NOUVEAU MODELE DE DEVELOPPEMENT ET CHANGEMENT DE PARADIGMES EN MATIERE DE MARINE MARCHANDE - PAR Abdelfattah BOUZOUBAA, 

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Le contexte du transport maritime au Maroc est marqué par la libéralisation totale du transport maritime en 2007, sans mesures d’accompagnement pour les armateurs marocains. 

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La nécessité de concevoir un Nouveau Modèle de Développement (NMD) s’est imposée après que l’on soit arrivé à la conclusion que malgré les progrès réalisés dans divers secteurs, il fallait changer de modèle pour que le Maroc se développe aussi vite et aussi bien que souhaité dans les domaines économique et social. 

Le rapport sur le NMD ne donne pas de recettes toutes faites mais il a, entre autres, identifié les idées forces qui doivent inspirer, guider la réflexion et animer les actions des différents acteurs du développement économique et social du pays. Il s’agit notamment : D’effectuer des transformations systémiques, de rénover les stratégies, d’impulser un nouveau souffle, de libérer les énergies… 

En matière de marine marchande, ceci ne peut se réaliser sans un changement de « mindset » et sans l’adoption de nouveaux paradigmes. 

COÛT DES FACTEURS

Les auteurs du rapport sur le NMD ont identifié deux facteurs dont il faut réduire le coût pour améliorer la compétitivité internationale de l’économie marocaine à savoir l’énergie et la logistique. 

Mais, ne produisant pas d’hydrocarbures et ne contrôlant pas de marine marchande (maillon le plus important des chaines logistiques), le Maroc est pleinement exposé aux turbulences des marchés de l’énergie et du fret. Selon la conjoncture, il peut subir de plein fouet la hausse simultanée des coûts de ces deux facteurs. 

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Si les possibilités d’action sur le coût de l’énergie importée sont quasiment nulles, il y a une marge appréciable de réduction des coûts logistiques qui représentent 20°/° environ du PIB. 

Pour un pays comme le Maroc qui est pratiquement une ile dont 95°/° des échanges extérieurs transitent par la mer, la marine marchande est le maillon sans lequel il n’y a tout simplement pas de chaîne logistique.

L’épidémie de Covid-19 a démontré, à ceux qui l’ignoraient encore, l’importance vitale de la marine marchande quand ils ont vu le coût du fret multiplié par 10, entrainer le renchérissement du coût des importations et nuire à la compétitivité des exportations. 

Comme cela se produit à chaque fois qu’il y’a des tensions géopolitiques, une sècheresse ou une pandémie, les grands armateurs (mega carriers) ont engrangé en quelques mois des bénéfices exorbitants. 

Ces bénéfices leur ont permis de poursuivre leur intégration verticale par l’acquisition de services de transport, de manutention, de stockage et de livraison en amont et en aval du transport maritime pour accroitre leur contrôle du trafic « door to door » au détriment des commissionnaires de transport et autres transitaires. 

CONTEXTE NATIONAL

Le contexte du transport maritime au Maroc est marqué par la libéralisation totale du transport maritime en 2007, sans mesures d’accompagnement pour les armateurs marocains. 

Ceux-ci se sont retrouvés pratiquement du jour au lendemain confrontés à une concurrence étrangère ne souffrant pas des mêmes tares réglementaires, administratives et fiscales. L’armateur public, Comanav, a été cédé au 3eme plus grand armateur mondial pour 20O millions d’Euros et les armateurs privés ont été abandonnés à leur sort. 

A contrario, la libéralisation du transport aérien a été conduite à doses homéopathiques avec comme objectif de doper le trafic touristique tout en préservant les lignes desservies par RAM et en établissant avec elle des contrats programmes lui permettant de s’adapter à l’open sky, de renouveler et de développer sa flotte. La situation géographique du Maroc au carrefour des axes de trafic mondiaux Est-Ouest et Nord-Sud a facilité l’absorption du trafic marocain par les grands armateurs de navires porte-conteneurs (mega carriers). 

Pour les opérateurs internationaux du transport maritime, la position géographique du Maroc et la variété de ses échanges commerciaux en font une plateforme de transbordement idéale, sans déviation pour les grands navires porte-conteneurs, et une destination qui offre un trafic de complément, sans déviation, pour les navires de ligne opérant sur les axes Nord-Sud et Est-Ouest. 

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C’est également une destination qui permet aux navires de vrac sec et liquide arrivés chargés au Maroc de trouver des cargaisons à charger à l’export. 

La bonne connectivité du Maroc, dans le top 20 mondial, n’incite pas naturellement à se préoccuper de l’absence de marine marchande sous contrôle marocain. C’est le revers de la médaille. 

Il ne faut donc pas s’étonner de la participation quasi-nulle d’intérêts marocains au transport de nos échanges extérieurs qui occasionne une dépense annuelle de fret en devises évaluée à 45 milliards de dirhams payée aux armateurs étrangers. La participation d’intérêts marocains au transport de passagers sur les lignes Maroc-Sud Europe est également très faible. 

Au niveau portuaire, le Maroc a su tirer profit de sa position géographique avantageuse grâce à la stratégie portuaire nationale à l’horizon 2030. La mise en œuvre progressive et souple de cette stratégie, qui a nécessité des investissements se chiffrant en dizaines de milliards de dirhams, a permis de faire face à l’augmentation du trafic national et de participer à des trafics internationaux. C’est ainsi que le tonnage annuel transitant par les 14 ports marocains ouverts au commerce extérieur a dépassé pour la première fois 200 millions de tonnes en 2023.

 CADRE OPÉRATIONNEL 

Le secteur maritime marocain est en crise depuis le début des années 2000. La flotte de commerce sous pavillon marocain s’est beaucoup réduite et ne compte plus qu’une quinzaine de navires, soit le même nombre qu’au lendemain de l’indépendance. 

Pour assurer de nouveau le contrôle de navires de commerce par des intérêts marocains et prendre une part des quelques 45 milliards de DH que coute le transport maritime de nos échanges extérieurs, il faut adopter un nouveau « mindset » et s’inspirer des idées forces prônées par les rédacteurs du rapport sur le NMD à savoir : l’audace, la libération des énergies, la confiance et la responsabilité… 

Ce nouveau « mindset » doit favoriser la conception et la mise en place d’un cadre législatif et fiscal attractif qui tienne compte du fait que la marine marchande est une activité mondialisée et que 80 °/° environ de la flotte de commerce mondiale est sous pavillon de libre immatriculation. 

CADRE FISCAL

En vertu du régime fiscal en vigueur, une compagnie maritime marocaine est imposée de la même manière que toute autre société même lorsqu’elle opère à l’international. 

L’armateur marocain est ainsi soumis à l’impôt sur les sociétés au barème général. Lorsqu’il affrète un navire à temps, il est soumis à une retenue à la source de 10°/° du montant du loyer. Les marins marocains sont quant à eux soumis à l’impôt sur le revenu…. 

Or les armateurs de la flotte de commerce mondiale, qui est opérée à 80°/° sous pavillon de libre immatriculation, ne sont soumis qu’à une taxe de tonnage forfaitaire annuelle et les marins travaillant sur ces navires ne sont pas soumis à l’impôt sur le revenu. 

NOUVEAUX PARADIGMES

Même si on fait le constat que 80 °/° environ de la flotte de commerce mondiale est sous pavillon de libre immatriculation, au Maroc on reste attaché à des idées anciennes sur ce que représente le pavillon qui flotte à la poupe d’un navire de commerce. On continue à lui associer des notions de souveraineté, de prestige, d’extension du territoire national, de fierté, etc… 

Or en matière de marine marchande, l’important n’est plus le pavillon, l’important c’est de contrôler le navire, d’être bénéficiaire de son exploitation, de former des compétences maritimes et de disposer d’une flotte stratégique… 

Depuis déjà longtemps, pour les armateurs qui contrôlent 80°/° environ de la flotte de commerce mondiale, le pavillon arboré par un navire de commerce est uniquement un «service» offert par divers États dont certains ne sont même pas côtiers. Parmi ces États, certains immatriculent dans leurs registres une flotte sans commune mesure avec les besoins de leur commerce extérieur, tels que Panama, Libéria, Iles Marshall… 

L’armateur choisit le pavillon qu’il veut pour son navire en fonction de critères objectifs : Exigence de la banque qui finance le navire, fiscalité, cadre législatif, qualité des services administratifs, « ranking » du pavillon en matière de sécurité, etc… 

Par conséquent, si nous voulons participer au transport de nos échanges extérieurs et créer une génération d’armateurs marocains opérant à l’international, il ne faut pas beaucoup d’audace pour reconnaitre qu’il faut leur permettre d’opérer avec les mêmes outils que leurs concurrents, à savoir constituer des sociétés d’armement et immatriculer leurs navires sous un pavillon de libre immatriculation de leur choix. 

Ces armateurs resteraient liés au Maroc par des liens à définir, notamment en matière de contrôle des changes. Ils pourront alors opérer sur un pied d’égalité avec leurs homologues étrangers. Le Maroc y gagnera une flotte sous contrôle national mais pas nécessairement sous pavillon marocain. Il y aura de nouvelles possibilités de cultiver des compétences et un savoir-faire national en matière de marine marchande. 

Ce changement de paradigmes se justifie par le fait qu’en trafic international, on ne peut pas concurrencer un navire sous pavillon de libre immatriculation avec un navire sous pavillon marocain. Le registre d’immatriculation marocain tel qu’il est actuellement impose beaucoup de servitudes et n’offre aucun avantage en échange. 

Une autre solution serait la création à Tanger d’un pavillon marocain « bis » offrant les mêmes avantages que les meilleurs pavillons de libre immatriculation. La mise en place de cette solution risquerait cependant de prendre du temps. 

Le registre d’immatriculation marocain actuel ne doit concerner que les navires faisant du cabotage ou assurant le transport de passagers. 

En effet, les armateurs opérant au cabotage bénéficient d’une réservation de trafic et les armateurs de navires à passagers bénéficient de mesures de partage de trafic. Ces avantages justifient leur soumission à un régime différent de celui applicable aux armateurs opérant à l’international. 

Le registre d’immatriculation marocain doit cependant être réformé pour se rapprocher autant que possible des meilleures pratiques internationales. 

RÉSULTATS ATTENDUS 

Les résultats attendus de ce changement de paradigmes en matière de marine marchande sont la participation d’intérêts marocains au transport maritime de nos échanges, la constitution d’une flotte stratégique sous contrôle d’intérêts marocains mais pas nécessairement sous pavillon marocain et enfin la formation de cadres pour remplir à terre les fonctions qui ne peuvent être assurées que par un personnel qui est passé par la « case navigant » : pilotes, officiers de port, inspecteurs de la navigation, professeurs de l’enseignement maritime, etc…

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