Moscou (Brics), Washington, Paris, le triangle ‘’bermudien’’ de l’Algérie – Par Bilal Talidi

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Entre Abdelmadjid Tebboune et Abdelfattah Sissi, les BRICS ont choisi l’Egypte

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Le coup d'État au Niger a placé les dirigeants algériens dans une belle impasse, dont ils ne savent actuellement comment sortir. L'Algérie n'avait pas imaginé qu’un jour les défis sécuritaires les plus imminents pourraient s'intensifier contre elle et menacer directement ses frontières sud. 

Après avoir longtemps fait une fixation maladive sur le Maroc comme source de menace potentielle à ses frontières à l’Ouest, alors même que le Maroc n’a cessé de multiplier les assurances qu’aucune malveillance ne viendrait de ce côté-ci, voilà que le voisin de l’Est se réveille, de l’aveu même de son président comme de l’institution militaire, avec une menace réelle le long de ses frontières méridionales qui s’étendent sur plus de 1000 km avec le Niger.

Même le long de ses frontières avec la Libye et la Tunisie, l’Algérie ressent aujourd’hui la même insécurité. Les dernières tensions dans les relations entre l’Algérie et les Émirats arabes unis trahissent u régime algérien aux abois, redoutant un éventuel affranchissement de la Tunisie de sa tutelle, pour chercher d’autres horizons qui lui permettraient de sortir de sa crise politique et économique et de briser son isolement international. L’Algérie craint que la Tunisie et la Mauritanie empruntent la voie de la normalisation avec Israël, lui faisant ainsi courir le risque de se retrouver de facto assiégée le long de toutes ses frontières et dans l’incapacité de construire des blocs géostratégiques lui assurant un prolongement dans la zone sahélo-saharienne.

Le putsch au Niger semble avoir enterré le projet du gazoduc transsaharien dont l’Algérie vantait les mérites supposés, évoquant tantôt la distance réduite entre le Nigeria et les côtes algériennes, tantôt les coûts réduits de sa réalisation via le Niger. Alors qu’elle s’est longtemps échinée à minimiser les menaces sécuritaires sur un projet vital d’une aussi grande ampleur, la voilà confrontée à seulement comment sécuriser ses frontières contre toute menace pouvant émaner du Niger voisin.

Toute l’activité diplomatique de l’Algérie de ces derniers temps indique que le régime pressent un vrai danger et se cherche des marges de manœuvre pour sortir de l’ornière. Les contacts avec le Qatar et les messages adressés aux Émirats arabes unis laissent supposer qu’Alger cherche une baisse de la tension avec le Maroc à l’Ouest et travaille à éviter l’inconnu à ses rapports avec la Tunisie. 

Le dialogue avec Washington, comme l’illustre l’entretien du ministre algérien des Affaires étrangères Ahmed Attaf avec le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken, pourrait être interprété comme l’expression de la recherche par l’Algérie d’un espace d’entente avec les Etats-Unis en vue de se libérer des pressions occidentales et de se dédouaner de tout service rendu ou à rendre aux menées russes en terre africaine.

L’environnement régional et international au Niger a compliqué l’équation pour les dirigeants algériens et incité les grandes puissances, chacune selon son agenda, dans un inextricable imbroglio où la pression sur Alger est perçue comme une partie de la solution.

D’abord Moscou qui a mis à profit le Sommet Russie-Afrique (27,28 juillet) pour déloger la France de la région du Sahel à travers le soutien du putsch au Niger. Il n’est pas certain de l’appui logistique de l’Algérie. Cette dernière rechigne et ne veut pas s’aventurer à mettre en jeu sa stabilité, en apportant son aide à la Russie pour étendre sa toile dans la région, par le truchement des putschs militaires, au risque de constituer une menace directe aux frontières méridionales de l’Algérie elle-même. Mais l’Algérie, ou en son sein une forte composante, notamment militaire, peut-elle se dispenser de la relation avec Moscou

Ensuite, la CEDEAO qui a pris la décision d’une intervention militaire au Niger, ce qui inquiète Alger, et la France qui recherche des options pour assurer sa présence militaire et ses intérêts stratégiques dans la région, réduisent par ailleurs, autant qu’ils compliquent, les options qui s’offrent au pouvoir algérien. 

Cette dernière se trouve dans un embarras beaucoup plus complexe après avoir enchaîné une série de revers récurrents au Mali, au Burkina Faso, puis au Niger, sans disposer de relais régionaux stables lui permettant d’agir sur le cours des choses. Paris entretient des rapports tendus avec le Maroc et peine toujours à rétablir des relations apaisées avec l’Algérie où, tout de même une aile qui compte au pouvoir aimerait pérenniser les rapports avec Paris.

Enfin, les Etats Unis. Eux sont confrontés à un dilemme d’une autre nature. Ils sont contraints à gérer leurs propres intérêts dans la région indépendamment de ceux de son allié français, écartant l’option militaire, peu préoccupés par le retour de Mohamed Bazoume à son poste. En même temps, ils demeurent soucieux de ne pas laisser les auteurs du coup d’Etat au Niger réaliser ce qui leur apparait comme une préparation du terrain à l’influence russe dans la région. Ce qui contraint en définitive Washington à chercher les moyens d’affaiblir les putschistes tout en préservant la relative stabilité de la région de manière à protéger ses intérêts, anciens et nouveaux. Ce qu’il tente de faire en agissant sur trois axes simultanément. Le premier en incitant la CEDEAO à maintenir la pression sur les putschistes, le deuxième en direction de l’Algérie qu’ils cherchent à éloigner de l’axe russe, à travers l’exploitation des menaces directes à ses frontières. Le troisième, qui découle et complète les deux premiers, vise à bloquer les débouchés de Moscou pour arrêter son extension dans les pays de l’Afrique de l’Ouest.

D’aucuns ont été surpris par la teneur du dialogue entre M. Attaf et son homologue américain, et plus encore au sujet de l’interrogation formulée par la partie algérienne sur la position américaine à propos du Sahara.

Les Américains ne cachent pas que leur vision de la solution de la crise au Niger passe par le retour à l’ordre constitutionnel dans le pays, la préservation de la stabilité dans la région et l’encerclement de l’influence russe. Leur cœur ne bat pas tant pour le président déchu que pour le maintien de leurs intérêts actuels et la réalisation de nouveaux acquis, quitte à s’entendre avec les putschistes sur une étape de transition politique que les militaires nigériens viennent de fixer à trois ans. C’est ce qui explique pourquoi une partie des négociations entre Washington et Alger a porté précisément sur les conditions à réunir pour concrétiser la vision américaine, en l’occurrence la ‘’désescalade’’ entre Rabat et Alger, la normalisation des rapports entre les deux pays, et l’approfondissement des relations algéro-américaines en vue de couper l’herbe sous les pieds des Russes.

Dans ce magma en mouvement, la nature composite de l’institution militaire algérienne, traversée par trois courants, ne facilite pas le choix. Le premier, nationaliste, met l’accent sur l’impératif de penser uniquement aux intérêts de l’Algérie et de sécuriser ses frontières. Le deuxième, proche de Paris, ne voit pas d’inconvénient à fournir un appui logistique à la France pour sauvegarder une partie de ses intérêts dans la région. Le troisième, allié de la Russie, est soumis à la plus forte des tensions en raison de l’antagonisme entre l’impératif de fournir un soutien logistique à Moscou et le besoin de tenir compte des intérêts nationaux de l’Algérie face aux menaces multiformes.

Le choix de la nécessité adopté provisoirement par l’Algérie, en vue de se libérer de la pression internationale et de se mettre à l’abri des menaces immédiates à ses frontières, consiste à entamer des négociations avec Washington et de faire semblant d’adhérer à sa vision, en espérant un changement de la donne régionale et internationale. En même temps, elle garde un œil stratégique, pour l’instant déçus et dépité, sur les BRICS avec l’espoir d’une future adhésion pour sortir de l’isolement et gagner en assurance qu’un important bloc en cours de création dans le monde lui apporterait par son soutien et son assistance.

De nombreux observateurs se sont arrêtés sur la position algérienne rejetant l’intervention militaire au Niger qu’ils ont attribuée à la sensibilité sécuritaire et aux menaces potentielles aux frontières sud. Mais ils semblent avoir omis deux importants indicateurs. Le premier se rapporte à une déclaration du président algérien Abdelmadjid Tebboune dans laquelle il assurait que son pays n’interviendrait pas militairement dans les pays voisins, un message adressé au Maroc ou plutôt à Washington qui considère que l’encerclement de l’influence russe dans la région passe immanquablement par la réconciliation entre Rabat et Alger. Le second est en lien avec l’énorme propagande menée par l’Afrique du sud au sujet d’une éventuelle demande du Maroc d’adhérer aux BRICS, Pretoria prétendant l’acceptation supposée des demandes d’adhésion de six pays arabes, dont celle du Maroc, ce qui a amené le ministère marocain des Affaires étrangères à annoncer publiquement sa position et à dévoiler les tenants et aboutissants de cette propagande mensongère.

Au fond, les deux indicateurs se corroborent et se rejoignent dans leur finalité. Alors que le premier tente de berner Washington en montrant la bonne foi d’Alger dans sa désescalade avec le Maroc, le second participe de la même vision quoiqu’il diffère au niveau de la forme. En effet, l’Afrique du Sud, en coordination avec l’Algérie, tente de convaincre les Etats-Unis que le Maroc joue sur deux tableaux, américain et russe, et qu’il n’est pas un allié fiable sur lequel Washington peut compter pour réaliser sa vision dans la zone sahélo-saharienne.

Dans les deux cas de figure, Alger avec l’appui de Pretoria tente de s’attirer les bonnes des Américains tout en les mettant en garde contre la duplicité supposée de leurs alliés marocains, ce à quoi Rabat a réagi de manière immédiate pour déjouer la perfidie. Le Maroc a été soutenu dans l’avortement de cette manœuvre par l’Inde qui a certainement considéré que les agissements individuels de l’Afrique du Sud pourraient dévoyer le groupe des BRICS de ses finalités, entamer sa capacité d’intégrer de nouveaux acteurs influents et de le subordonner aux calculs politiques étroits de certains de ses membres, au risque de tuer dans l’œuf la vitalité de ce groupe prometteur. New Delhi, a ainsi saisi la publication d’un communiqué annonçant la présence de son Premier ministre à Pretoria pour souligner l’initiative sud-africaine individuelle d’inviter des participants tiers au "BRICS - Africa Outreach and BRICS Plus Dialogue" organisé après le Sommet des BRICS

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