Le CSEFRS rend son avis, le MEN réviserait-il son ingénierie linguistique ? - Par Bilal TALIDI

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Habib Malki, président du CSEFRS, et ancien ministre de l'Éducation nationale. Est-ce à ce titre qu’’il fait la leçon au gouvernement ?

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Le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS) a présenté, le 4 juillet, son avis consultatif sur cinq projets de textes législatifs portant sur le système éducatif, soumis par le gouvernement. Il s’agit, en plus d’une décision relative au système éducatif, du projet de de loi 59.21 relatif à l’enseignement scolaire, et de trois projets de décrets. 

Le premier texte porte sur l’orientation scolaire et professionnelle et le conseil universitaire, le deuxième sur la fixation de l’ingénierie linguistique dans l’enseignement scolaire, la formation professionnelle et l’enseignement supérieur, et le troisième concerne l’amendement de la vocation de certains établissements universitaires.

Un premier survol de cet avis consultatif laisse entrevoir un sérieux problème dans la manière de procéder du département en charge de l’Education nationale, plus précisément du staff qui travaille aux côtés du ministre de tutelle. Il révèle aussi un énorme hiatus entre le texte législatif et la réalité pratique, et trahit, en dernier ressort, une incapacité flagrante à assimiler la vision stratégique de la réforme de l’enseignement et de la loi-cadre qui le régit.

Le Conseil note que le projet de loi relatif à l’enseignement scolaire n’inclut pas toutes les questions en rapport avec les fonctions, les tâches, les composantes, la gouvernance, le financement et l’évaluation du système éducatif scolaire. Ce qui confirme la première remarque relative à l’incompétence du staff sur lequel le ministre s’est appuyé pour l’élaboration de projets de loi en lien avec la mise en œuvre de la loi-cadre. Au lieu d’émettre un avis sur certaines dispositions de ce projet, le Conseil a attiré l’attention du gouvernement sur la méthodologie d’élaborer un texte législatif, allant jusqu’à rappeler que le présent projet de texte est «censé évoquer les principes et dimensions liés à toutes les composantes de l’enseignement scolaire, ainsi que les prescriptions législatives l’encadrant, notamment la loi actualisée sur les Académies régionales d’éducation et de formation».  Soulignant l’impératif de tenir compte de la cohérence entre les textes et de l’avis 12/2021 émis par le Conseil à ce sujet, le CSEFRS relève la nécessité «d’élargir le cercle de concertations, à ce sujet, à l’ensemble des acteurs du système éducatif compte tenu de son importance, et de prendre en considération son caractère systémique ».

Une remarque à peine voilée de la part du Conseil qui, sur le ton d’un professeur qui explique au gouvernement la manière d’élaborer un texte de loi et de le mettre en œuvre à travers une approche expérimentale avant sa généralisation, pointe du doigt l’incompétence du staff du ministre et l’impératif d’opérer une refonte profonde au niveau de son Département, en vue d’y associer les compétences pédagogiques et juridiques concernées par les questions de l’éducation et de la formation.

Le Conseil ne s’est pas contenté d’un rôle d’aiguilleur pour le gouvernement au niveau méthodologique, mais ne s’est pas privé d’intervenir au niveau de la forme et du contenu, en mettant à profit les erreurs que les gouvernements précédents ne commettaient lors de l’élaboration et de la présentation des textes de loi. C’est que son sens que le conseil n’a pas hésité à faire la leçon au gouvernement en rappelant des évidences qui veulent qu’un projet de texte de loi requiert un préambule qui en définit les termes et en précise les objectifs et les finalités !

La deuxième remarque dans l’avis du Conseil sur le projet de décret relatif à l’orientation scolaire et professionnelle, au conseil universitaire et à la révision des prérogatives de certains établissements universitaires, fait ressortir que le gouvernement, et le Département de tutelle en particulier, semblent forger un autre concept de réforme qui n’a rien à voir avec la vision stratégique de réforme et les dispositions de la loi-cadre y afférant. Le CSEFRS considère que, par cette nouvelle version, le gouvernement présente un projet reposant sur une «approche circonstancielle, sélective et fragmentée » et qui se limite principalement à améliorer les composantes et les mécanismes du système actuel, sans rapport avec la réforme éducative globale préconisée par la vision stratégique et déclinée par la loi-cadre.

La troisième remarque, enfin, en lien avec la dissonance entre la loi et la réalité, se rapporte à l’avis du Conseil sur l’ingénierie linguistique et le projet de décret qui vise à en fixer les applications. Sur ce point, le Conseil estime que le projet s’est cantonné dans le rappel des objectifs et des principes fondamentaux liés à l’application de l’ingénierie linguistique, sans prendre la peine ni de les détailler, ni de les traduire, qualitativement et quantitativement, selon un calendrier précis, en procédures d’application. Le projet n’a ainsi pas d’identifié les parties et les responsables en charge de leur mise en œuvre. Le Conseil en conclut que le projet de décret manque de «données de base concernant la vision procédurale pour la mise en œuvre de l’ingénierie linguistique» à plusieurs niveaux.  A commencer par celui des principes et des piliers, en particulier la manière d’activer le principe d’équité et d’égalité des chances, en passant par les applications pédagogiques, notamment les contrôles relatifs au cadre de référence des cursus et aux référentiels des programmes et des formations. Il en va de même du rôle du comité permanent de révision des curricula et des programmes, de la terminologie et des concepts de base, des niveaux de référence et des indicateurs de maîtrise de la langue, des mécanismes et règles de la délivrance des certificats, et des ressources humaines. Au niveau des applications institutionnelles, le Conseil insiste sur les nécessaires coordination, cohésion et convergence entre les mesures des politiques publiques en matière éducative, les applications de l’ingénierie linguistique, les mécanismes de gouvernance et les conditions de leur mise en œuvre.

Reste que plus important, ici, ne sont pas tant les détails de l’avis du CSEFRS au sujet de l’ingénierie linguistique, du reste accessibles en langue arabe sur son site-web, mais plutôt le ton acerbe avec lequel le Conseil a formulé le paradoxe entre la réalité tangible et les ambitions du texte législatif. Venant d’une institution constitutionnelle concernée par les questions de l’éducation-formation, l’avis du Conseil témoigne, officiellement désormais, que la manière avec laquelle la généralisation de l’enseignement en langue française des matières scientifiques, tous niveaux et cycles confondus, était une mesure illégale. La loi stipule, en effet, une série de conditions de mise à niveau préalable avant l’entrée en vigueur de l’alternance linguistique. Or, ce prérequis n’a jamais été respecté, tant au niveau de la mise en œuvre graduelle et progressive du principe de l’alternance linguistique qu’au niveau des diagnostics relatifs aux compétences linguistiques et du degré de maîtrise des langues, ou du principe du choix optionnel de cette alternance linguistique, ou encore de précision et de distinction entre les niveaux scolaires.

Sans prendre des gants, le CSEFRS signale au gouvernement que l’implémentation, de facto, des principes de l’ingénierie linguistique est une pratique sans assise juridique. Et que, outre son caractère illégal, elle saborde le principe de l’équité et de l’égalité des chances, provoque la confusion et l’anarchie et expose le système éducatif à des secousses de grande magnitude. Le passage brusque, sans même réunir les conditions nécessaires à ce «switch» de l’enseignement des matières scientifiques en langue française, sans les conditions sine qua non soient réunies, pourrait bien expliquer la régression enregistrée récemment dans les résultats du Baccalauréat.

 

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