Erdogan et Gaza : la posture à l’épreuve des faits

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Erdogan entre le verbe dénonciateur et les actes complices, il y a bien plus qu’un hiatus

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Dès le déclenchement de la guerre israélienne contre les Palestiniens, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a cherché à se positionner en leader de la solidarité avec le peuple palestinien et de la dénonciation d’Israël sans n’avoir jamais rien fait que gesticuler et surenchérir sur les capitales arabes. Ce port du slogan très haut a même été assorti d’une campagne et de trolles sur les réseaux sociaux pour le montrer comme l’unique et le vrai soutien de la Palestine. Pourtant ce verbe haut, plus haut que… n’était assorti que d’actes bas, se ce n’est vils contre on le rapporte à la geste erdoguienne. 

C’est un journaliste turc, installé en Allemagne, Metin Cihan, qui a suivi dans la pratique sur quoi débouche la logorrhée turque. Pendant, deux mois, rapporte le journal français Le Monde, il a suivi les mouvements « des navires qui transitent des ports turcs vers Israël. 

Il en ressort que « les autorités turques ont beau qualifier publiquement Israël d’“Etat terroriste” et accuser les Occidentaux de “double standard”, ils n’ont absolument rien changé à leurs affaires, avance le journaliste. Les flux de marchandises, comme l’acier et le pétrole, qui alimentent pourtant la machine de guerre de Tel-Aviv, se poursuivent comme si de rien n’était, mettant en évidence l’hypocrisie et le double discours des dirigeants. »

Depuis le déclenchement des frappes, Metin Cihan a répertorié un total de 450 navires partis de Turquie vers Israël. Avec l’aide de la base de données du site Marinetraffic.com, il pointe les expéditions quotidiennes de Limak Holding, un géant industriel connu pour être lié aux cercles du pouvoir, depuis le port d’Iskenderun. Celles aussi, régulières, partant du port stambouliote Ambarli Akçansa, de l’important Sabanci Group. Sur le chantier naval de Sefine, installé au bord de la mer de Marmara et propriété de Kolin Holding, proche du gouvernement, s’effectue, selon les recherches du journaliste, la maintenance du pétrolier chargé d’acheminer le carburant aux avions de chasse israéliens.

Le Monde ajoute qu’à force d’exploiter les données, Metin Cihan repère un navire effectuant des transports fréquents vers Israël et appartenant à un certain Ibrahim Güler, un ancien président de la formation au pouvoir, le Parti de la justice et du développement (AKP), de la province du Hatay. Il découvre aussi que l’entreprise Pamukkale Kablo, propriété de Mustafa Semerci, dirigeant fondateur du Parti de la grande union (BBP), une formation ultranationaliste d’extrême droite membre de la coalition gouvernementale, a continué, après le 7 octobre, à fournir des câbles à l’Etat hébreu. Le BBP s’était pourtant fait remarquer ces dernières semaines pour ses appels au boycott d’Israël dans son ensemble et ses descentes musclées contre des cafés Starbucks, pris pour cible pour leur soutien supposé à Tel-Aviv.

Et puis, le journaliste identifie que la société de transport Manta Shipping poursuit, elle aussi, ses activités avec Israël. L’entreprise appartient à Mert Cetinkaya, « un associé de Burak Erdogan, le fils du président », précise Metin Cihan. « J’ai partagé toutes mes sources et mes méthodes d’investigation. C’est irréfutable, et cela n’a pas été démenti. La compagnie a déclaré que le commerce avec Israël se poursuivait et qu’ils ne pouvaient rien y faire parce qu’un contrat avait été conclu avant la guerre. » Quelques jours plus tard, il révèle qu’Erkam Yildirim, le fils de l’ancien premier ministre Binali Yildirim (AKP), est un associé d’Oras Shipping, une compagnie maritime commerçant avec Israël.

A Ankara, les tweets de Metin Cihan ont fini par provoquer des remous dans les rangs politiques, indique encore Le Monde. L’ancien ministre des affaires étrangères de l’AKP et ancien premier ministre Ahmet Davutoglu a vertement critiqué le gouvernement et les hommes d’affaires qui poursuivent leurs activités avec Israël. Au Parlement, l’opposition a demandé des comptes au gouvernement. Et plusieurs quotidiens ont repris dans le détail les listes de marchandises et de biens exportés ou réacheminés ainsi chaque mois.

Interrogé par Al-Jazira, le ministre du commerce, Omer Bolat, a affirmé que les échanges maritimes entre les deux pays avaient baissé de plus de 50 % au mois de novembre. « Le chiffre est plutôt de 40 %, corrige Metin Cihan, et surtout cette réduction n’a rien à voir avec une volonté politique de limiter les relations avec Israël ou d’un éventuel boycott comme le sous-entend le ministre. Cette baisse n’est que le résultat des effets induits par un conflit de ce type, comme le confirment les spécialistes. Les échanges commerciaux entre la Turquie et Israël se poursuivent sans interruption. »

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