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PLAIDOYER POUR LA RENAISSANCE DE LA MARINE MARCHANDE MAROCAINE – Par Abdelfattah BOUZOUBAA
La défunte Compagnie Marocaine de Navigation ( Comanav), spécialisée dans le transport de passagers et de fret roulant, fondée en 1946 sous le nom de Compagnie Franco-Chérifienne de Navigation (CFCN). En 2009, la Comarit devient actionnaire majoritaire dans le capital du leader maritime du pays la Comanav qui cesse ses activités en 2012 à la suite, semble-t-il, des ennuis financiers de la Comarit, disparue à son tour à la suite d'une liquidation judiciaire le 17 juillet 2014.
Les conséquences de la pandémie Covid-19 et les perturbations des chaines logistiques mondiales nées des tensions géopolitiques actuelles vont-elles favoriser la renaissance de la marine marchande marocaine ?
Avant de répondre à cette question, il faut rappeler que parmi les 195 Etats que compte la planète, 35 pays concentrent l’immatriculation de 95 °/° du tonnage de la flotte de commerce mondiale. Les trois quarts du tonnage de la flotte de ces 35 pays est sous pavillon de libre immatriculation. Dans les transports conteneurisés, une dizaine d’armateurs (mega-carriers) contrôlent 90 °/° du trafic mondial. Enfin, parmi les 10 plus grands ports du monde, 7 sont chinois.
LA GLOBALISATION A SONNÉ LE GLAS DES MARINES MARCHANDES NATIONALES
La globalisation a favorisé la concentration de la flotte de commerce mondiale dans un petit nombre d’États dont les plus importants sont des pavillons de libre immatriculation (Panama, Marshall Islands, Libéria…). Il faut souligner que les besoins en marine marchande de ces derniers pays sont très faibles comparés au tonnage des navires qui battent leurs pavillons.
Cette situation n’est pas le fruit du hasard. Outre la globalisation, la prépondérance des pavillons de libre immatriculation et le maintien off-shore de l’essentiel des recettes de fret mondial estimé à 800 milliards de dollars par an, s’explique par le fait que la Convention des Nations-Unies sur les conditions d’immatriculation des navires adoptée en 1986 n’est jamais entrée en vigueur.
LIEN TRES LACHE ENTRE NAVIRE ET ETAT DU PAVILLON
En effet cette Convention impose l’établissement d’un lien effectif entre le navire et l’Etat dont il bat le pavillon en matière de : propriété du capital social, siège et administration de la compagnie propriétaire ou nationalité du capitaine et de l’équipage par exemple.
La faveur dont les pavillons de libre immatriculation jouissent auprès des armateurs s’explique par le fait que ces États n’imposent pas l’établissement de liens de cette nature avec les navires qui battent leur pavillon.
Alors que les armateurs des pays membres de l’OCDE, mais aussi ceux de Russie et de Chine, ont commencé dès les années 1980 à mettre leurs navires de commerce sous pavillon de libre immatriculation, les armateurs des pays en développement ont vu leurs flottes, constituées au lendemain des indépendances, rétrécir rapidement sinon disparaître, victimes de conceptions juridiques, économiques et sociales de leurs Etats rendues désuètes par la globalisation.
CONTRÔLE DES TRAFICS CONTENEURISÉS PAR LES MEGA-CARRIERS
S’agissant des transports en lignes régulières, ceux-ci n’ont pas toujours été contrôlés à hauteur de 90°/° environ par une dizaine de mega-carriers. Dans le cas du Maroc par exemple, il existait jusqu’aux années 1990, plusieurs lignes régulières directes reliant le Maroc à l’Europe desservies par les armateurs marocains et leurs partenaires européens.
L’implantation des armateurs marocains sur ces lignes s’était faite au prix de « guerres de fret » coûteuses avec les armateurs européens. Les parts de marché acquises par les armateurs marocains, 25% en moyenne, permettaient aux pouvoirs publics de peser sur l’évolution des taux de fret et de favoriser l’exportation de produits dits « pauvres » car ne pouvant supporter qu’un taux de fret réduit.
Ces lignes régulières directes ont quasiment toutes disparu car après la libéralisation du transport maritime en 2007, les trafics concernés ont été intégrés par les méga-carriers dans leurs services mondiaux Est-Ouest et Nord-Sud desservis par des navires porte-conteneurs géants pouvant avoir une capacité de 24.000 TEU.
L’intégration des trafics marocains dans les services des mega-carriers a été facilitée par la position géographique du Maroc au carrefour des trafics mondiaux Est-Ouest et Nord-Sud.
DÉPENDANCE RÉVÉLÉE PAR LE COVID-19 ET LES TENSIONS GÉOPOLITIQUES.
Les disruptions de nature commerciale et économique provoquées par l’épidémie de Covid-19 et les tensions géopolitiques récentes en Mer Rouge et en Mer Noire ont suscité une prise de conscience des effets pervers de la mondialisation et de la dépendance au transport maritime. Ceci a conduit certains États et de grandes multinationales à prendre des mesures pour sécuriser leurs chaines logistiques et rendre leurs économies plus résilientes face aux pandémies et aux tensions géopolitique qui se manifestent périodiquement.
Parmi les mesures prises figurent la relocalisation et la régionalisation de la production ainsi que le re-engineering des chaines logistiques.
PARTICIPER AU TRANSPORT DE NOS ÉCHANGES
A son époque la plus faste, qui a pris fin au cours des années 1990, la marine marchande marocaine comptait environ 70 navires de tous types : porte-conteneurs, navires frigorifiques, general cargos, chimiquiers, pétroliers, vraquiers et car-ferries. Les flottes de navires chimiquiers et frigorifiques comptaient parmi les plus importantes au monde. La flotte de car-ferries quant à elle transportait la moitié du trafic de passagers entre le Maroc et le Sud de l’Europe. Actuellement, le nombre de navires de commerce battant pavillon marocain est de 15 unités environ soit le même nombre qu’au lendemain de l’indépendance lorsque les pouvoirs publics ont pris conscience de la nécessité de favoriser le développement d’une flotte de commerce sous pavillon national.
Il est anormal que le Maroc dont la quasi-totalité des échanges commerciaux passe par la voie maritime ne participe pas au transport de ses échanges qui coûte en fret, payé aux armateurs étrangers, 45 milliards de dirhams par an environ.
Il est aussi anormal de ne pas reprendre dans le secteur du transport maritime de passagers la part de marché de 50°/° que les armateurs marocains détenaient dans un passé récent.
Une marine marchande sous contrôle national n’a pas pour unique vocation le transport des échanges et la couverture d’une part raisonnable de la dépense nationale de fret. Elle a aussi un rôle stratégique puisqu’en temps de crise, elle garantit la continuité des approvisionnements et permet à l’Etat de tenir son rang.
La marine marchande marocaine a joué dans l’histoire récente du pays un rôle appréciable non seulement comme secteur économique à part entière mais également comme instrument de projection de la souveraineté nationale. Elle a par exemple permis le contournement du blocus de nos exportations agricoles et halieutiques par les pêcheurs andalous à la fin des années 1990, le rapatriement de nos concitoyens bloqués dans des pays en guerre ou le transport de troupes et de matériel dans le cadre de missions onusiennes ou autres.
PRÉPARER LA RENAISSANCE DE LA MARINE MARCHANDE MAROCAINE
A voir la taille réduite actuelle de la marine marchande marocaine, on serait tenté de penser qu’il a été déterminé que les raisons qui avaient poussé l’État après l’indépendance à décider la constitution d’une flotte de commerce n’existent plus et qu’on peut s’en remettre entièrement au marché international du fret pour le transport de nos échanges extérieurs.
Quels changements se seraient produits pour justifier une telle conclusion ? La géographie étant têtue, force est de constater que le Maroc est toujours une « île ». Le transport de ses importations et de ses exportations s’effectue toujours à hauteur de 95% environ par la voie maritime.
La marine marchande demeure le cordon ombilical qui permet au Maroc d’échanger avec le reste du monde.
La renaissance souhaitable de la marine marchande marocaine doit être préparée par l’élaboration d’une politique maritime et par la mise à niveau des cadres législatif, fiscal et réglementaire.
L’objectif ultime est l’émergence d’une nouvelle génération d’armateurs publics et privés marocains et la constitution d’une flotte de commerce forte et compétitive sous contrôle marocain, mais pas nécessairement sous pavillon marocain, opérant selon les standards internationaux.