Les dessous de la visite de Joshua Harris à Alger - Par Bilal TALIDI

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Le sous-secrétaire adjoint américain pour l’Afrique du Nord, Joshua Harris à Alger avec le ministre des Affaires étrangères algérien Ahmed Attaf

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La visite, cette semaine à Alger, du sous-secrétaire adjoint américain pour l’Afrique du Nord, Joshua Harris, suscite de nombreuses interrogations sur son contexte et son timing, pour déterminer si elle concerne les relations algéro-américaines ou elle s’inscrit dans une vision stratégique américaine en rapport avec la région.

Avant le déclenchement de la guerre israélienne contre Gaza, d’importantes mutations ont secoué la zone sahélo-saharienne, modifiant au passage l’équation sécuritaire, militaire et stratégique de la région. Nul doute que les putschs survenus au Mali, au Burkina Faso, au Niger et en Centrafrique, ont été des signaux révélateurs de l’extension de l’influence russe dans la région, alors que le coup d’Etat au Gabon a été considéré comme un simple changement dans la structure du Pouvoir.

Durant la période antérieure à la guerre israélienne contre Gaza, la stratégie USA-UE consistait à exercer plus de pression sur l’Algérie pour lui interdire de fournir un soutien logistique à la Russie dans la région. La carte du gaz a permis à Alger d’Alger la pression, évitant à l’Occident une confrontation directe avec les dirigeants du Palais El Mouradia. Washington et les capitales européennes ont, en effet, réussi à convaincre l’Algérie, qui ne demandait que ça, de contrer les visées russes dans la région, à travers particulièrement la fourniture du gaz nécessaire à l’Europe.

En représailles, Moscou a gelé le soutien de la candidature d’admission de l’Algérie aux BRICS, le ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, ayant déclaré à l’époque que l’adhésion à ce groupement était ouverte aux pays respectant des critères précis, dont «le prestige de l’Etat, son poids politique et sa position internationale».

La situation antérieure à la guerre israélienne contre Gaza était régie par les paramètres de cette équation, mais d’autres développements survenus depuis, ont sorti une partie de pays de la zone sahélo-saharienne des équations américaines. Des indications US laissaient clairement comprendre l’absence de garanties suffisantes contre d’éventuelles nouvelles menées dans la région si une intervention rapide n’était pas conduite pour neutraliser les agissements de l’Algérie et régler ses tensions avec le Maroc.

Malgré la décision unilatérale d’Alger de rompre ses relations diplomatiques avec Rabat et en dépit de sa propension à passer de l’escalade au conflit armé, les relations entre les deux pays sont restées, avant la guerre contre Gaza, dans la limite de la surtension verbale, sans répercussions significatives sur le terrain.

Immédiatement, toutefois, après la guerre contre Gaza, la gestion du conflit a pris une nouvelle tournure, après que le front Polisario ait ciblé les civils de la ville d’E-smara par deux attaques en l’espace d’une semaine, entre le 28 octobre te le 5 novembre. Des médias proches du Polisario ont relayé la décision d’étendre des opérations de combats «qualitatifs» à l’intérieur même des villes marocaines. Ce à quoi le Maroc, par la voix de l’ambassadeur, représentant permanent du Royaume auprès des Nations unies, Omar Hilale, a réagi avec fermeté, assurant que ces « attaques ne resteront pas impunies».

Ces faits éclairent le contexte actuel de la visite à Alger du sous-secrétaire adjoint américain pour l’Afrique du Nord, de même qu’ils révèlent l’appréhension américaine de devoir faire face simultanément à deux défis sécuritaires majeurs. Le premier concerne la situation à Gaza, avec l’invocation de l’Article 99 par le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, et le second se rapporte à une guerre entre le Maroc et l’Algérie. Un scénario contre lequel l’ONU a toujours mis en garde, au vu de ses répercussions sur la stabilité de l’ensemble de la région, y compris le voisinage européen.

On peut légitimement s’interroger sur la nature du rapport entre la guerre contre Gaza et la région maghrébine ou la zone sahélo-saharienne ? La réponse est à rechercher du côté américain et d’une partie de l’UE qui, pour avoir orienté leur soutien à Israël au lieu de l’Ukraine, ont permis à Moscou de se délester d’une partie des pressions. Désormais, la Russie apparait en mesure d’étendre son influence dans la zone sahélo-saharienne, tandis qu’à Alger, la baisse des pressions occidentales offre une plus large marge de manœuvre pour fournir l’appui logistique à Moscou, dans la perspective d’obtenir son soutien lors d’une prochaine candidature d’adhésion aux BRICS à laquelle Abdelmadjid n’a renoncé que pour sauver la face.

En face, le Maroc a en main deux cartes dans la gestion du conflit avec le voisin de l’Est. La première porte sur le renforcement de ses relations avec les Emirats arabes unis, la visite royale à Abou Dhabi ayant en effet conforté la réalisation de deux projets majeurs en faveur de la cause nationale, en l’occurrence le projet du gazoduc Nigeria-Maroc et le port atlantique de Dakhla. La seconde se rapporte aux répercussions de la guerre contre Gaza et particulièrement au processus d’une normalisation avec Israël toujours à ses débuts. Rabat sans pousser sa dénonciation des crimes de guerre l’Etat hébreu contre les civils palestiniens à son aboutissement logique, la remise en cause de la normalisation, a en même temps pris des positions fermes ouvertes sur toutes les possibilités. Dans les deux cas de figure, le Maroc a pour l’instant habilement joué ces deux cartes, ce qui lui a permis de consolider ses positions économiques au Sahara et de remporter auprès des Américains un marché d’armement de pointe pour renforcer les capacités militaires de ses forces armées.

C’est dans ce sillage qu’il faudrait placer la visite à Alger de Joshua Harris, qui devrait également passer très prochainement par Rabat. C’est une partie très serrée  et fort tendue qui se déroule ainsi  sur fond du souci stratégique américain de sécuriser la région et d’éviter un séisme parallèle à celui en cours au Moyen-Orient qui, le cas échéant, ferait perdre à Washington beaucoup de ses latitudes face aux interventions de la Russie et de la Chine.

La visite de M. Joshua et ses perspectives restent ouvertes sur les options : a minima, réduire la tension entre Rabat et Alger au seuil antérieur à la guerre israélienne contre Gaza et, au maximum, convaincre l’Algérie de trouver une solution définitive à son conflit avec le Maroc. Peut-être que le signal contenu dans le dernier discours du Trône au sujet de la côte atlantique servirait de prélude de solution puisqu’il propose des offres d’investissement sur cette façade maritime qui pourrait profiter à l’Algérie au même titre que les pays de la zone sahélo-saharienne !

Cela étant, l’enjeu stratégique de la diplomatie américaine ne consiste pas à parvenir à une résolution définitive du conflit entre le Maroc et l’Algérie. Tout au plus, Washington cherche-t-il à en réduire pour le moment l’intensité de manière à ce qu’il ne profite pas outre mesure à la Russie.

Tout porte à croire que la visite à Alger du sous-secrétaire adjoint américain pour l’Afrique du Nord consiste à convaincre Alger de suspendre ce qu’il appelle «options militaires» contre les villes marocaines et de l’amener à adhérer sérieusement aux tables rondes pour le règlement de la question du Sahara. En contrepartie, l’Algérie obtiendrait la garantie américaine que les relations maroco-israéliennes, autant que les relations maroco-émiraties, ne seraient en aucun cas contre sa sécurité et sa stabilité.

 

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