut-être. Mais le concept, le référentiel, le modèle, l’idée à la base, l’architecture, les mains, sont marocains. Je pense avoir été le premier à en avoir mentionné l’existence dans mon livre sur les soldats maghrébins et africains de l’oncle Ho (L’Histoire d’Anh Ma, L’Harmattan, Paris, 1996). Plus tard Nelcya Delanoe « était revenue sur le sujet et s’était rendue sur les lieux. Me concernant, je tiens le récit sur la base de plusieurs sources : 

  1. Des témoignages des Marocains anciens d’Indochine qui pour la plupart se sont longuement attardés sur le rôle d’un certain Jilali, véritable maître d’œuvre du monument, sous la direction de Anh Ma (nom de combat donné par Ho Chi Minh à Mohammed ben Aomar Lahrech), mon héros marocain de la guerre d’Indochine et auquel j’ai consacré un ouvrage (Cf. Histoire d’Anh Ma, précité)..

  2. Du témoignage que m'a fait Georges Boudarel, historien que j'ai connu à la fin de sa vie, et qui mentionne également l'existence de cette porte (Georges Boudarel, Cent fleurs écloses dans la nuit du Vietnam. Communisme et dissidence 1954-1956", Jacques Bertoin, Paris 1991).

  3. Du récit également de deux dirigeants communistes marocains, Ali Yata et Abdeslam Bourquia, qui se sont rendus à la coopérative tenue par les ralliés marocains située à cet endroit (Bavi) dans les années soixante après la guerre française d'Indochine.

L’opéra de Hanoï

Me voici donc, dans cet océan de verdure, me tenant devant la porte. Je la regarde droit dans les yeux ressentant une immense joie, comme s'il s'agissait de mon œuvre propre. Elle est unique. Aujourd'hui, la mairie de Hanoï a préparé des projets de réaménagement du site et a déjà pris la décision de l'intégrer dans l'un des circuits touristiques de la capitale. Dans quelques semaines, les travaux seront achevés et le site sera officiellement inauguré.

Comme en venant ici à Bavi, au retour nous sommes sensibles au style des maisons, avec leur touche typiquement vietnamienne, bien différente de celles que j'ai observées ailleurs en Asie (Chine, Corée du Sud, Japon, Thaïlande...). Elles portent leurs propres empreintes architecturales. Leur décor, leur aménagement des espaces, leur hauteur, leurs dépendances, leurs couleurs..., tout les distinguent. Les traces de la période coloniale sont perceptibles. Mais de nouveau, le souffle des périodes d'après guerres, et surtout la dernière, reprend le dessus : grandes avenues, infrastructures, plantations, complexes industriels, étendues rurales... Me revint à l’esprit cette observation qu’on m'avait faite lorsqu'il y a longtemps j'effectuais des recherches sur les Marocains engagés dans le corps expéditionnaire français : les soldats marocains, majoritairement des ruraux, se retrouvèrent dans la compagne vietnamienne et avec les paysans vietnamiens comme dans leur élément propre.

Après ce périple, nous revenons vers le centre du vieux Hanoï. Nous faisons halte dans le grand café de l'Opéra, avant la séance de cinéma prévue pour le soir, pas loin, dans un autre cadre, celui des « journées de la francophonie, qui coïncident avec notre séjour à Hanoï " 

L'opéra de Hanoï m'est quelque peu familier. Je l'avais déjà entraperçu, voire dûment rencontré, dans mes lectures (les romans de la période coloniale française d'Indochine, ceux de Jean Hougron ou encore de la grande Marguerite Duras...). Quelques films m’en ont offert une image assez proche de ce qu’il est là sous mes yeux.

Venir à Hanoï et prendre un café sur les terrasses du fameux opéra est un plaisir indicible. A la salle de cinéma de l'Institut français, tout proche, se tient le festival du film francophone organisé par les ambassades, délégation et institutions francophone de Hanoï. A l'affiche ce jour, "l'écharpe rouge" de Mohamed Lyounsi. Il raconte l'histoire de la séparation d'un couple suite à une décision politique des responsables algériens de renvoyer chez eux les Marocains vivant en Algérie. Quoique souffrant de quelques langueurs, le film est fort sur le plan des sentiments, arrachant des larmes à l'assistance. La narration est bien menée. Cependant le film diabolise trop les Algériens. Tous dans des rôles de méchants. Hormis ces excès, le film est touchant. 

La petite histoire d’une ‘’reconnaissance’’

 Ce matin, rencontre entre les anciens combattants partenaires au centre-ville. Comme je ne suis qu'indirectement concerné, j'en profite pour m'isoler dans un café de la ville pour m'y concentrer et écrire, revoir mes notes d'autant plus que je dois intervenir auprès des étudiants de l'Académie des Relations internationales, relevant du Ministère des Affaires Etrangères du Vietnam.

Je dois parler de l'Afrique, car tout le monde est maintenant convaincu que le continent africain est un horizon prometteur de développement. Comment les Africains perçoivent-ils ceux qui font d’eux une matière à négocier ? Je déroule mon power point avec à l'appui chiffres, déclarations d'officiels, analyses (...) L’Ambassadeur et le Haut-commissaire passent me prendre au café où ils m'avaient laissé.

Cette fois nous nous dirigeons vers le siège de l'Association d'amitié avec les peuples. Avant d'entreprendre ce voyage, nous avions fondé une Association d'amitié maroco- vietnamienne. Nous sommes là pour la présenter et inaugurer un cycle de travail commun pour la phase à venir.

Échange de discours et de cadeaux symboliques, affirmation des deux côtés d'une volonté de coopérer. Puis, à quelques pas du siège, nous nous retrouvons dans un restaurant pour le déjeuner.

A mes côtés, un journaliste arabophone, cadre important du parti communiste vietnamien, qui a longuement séjourné dans des pays arabes et particulièrement en Irak. Il m'explique dans une langue arabe châtiée ce qui s'est passé à propos de la question du Sahara, lorsque le Vietnam avait, il y a longtemps, reconnu la prétendue RASD : "En 1979, nous sommes entrés au Cambodge pour déloger le régime de Pol Pot et les Khmers rouges. Les Algériens nous ont proposé de reconnaître la RASD, ce que nous avions accepté de faire, à condition qu'ils reconnaissent en échange le nouveau régime cambodgien que nous soutenions. Nous reconnûmes donc la dite RASD, mais l'Algérie, sans doute par crainte des réactions de la Chine qui soutenait le régime de Pol Pot, ne reconnut pas le nouveau régime cambodgien. Il n'est pas dans nos traditions d'annuler de telles décisions mais depuis nous ne fîmes rien pour donner un contenu quelconque à cette reconnaissance. Tout se passe comme si nous n'avons aucun rapport avec eux."

Les relations diplomatiques maroco-vietnamiennes remontent formellement à 1961. Les relations actuelles ont connu un nouveau développement avec l’ouverture de la représentation diplomatique vietnamienne à Rabat en 2005, et marocaine à Hanoï en 2006. Depuis, les relations entre les deux pays n’ont cessé de prendre consistance, les indicateurs s’améliorent : échanges de visites à un niveau significatif, réunions de la commission mixte, élaboration de conventions, activités mutuelles de diplomatie publique, échanges commerciaux…

Une comparaison est également faite, par rapport au voisinage de l’Europe concernant le Maroc et du Vietnam. A l’ère de la mondialisation, le Maroc a accédé au traité d’amitié et de coopération (TAC) de l’ASEAN en septembre 2016. Il a conclu en Juin 2017 le mémorandum relatif au statut de partenaire du Mékong River Commission, une organisation intergouvernementale, créée le 5 mai 1995 sur la base du Comité du Mékong qui existe depuis 1957 et qui regroupe le Cambodge, le Laos, la Thaïlande et le Vietnam. La Chine et Myammar sont des partenaires du dialogue depuis 1996.

Une autre ‘’Indochine’’

Tournée à Hanoï by night. Nous passons par les lieux touristiques, les marchés, les rues historiques, devant les cafés, les librairies, les cinémas, et ce qui correspond bien à la médina locale. En parlant de médina locale, je me rappelle des entretiens que j’avais menées avec les anciens d’Indochine : ils avaient tendance à maghrébiniser le vocabulaire leur permettant de décrire l’univers vietnamien : la médina, les paysages ruraux, les « douars », les plantes… Entre autres, nous faisons la fameuse rue où l’on peut relever une présence significative de l’éternelle jeunesse voyageuse, un peu hippie sur les bords et qui ne semble pas éteinte. Il n’y a pas d’ailleurs que des jeunes.

Au bout de la nuit, je prends un café sur une terrasse située au dernier étage de l’immeuble le plus élevé de la place, avec une vue imprenable sur le lac qui fait fonction de cœur battant de la ville, voire du pays. Je vois autour de moi aller et venir une population avide de vie, de belle vie.

Machinalement, toute la littérature (roman, poésie, essais, analyses des sciences sociales…) portant sur la vieille Indochine me revient. Mais le Vietnam que j’avais sous les yeux n’avait plus rien à voir avec cela.  

Demain :   Troisième partie du Carnet de voyage de Abdellah Saaf : Le secret d’une victoire  

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