Et si pour regarder le Maroc, Macron quittait son GAB - Par Talaâ Saoud ATLASSI

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Macron

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L'Etat algérien, la gesticulation permanente – Par Talaa Saoud Atlassi*

L’ambassadeur de France à Rabat, Christophe Lecourtier, a livré, dans un entretien avec le quotidien francophone L’Économiste du 10 juillet, ses perceptions de la relation de son pays avec le Maroc. J’ai beau essayer de suivre les échos de cet entretien dans la presse marocaine, en vain. Une ou deux à peine, ou alors je n’en ai pas vus, car dépassé par la formidable floraison éditoriale de la presse nationale. 

J’ai néanmoins demandé à des amis dont je connais la vigilance en matière de suivi des questions politiques en général et des relations franco-marocaines en particulier. Leur réponse m’a confirmé le désintérêt qu’ils portent à ce sujet, alors que pour d’autres, c’est une sortie médiatique qui n’apporte pas grand-chose à l’état actuel de ces relations. 

Autres temps, autres attitudes ! Il y a un peu plus d’une décennie, l’élite marocaine, professionnels des médias compris, accordaient la plus haute importance à ce qui venait de France et passait au peigne fin tout ce que la presse de l’Hexagone publiait au sujet de l’actualité française, notamment celle en lien avec le Maroc. Visiblement, dans l’esprit de cette élite, la place de la France a pris le parcours d’une peau de chagrin.

D’autres préoccupations focalisent désormais l’intérêt des Marocains. Le Maroc vient évidemment en tête, le pays ayant accumulé des acquis, des capacités de manœuvre et de mouvement, d’évolution et d’autosuffisance. L’élite marocaine s’est ainsi libéré du regard de l’Autre, la France nécessairement, pour appréhender l’actualité marocaine. 

Il y a deux décennies, un article de cinq paragraphes dans un journal français pouvait préoccuper l’Etat et l’opposition, les milieux politiques et économiques au point d’égayer ou d’agacer les uns et les autres, selon les circonstances. C’est une période révolue. Les choses ont changé et pratiquement plus rien ne perturbe la sérénité des Marocains : ni les spéciaux de la presse hexagonale, ni les livres français, ni même l’interview des ambassadeurs de France à Rabat, se comportant souvent en ‘’résidents généraux’’.

On peut objecter que la rédaction et la publication de cet article contredit ce qui est avancé plus haut. Ce n’est qu’une apparence, l’objectif de cet article est de faire comprendre à ‘’qui de droit’’ qu’il n’a pas saisi l’évolution de l’état d’esprit marocain et que s’il estime nécessaire de s’exprimer qu’il sorte des sentiers battus et rebattus de la France est ‘’le premier machin’’ au Maroc et le ‘’plus truc’’ d’on ne sait quoi. 

Le Maroc n’est plus sous « l’emprise » de la France. Sa volonté de diversification de ses partenaires l’a émancipé de cette prééminence, l’a immunisé et l’a conforté dans ses choix souverains. Le Royaume en est sorti plus fort, avec une attractivité économique et politique qui lui a permis d’élargir et de diversifier ses relations internationales et de modifier les paramètres qui les sous-tendent. Les Marocains et leurs élites ont élargi le spectre de leurs préoccupations se sont recentrées sur leurs propres intérêts, enfin bien compris, et leurs yeux se sont ouverts sur d’autres horizons : l’Espagne, les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Italie, le Nigeria...

Dans cette nouvelle construction, la France n’a plus la place d’antan, et Paris n’est plus la Mecque. Elle conserve, certes, une importance adossée à une plus ou moins longue histoire de relations privilégiées, mais elle ne dispose pas des leviers de l’avenir. Et il semble que cette question de l’avenir est une problématique bien française, non pas uniquement avec le Maroc, mais, et c’est le plus grave, dans le rapport de la France à elle-même. 

Les secousses, les conflits, les déchirures sociales qui tiraillent la France, la baisse de la qualité de ses différents depuis des années, le lent mais inexorable déclassement du ‘’rang de la France’’, expriment probablement les réponses erronées que les Français apportent aux questions que leur pose leur présent et sur lesquelles les interpellent leur avenir. 

Il y a un peu moins de deux décennies, l’Etat français devait faire face aux signes précurseurs de la crise de son avenir, de sa texture sociale et de sa place dans le concert des nations. Pour y faire face, « L’Etat profond » a jeté son dévolu sur la composante financière en son sein, en proposant Emmanuel Macron comme chef de l’Etat, avec l’espoir de palier le déclin de la gauche gouvernementale, l’affaiblissement de la droite sous le prétexte déclaré d’arrêter l’avancée inexorable de l’extrême-droite. À l’arrivée, Macron a délogé la gauche des rouages de l’Etat pour l’exiler dans les allées stériles du populisme, phagocyté la droite ‘’républicaine’’ réduite à une portion congrue, et attisé la voracité de l’extrême-droite de plus en position de prendre l’Élysée qu’elle assiège. 

L’Élysée qui, pour boucler la boucle des Gilets jaunes et des affrontements sur la réforme de la retraite, a mis l’Etat dans une confrontation ouverte avec plus de sept millions de Français, oui bien des Français d’origine africaine, et plus particulièrement de l’Afrique du Nord. Soumise à un macronisme qui se déclare ‘’sans tabou’’, la France, pour répondre à des questions du présent, renoue avec les procédés de son passé d’oppression et de persécution. Elle recourt aux procédés dont elle a usé dans ses anciennes colonies au moment de la lutte pour les indépendances. Alignés, les médias, tous statuts confondus, officiels et officieux, occultent les scènes sanglantes et censure les cris et gémissements de femmes et d’adolescents français, sous les coups des forces policières. 

‘’Dans le berceau des droits de l’Homme’’, on ne lésine pas sur la matraque et les dépassements de toutes sortes... On en est pour la célébration de la fête nationale du 14 juillet, à mobiliser 130 mille agents des forces de police, alors que des villes ont plus simplement annulé les festivités. Manifestement, les temps ne sont plus à la fête.

Certains au sein de l’Etat français demandent le rapatriement vers leurs pays d’origine de ces Français qui portent les Raisins de la colère. Dans un comportement de ce qu’il y a de plus autoritariste, M. Macron ira plus loin, en menaçant de bloquer l’accès Internet aux réseaux sociaux pour étouffer la contestation.

Il est regrettable que la France, déjà incapable d’aborder les questions et les défis de l’avenir, soit poussée par son « Etat profond » à réchauffer les réponses du passé, au risque de décrocher des évolutions actuelles du monde, de ses nouveautés et ses impératifs. En se dressant en opposition frontale avec une partie de ses citoyens, l’Etat français aggrave davantage leur marginalisation sociale et perd, du même coup, son aptitude à se mesurer à d’autres Etats européens qui, par la voie démocratique, ont su intégrer autrement toutes leurs composantes sociales. 

L’Etat français se trouve devant un isolement complexe où il ne jouit ni de conviction en interne, ni d’aura à l’étranger. Il en est à se faire admonester par Amnesty International et les Nations Unies. À l’international, la France en est réduite à jouer les supplétifs, sans réelle influence sur le façonnement du nouvel ordre mondial. De plus en plus brocardée en Europe, elle est carrément décriée en Afrique. 

Avec le Maroc, l’Etat français a longtemps pris sa présence historique comme une « assurance tous risques » à vie qui lui permet de s’y maintenir indéfiniment, sans contrepartie aucune, s’autorisant même des écarts. Une grossière erreur. Le Roi Mohammed VI n’a pourtant pas cessé, dès son accession au Trône, de bâtir, de mener et de réaliser son projet historique de réforme sur la base du renouvellement, depuis le nouveau concept d’autorité jusqu’aux autres concepts tout aussi novateurs dans les champs politique, économique et social, en passant par les relations extérieures du Royaume. La France ne s’est pas intéressée à l’ampleur de ces réformes, et quand elle l’a fait elle en a minimisé à dessein la portée. 

À aucun moment, le Souverain n’a cherché duper ‘’l’amie France’’. C’est la France qui n’a tout simplement pas voulu comprendre. Ce faisant, elle s’est interdit de trouver la bonne réponse à la question de l’avenir et n’a pas tenu compte de l’appel du Maroc à interagir avec ces réformes. Sur la question du Sahara marocain, elle s’est limité au service minimum, estimant qu’il suffirait indéfiniment à l’exonérer de sa responsabilité historique et que Rabat continuerait perpétuellement à se montrer accommodant. 

Ce territoire marocain est un vaste chantier productif pour l’avenir, et à aucun moment le Maroc n’a fait mystère de ses intentions. En aparté, puis publiquement et clairement, il a avisé tous les partenaires de sa résolution de linker l’unité de la patrie et les coopérations bilatérales. Il a appelé tous les partenaires intéressés par l’unité du pays à contribuer au développement de ce territoire s’ils veulent bénéficier des opportunités qu’il offre et plus particulièrement au Sahara. 

La France aurait dû être la première à clarifier davantage sa position au sujet de l’intégrité territoriale du Royaume, elle qui dispose dans ses archives de toutes les preuves à ce sujet et des amputations subies de son fait colonial par le territoire national.

Dans ses réponses, l’ambassadeur français s’est interrogé s’il existe réellement une crise entre la France et le Maroc. Un peu à l’image de son président, il semble incapable de voir le Maroc tel qu’il est dans sa réalité, ses ambitions et ses potentialités, pas plus qu’il ne veut ouvrir ses yeux sur la profondeur de la crise entre les deux pays. 

La France a, certes, été pionnière à soutenir au sein du Conseil de sécurité la proposition marocaine d’autonomie pour résoudre le conflit autour du Sahara marocain. Mais pas aussi nettement que le Maroc le souhaitait. Il n’empêche qu’il est aussi vrai que cette position a eu un impact en son temps. Mais une autre puissance mondiale de taille a considéré que la proposition marocaine est l’unique solution sérieuse et possible au conflit, avec tout ce que cela implique de significations politiques pour la marocanité du Sahara. 

Paris ne s’est pas seulement montré réticent à suivre, mais la diplomatie française n’a pas hésité à monter que cette évolution, qui la privait d’un moyen de pression, lui déplaisait au plus haut point. Et même lorsque la position de la communauté internationale a évolué en faveur d’une solution sur la base du droit du Maroc sur son territoire et de son plan d’autonomie, le plus équitable pour mettre un terme à ce conflit, Paris a persisté à regarder ailleurs pour ne pas dire a tout fait pour indisposer Rabat au niveau international et plus particulièrement dans ses relations avec l’Union Européenne. 

 Le démenti apporté par l’ambassadeur de France à ces vérités, n’est qu’une autre façon de signer et persister, préférant reproduire un discours éculé, qui exprime la position du Quai d’Orsay et de celle du président Macron, prenant plaisir à égrener les ‘’faveurs de la France’’ à l’égard du Maroc au Conseil de sécurité. C’est à croire que M. Macron, en pur produit de la banque, exprime sa position sur le modèle d’un prêt hypothécaire ouvert accordé à un vieux client avec des taux d’intérêt non seulement usurier, mais indus. 

La France est en passe de perdre le Maroc et de dilapider, dans la foulée, ses chances de tirer profit des retombées de son essor multiforme. Le Maroc est une opportunité, encore faudrait-il que M. Macron quitte son siège d’agent bancaire, tapis derrière un distributeur automatique, pour voir le Royaume dans toute sa réalité, toute sa vitalité, et le considérer d’une manière politique qui va au-delà des calculs qui ont montré à l’intérieur comme à l’international ce qu’ils ont d’erroné.

 

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