Maroc-Algérie : A qui profite le mieux la guerre russo-ukrainienne ? Par Bilal TALIDI

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Photomontage - Le Roi du Maroc Mohammed VI et le Président algérien Abdelmadjid Tebboune - Les conditions de la guerre et la crise énergétique qu’elle a engendrée ont, certes, fait de l’Algérie un interlocuteur courtisé l’UE. Mais hormis l’amélioration des relations avec Rome, Alger a accéléré la détérioration de ses relations avec Madrid et transformé l’occasion que lui a offerte le président français Emmanuel Macron d’ouvrir une nouvelle ère avec Paris en un échec, pour l’instant, patent

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PJD : Lecture dans le recadrage royal - Par Bilal TALIDI

La semaine dernière, un panel d’experts et de chercheurs concernés par les relations internationales ont passé en revue les répercussions de la guerre russo-ukrainienne sur la région maghrébine, et plus particulièrement sur le Maroc et les choix dont il dispose pour immuniser ses intérêts vitaux et améliorer son positionnement régional. Le débat de cette rencontre, initiée par le Forum Méditerranéen pour l’Echange et le Dialogue, s’est articulé autour de deux thèses contradictoires portées par deux professeurs des relations internationales.

La première, défendue par Hassan Aourid, soutient que le monde se trouve à l’orée d’un nouvel ordre mondial, la situation actuelle étant marquée par l’effondrement d’anciens paradigmes et la recomposition d’autres, qui commencent à façonner les relations internationales et préfigurent l’émergence imminente d’un ordre multipolaire. 

La seconde, celle de Saïd Seddiki, préconise que les mutations qui traversent actuellement l’ordre mondial ne sont pas allées jusqu’à en modifier les fondements, mais penchent plutôt vers la création d’ajustements partiels en son sein.

Un Maroc résilient

Il ne s’agit pas de prendre fait et cause pour l’une ou l’autre des thèses en débat, tant que la réalité de la guerre russo-ukrainienne ne milite pas en faveur d’une position tranchée dans un sens ou dans l’autre. En l’état actuel des choses, entre chien et loup, l’idéal serait de suivre l’évolution des rapports de force entre la Russie et l’Occident sans perdre de vue le facteur chinois, majeur, en se focalisant sur les données factuelles et immédiates pour mieux cerner l’ampleur des répercussions de cette guerre sur le Maroc et ses chances d’interaction intelligente avec son environnement international et régional.

Il est toutefois intéressant de noter que les deux experts conviennent que l’Algérie a eu plus de chance de tirer profit de cette guerre, évoquant à ce propos la manne financière engrangée dans le sillage de la hausse des cours de gaz et de pétrole. Alors que Saïd Seddiki a estimé que cette manne a renforcé la position d’Alger dans ses négociations avec l’Europe, Hassan Aourid a fait la jonction entre cette aubaine financière et l’intensification de l’escalade dans ses relations avec le Maroc les faisant passer à une situation de tension à un état de quasi belligérance, et non de guerre.

Théoriquement, ces observations ne manquent pas de pertinence, quoiqu’il faille toujours distinguer entre les opportunités offertes et la manière d’en optimiser la fructification. Les conditions de la guerre et la crise énergétique qu’elle a engendrée en Europe ont, certes, fait de l’Algérie un interlocuteur courtisé l’UE. Mais hormis l’amélioration des relations avec Rome, Alger a accéléré la détérioration de ses relations avec Madrid et transformé l’occasion que lui a offerte le président français Emmanuel Macron d’ouvrir une nouvelle ère avec Paris en un échec, pour l’instant, patent. En revanche, le Maroc, plus adaptable et plus résilient, a vu ses rapports avec l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne, connaitre des horizons prometteurs.

Un pays inadapté

Malgré l’énorme manne financière qu’elle a récoltée dans le sillage de la guerre russo-ukrainienne, l’Algérie n’a réussi ni à conforter sa position de négociation avec l’UE, ni à améliorer son positionnement régional, révélant une incapacité d’inadaptation flagrante. Des capitales de poids comme Berlin, Madrid, Amsterdam et Lisbonne ont, en effet, exprimé leur soutien au plan marocain d’autonomie, au moment où les relations franco-algériennes ont atteint un point inégalé de tension, deux mois à peine après la signature d’un «partenariat stratégique d’exception». 

Au plan régional, les frontières orientales avec la Libye et au sud avec le Mali constituent de sérieuses menaces sécuritaires, en l’absence de toute influence algérienne capable de consolider la paix et la stabilité en Libye. Alors que ses frontières avec le Maroc demeurent fermées, depuis la rupture unilatérale des relations diplomatiques, l’Algérie n’a de frontières ouvertes, relativement, qu’avec la Tunisie. 

Alger a appris, à ses dépens, que le soutien de 300 millions USD accordé à Kaïs Saïed, - président controversé du voisin de l’Est - n’a même pas servi au l’extradition vers l’Algérie de rapatrier l’activiste Amira Bouraoui, redécouvrant ainsi que l’influence française en Tunisie était bien plus grande que celle des généraux algériens.

Lors de ce débat, les intervenants ont évoqué une importante remarque d’ordre économique en lien avec la vision stratégique adoptée par le Maroc dans la gestion du conflit dans son environnement régional. Par l’essai de la refonte de son modèle économique pour le mettre à l’abri des caprices de la nature, des changements climatiques et des fluctuations des prix de l’énergie sur les marchés mondiaux, le Maroc a réussi d’engranger des recettes qui presque égalent la manne gazière de l’Algérie. La démarche du Maroc, particulièrement après la décision de l’UE de plafonner le prix du gaz, s’’est avérée pertinente, et reflète une vision où prime le souci d’améliorer le positionnement du pays et la promptitude de transformer les crises en opportunités.

Les diverses interventions ont été unanimes à s’accorder sur l’existence de difficultés multiples qui, pour des considérations géostratégiques, mais aussi militaires et politiques en lien avec la situation intérieure à l’Algérie elle-même, empêchent le régime des généraux de transformer la «situation de conflit» en une guerre réelle avec le Maroc. C’est que, pour le moment, l’investissement dans «l’état de guerre», sans la guerre, est le plus utile pour les généraux algériens et représenterait pour nombre d’observateurs, la meilleure solution que la guerre elle-même. C’est dans ce sens que le président algérien Abdelmadjid Tebboune avait déclaré au journal Le Figaro (31 décembre 2022) que son pays avait rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc était une alternative à la guerre.

Et la France ? 

Le débat engagé par le Forum a également permis de jeter la lumière sur deux questions d’une importance capitale ; la première porte sur les relations franco-marocaines et la seconde sur les moyens d’immuniser le positionnement régional du Royaume.

Les intervenants ont majoritairement convenu de l’importance d’opérer un retour à la normale des relations franco-marocaines, dès lors que tout rapprochement entre Rabat et Paris serait de nature à soustraire du jeu d’Alger une carte qu’elle se presse d’utiliser pour l’isolement du Maroc. Sauf que, selon eux, l’existence d’une crise franco-algérienne, ou l’usage que fait Alger des tensions maroco-françaises, ne justifie absolument aucunement de continuer à s’accommoder de la position en demi-teinte de la France au sujet du Sahara marocain. 

Certes, le Maroc ne devrait pas passer en pertes et profits ses relations avec la France, mais il ne pourrait pas non plus laisser tomber à cette fin l’une des causes principales de son existence même. D’autant plus que la France est en grande partie responsable de cette situation. Et de la même manière que l’Espagne a fini par prendre ses responsabilités et acte de ses intérêts bien compris, le France devrait cesser de croire que la Maroc continuerait d’accepter d’elle de voir ses intérêts stratégiques sacrifiés sur l’autel de ses relations avec l’Algérie. 

Sur la deuxième question, l’échange entre les intervenants et l’assistance a révélé l’existence d’un énorme fossé entre la politique étrangère du Maroc et la réalité de la politique intérieure du pays. Il y a urgence, a-t-on souligné, à revoir la propension à ignorer le front intérieur ou à se fier à une mobilisation inconditionnelle derrière l’idée de l’Etat. Pour faire du front intérieur un facteur de renforcement et d’immunisation, les intervenants ont estimé qu’il faut impérativement réhabiliter la politique, amorcer une large ouverture sur le terrain des droits de l’homme et de la réconciliation de la presse et de l’Autorité.

Globalement, l’on peut dire que la guerre russo-ukrainienne a permis aux généraux d’élever les tensions qui couvent entre le Maroc et l’Algérie au degré d’une «situation de guerre». Mais, au fond, elle n’a fait que révéler la vacuité de la thèse d’Alger, qui n’a cessé de claironner que cette guerre allait renforcer son économie, aggraver la crise du Maroc et opérer, en sa faveur, un shift des rapports de force sur les plans stratégique, militaire, diplomatique et politique. Fidèle à son strabisme habituel, le même récit algérien a révélé sa méconnaissance de la force du Maroc, de sa résilience, de la multitude des choix dont il dispose, et de son aptitude à transformer les crises en opportunités. 

Le débat a, néanmoins, révélé que la force du Maroc, arrimée dans son environnement régional à une vision de long terme adossée à un travail de longue haleine, ne se retrouve pas dans le rythme, lent, de la politique interne, et s’articule mal à une diplomatie parallèle à faible pouls. 

 

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