SECURITE ET POUVOIR REGALIEN – Par Gabriel Banon

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Pour les JO 2024, le ministre français de l’Intérieur a décrété la mise en place « d’une autorisation temporaire d’exercer » pour les nouveaux agents de sécurité, à destination notamment des étudiants, avec une formation accélérée ressemble à un aveu de faiblesse

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LE MONDE QUI NOUS ATTEND – Par Gabriel Banon

Il y a des vérités que l’on énonce comme allant de soi. La sécurité est non seulement un des devoirs de l’État, mais un monopole, c’est l’expression même du pouvoir régalien des gouvernements. Aujourd’hui est-ce toujours le cas. ?

On doit, avant toute chose, définir ce que l’on entend par « Régalien ». Cette notion est associée avec la notion de souveraineté. Ce mot concerne tout ce qui ressort de l’exercice de la puissance gouvernante. Il désigne les pouvoirs exclusifs du gouvernement que nulle autre personne n’a le droit d’exercer. Les fonctions régaliennes couvrent : la sécurité extérieure comme la sécurité intérieure, le maintien de l’ordre public, la défense du territoire, le droit de rendre justice, la souveraineté monétaire ainsi que lever l’impôt et gérer les finances publiques.

 Dans les divers baromètres et sondages dont le citoyen est abreuvé, la sécurité est régulièrement classée parmi les deux ou trois priorités de la société civile.

 Trop souvent, on parle de la sécurité au travers le prisme du fait divers. Cette interrogation s’accompagne souvent d’un sentimentalisme de rigueur, face à l’événement. L’autre problème, c’est que le citoyen lambda classe la sécurité comme un monopole d’État et qu’elle ressort de l’exercice exclusif du pouvoir régalien du gouvernement. 

La sécurité, monopole d’État, et si ce n’était plus le cas ? 

La finale de Ligue des Champions le 28 mai 2022 au Stade de France, à Paris, a été un fiasco historique du maintien de l’ordre. On a épinglé la défaillance du préfet de Police, mais également du service d’ordre du stade comme des responsables du club parisien de football. Dans cet exemple, on constate que la sécurité du stade et bien sûr des personnes, a été assurée également par des organismes privés. 

En 2023 et 2024 la France accueillera deux compétitions majeures : la Coupe du monde de rugby puis les Jeux Olympiques. Le Qatar a accueilli la coupe du monde de football. Dans tous ces événements, la sécurité n’a pas été et ne sera pas de l’exclusivité du pouvoir régalien des différents gouvernements concernés, Elle reste, bien sûr, du ressort de l’État, mais en collaboration avec des organismes privés de sécurité.

 D’une façon générale, on voit se multiplier la création d’organismes de sécurité privés, dans certains cas avec des agents armés. L’insécurité est devenue un problème récurent dans nos sociétés modernes. Elle trouve son origine avant tout, dans le terrorisme, suivi de l’incivilité grandissante des citoyens, allant jusqu’à la violence gratuite.

A la veille de manifestations comme les jeux olympiques, tous les organisateurs et acteurs s’agitent pour rassurer et trouver des solutions.

Le Comité d’Organisation des Jeux Olympiques s’est récemment réuni, un nouveau préfet de Police de Paris a été nommé, le ministère de l’Intérieur a préparé des annonces pour informer des mesures prises ou à prendre en la matière.

On est en droit de se demander si ces pays parviendront à assurer ces rendez-vous majeurs sans accrocs et surtout s’interroger sur les causes profondes du problème. C’est en se référant au passé que l’on peut identifier quelques éléments de réponse. Le recours à des polices municipales et à des acteurs privés soulignent la situation nouvelle créée par les événements précités, la sécurité n’est plus un monopole d’État.

 En France le tournant s’est fait par la mise en place de la loi de 1995 qui redéfinit pour la première fois la place de l’État dans le processus et la gouvernance de la sécurité. Elle prévoit une complémentarité avec les collectivités locales et le secteur privé, et reconnait les organismes privés comme « concourant à la sécurité générale ». L’État souligne la nécessité de réglementer le milieu et de le contrôler, car touchant au pouvoir régalien.

Suite aux attentats de 2001 et au sentiment d’insécurité qui en a découlé, la loi sur la sécurité quotidienne place le secteur privé comme étant « un allié indispensable ». Celui-ci a alors vu ses compétences élargies.

 D’une façon générale et un peu partout dans le monde, l’accroissement permanent des menaces, a donné des lois successives qui sont allées dans le même sens : celui d’une intégration pleine et entière du secteur privé dans les politiques publiques de sécurité.

L’État ne peut pas et ne pourra plus jamais se passer du secteur privé, même dans la mission la plus régalienne qui soit : la sécurité. Mais la défiance sera toujours de mise et les acteurs de la sécurité privée ne cessent de s’en plaindre.

Le contrôle est-il trop fort, le cadre juridique trop contraignant, c’est ce que disent les dirigeants d’organismes privés de sécurité ? La confiance de l’État envers ces acteurs ne peut pas être acquise sans conditions et précautions. Loin s’en faut. C’est un verrou nécessaire, car le danger des organismes privés et armés, est la création de milices. Des milices qui rapidement échappent à tout contrôle et deviennent un outil de conquête du pouvoir. On l’a vu au Congo-Brazzaville où des milices aux noms folkloriques : les Ninjas et les cobras, ont abouti à une guerre civile qui a fait plus de cent mille morts. Ceci a permis la prise du pouvoir par le Président actuel sponsorisé alors par une puissance européenne, anciennement colonisatrice. Depuis, des élections ont régularisé ce véritable coup d’État.

Dans un registre un peu différent mais parfaitement parallèle, depuis plus de 20 ans, les collectivités locales développent leurs polices municipales. Ces femmes et ces hommes de la fonction publique territoriale sont devenus indispensables pour assurer la tranquillité publique et la sécurité, dans le sens le plus large. 

Tout comme pour le secteur privé, le champ des compétences des policiers municipaux augmente régulièrement, au fur et à mesure que l’État se désengage des missions pourtant régaliennes. 

L’État a besoin des collectivités locales et de leurs précieux policiers. Ce processus avec ce continuum public-privé est de plus en plus soutenu par les responsables politiques.

 Dans le cadre de l’organisation des JO 2024, le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a tiré la sonnette d’alarme et décrété la mobilisation générale. La principale annonce a été la mise en place « d’une autorisation temporaire d’exercer » pour les nouveaux agents de sécurité, à destination notamment des étudiants, avec une formation accélérée…

Cette déclaration du ministre ressemble un peu à un aveu de faiblesse. En Europe, à l’inverse des États-Unis, l’État a tendance à vouloir s’occuper de tout, aussi n’a-t-il plus les moyens d’assumer et d’assurer toutes ses missions régaliennes.

 Aujourd’hui, en matière de sécurité, pour obtenir les meilleurs résultats possibles, il faut que chacun puisse jouer son rôle. Du simple citoyen vigilant et responsable, aux pouvoirs de police des maires, en utilisant les compétences des polices municipales et en intégrant pleinement et sereinement les acteurs de la sécurité privée : la solution est multiple.

  Le privé s’emparant de plus en plus des fonctions régaliennes, va poser un problème aux tenants d’un État fort et responsable.

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