La diplomatie marocaine face au chantage d’Israël - Par Bilal TALIDI

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Le Roi Mohammed VI recevant au Palais royal de Rabat le 22 décembre 2020 la délégation américaine et israélienne

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Manifestement, Israël ne semble pas avoir saisi la portée symbolique de l’arbre généalogique de la dynastie alaouite que le Roi Mohammed VI a sciemment installé comme arrière-plan du cérémonial de la signature, le 22 décembre 2020 à Rabat, de l’accord tripartite Maroc-USA-Israël. En matière de gestion diplomatique, l’histoire du Royaume, du reste bien plus séculaire que celle de l’Etat hébreu fondé sur l’oppression et la spoliation, renferme un trésor d’expertise et d’enseignements qui lui permettent de contourner habilement les pièges dressés par les Etats connus pour leur penchant légendaire à renier les accords.

Il y a quelques jours, le ministre israélien des Affaires étrangères, Eli Cohen, a fait une déclaration surprenante dans laquelle il a lié la reconnaissance par Israël de la marocanité du Sahara à l’organisation par le Royaume du Forum de Néguev, assurant que son pays travaille actuellement sur cette question et qu’il prendra une décision définitive sur le conflit du Sahara lors du Forum.

Ce propos fait suite à une déclaration du ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, dans laquelle il a annoncé le report de la tenue du Forum de Néguev à la rentrée si et seulement si le contexte le permet. «Nous espérons que le contexte sera favorable à la tenue de cet évènement important d'une part, mais aussi à ce qu'il produise des résultats, d'autre part», a affirmé M. Bourita lors d'un point de presse à l'issue de ses entretiens, le 23 juin à Rabat, avec le Conseiller fédéral suisse, Chef du Département fédéral des Affaires étrangères, Ignazio Cassis.

Le ministre marocain a révélé, de manière claire les raisons réelles du report de ce Forum « porteur d'une idée de coopération et de dialogue, contraire à tout ce qui est action provocatrice, action unilatérale, ou bien décision portée par des radicaux des deux côtés, mais surtout du côté israélien, par rapport aux territoires arabes occupés ».

La partie marocaine n’a pas officiellement évoqué la question du Sahara et n’y a pas fait mention dans son explication du report, mais la diplomatie israélienne a préféré verser dans le chantage, en liant l’annonce de son soutien à la marocanité du Sahara à la tenue du Forum de Néguev.

Plus surprenant encore, Tel-Aviv n’a nullement révélé la nature de sa position, quant à savoir s’il s’agit d’une annonce définitive favorable à la marocanité du Sahara ou d’une réédition des propos du chef du Bureau de liaison israélien à Rabat, selon lesquels Tel-Aviv soutiendrait un accord juste entre le Maroc et le Polisario. On se rappelle comment ces propos ont agacé Rabat qui s’est mis à douter de la fiabilité de la partie israélienne, tenue par l’accord tripartite, non seulement d’apporter son soutien à la souveraineté du Royaume sur son Sahara, mais aussi son appui à mobiliser le soutien international à cette question. L’accord, parrainé par les Etats-Unis, est basé fondamentalement sur l’idée du rétablissement des relations Maroc-Israël, en échange de la reconnaissance par Israël de la marocanité du Sahara. Mais voilà que, trois ans après, Tel-Aviv n’a toujours pas honoré cet engagement, au moment où Washington n’a pas tardé à reconnaître sans équivoque la souveraineté pleine et entière du Royaume sur son Sahara.

Il y a près de deux ans, en octobre 2021, le chef du Bureau de liaison israélien à Rabat David Govrin, s’est essayé au même jeu, en liant la position de son pays sur le Sahara à l’autorisation d’établir une ambassade israélienne au Maroc, et évoqué parallèlement que Rabat n’avait pas, jusqu’ici, nommé d’ambassadeur en Israël, reparlant dans la foulée d’un accord juste entre le Maroc et le front Polisario au sujet du conflit du Sahara «occidental», sans aucune allusion à la souveraineté du Royaume sur son Sahara. Il est entré ensuite dans un tourbillon d’affaires qui l’ont amené à passer près d’une année à Tel-Aviv, sous le coup de poursuites pour implication dans une scabreuse histoire de harcèlement sexuel contre des femmes au Bureau de liaison à Rabat, selon une plainte comportant des données confirmées adressée par Rabat aux autorités israéliennes. Il n’est revenu au Maroc qu’en juin dernier pour passer sa dernière année en fonction dans ce que certains considèrent comme un semblant d’acquittement, alors que d’autres le considèrent comme une tentative israélienne de sauver la face. Quoi qu’il en soit, Tel-Aviv aura compris que toute tentative de chantage à l’égard du Maroc équivaut à un sale et vain jeu qui ne peut faire oublier que l’établissement d’une ambassade israélienne à Rabat est un parcours de combattant qui requiert de Tel-Aviv les prises de positions conséquentes.

Depuis la signature de l’accord tripartite, la politique de Rabat s’est articulée autour de trois fondamentaux : bénéficier de la technicité israélienne en matière de renforcement de son arsenal militaire le plus avancé au plan technologique, réduire la normalisation avec Israël à son niveau minimal (liaison aérienne, tourisme, investissement agricole) et position de principe sur la question nationale (Sahara marocain), et la cause palestinienne en conformité avec le droit international. Le but étant d’établir un équilibre entre les seuils plafond et plancher dans le processus de normalisation et d'éviter toute précipitation sur un parcours qui n’a pas encore réuni toutes ses conditions.

À plusieurs reprises, le Maroc a reporté la tenue du Forum de Néguev, qui devait réunir les ministres des Affaires étrangères des Etats-Unis, d’Israël, d’Egypte, des Émirats arabes unis, du Bahreïn et du Maroc, sans avoir à en expliquer les raisons et sans qu’Israël n’aille à des positions semblables à l’actuelle. Le fait nouveau est que la diplomatie marocaine a, cette fois-ci, déclaré une raison claire à ce report, en l’occurrence la politique israélienne qui n’encourage pas la paix et la stabilité dans la région. Rabat ne saurait, selon M. Bourita, s’engager dans un processus qui légitimerait les politiques israéliennes d’escalade et de colonisation au risque de mettre le Maroc dans l’embarras, du fait que le Royaume avait clairement annoncé que sa position restera inchangée vis-à-vis de la cause palestinienne et que l’accord tripartite ne pourrait se faire aux dépens des droits légitimes, et reconnus par la communauté internationale, du peuple palestinien.

Israël devait faire preuve de la plus grande retenue et s’orienter vers la désescalade dans la région, en vue d’encourager les parties arabes à se rendre au Forum de Néguev et de se mettre, par la même occasion, en phase avec le socle de l’accord tripartite : la reconnaissance de la marocanité du Sahara. En lieu et place, Tel-Aviv semble avoir cédé aux sirènes du chantage en faisant le lien entre la tenue du Forum et l’annonce d’une position définitive au sujet du Sahara, sans même en préciser la nature. Rabat, qui ne connaît que trop les ficelles de ce jeu trouble, ne pouvait donc se risquer sur la voie du processus de normalisation sans avoir une réponse claire sur la base fondamentale sous-tendant cette normalisation. Ainsi, le Maroc n’a pas répondu à la demande israélienne sur l’établissement d’une ambassade à Rabat et ne s’est pas empressé d’organiser le Forum de Néguev, préférant plutôt s’en tenir à une ligne de réserve.

L’intelligence marocaine dans la gestion de cette situation a acculé Israël à sortir de son terrier et à annoncer sa vision du processus de normalisation, celle qui n’engage en rien Tel-Aviv à concéder une quelconque position qui tienne compte des intérêts vitaux de l’Etat partenaire. La preuve en est la position du ministre israélien des AE qui, faisant le lien entre la normalisation et la question du Sahara, a exigé la tenue d’abord du Forum de Néguev au cours duquel Israël devrait annoncer sa position définitive au sujet de ce conflit du Sahara. Ceci, alors même qu’il n’a pas précisé le fond de cette position et la nature de ses avancées sur la reconnaissance de la marocanité inaliénable du Sahara conformément aux accords tripartites. 

L’interprétation de la position marocaine, depuis la signature de l’accord avec Israël, laisse entendre que Rabat ne saurait s’impliquer dans la tenue du Forum de Néguev, en attendant une position israélienne définitive, dont on ignore tout. Le Maroc a déjà refusé l’établissement d’une ambassade israélienne à Rabat, tant que. Et le ministre Bourita a rappelé que le Maroc avait déjà ouvert par le passé un Bureau de liaison israélien à Rabat avant d’en ordonner la fermeture. Ce qui laisse clairement entendre que l’accord avec Israël n’est ni irréfragable, ni irrévocable, à fortiori s’il ne tient pas compte des intérêts vitaux du Royaume.

 

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