Economie : Les possibilités du Maroc et les limites du gouvernement

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De 2008 ? 2013 le Maroc a montr? une capacit? incomparable ? g?rer les r?percussions de la crise mondiale et ??le printemps arabe??. Ce qui a caract?ris? cette gestion, c'est qu'elle a cherch? ? transformer des risques en opportunit?s en se lan?ant dans une action de transformation politique, ?conomique et sociale.

?Contrairement ? ce que laisse croire des discours superflu et redondant de certains ??H?ros??? m?diatis?s ou pris?s par des? eurocentristes, qui entretiennent un paternalisme colonial et archa?que, cette capacit? de gestion n'?mane pas de man?uvres sophistiqu?es visant ? maintenir un statut quo. Une conscience aigu? des risques que comporte une? stagnation prolong?e a amen? ? privil?gier un volontarisme visant ? se lib?rer du cercle vicieux de l'?chec ?conomique? et du blocage politique, rattraper le retard historique? et? s'adapter, par la m?me occasion, aux nouveaux enjeux strat?giques et g?opolitiques mondiaux. Les contraintes ext?rieures et les dynamiques de changement ? l??uvre ? l?int?rieur du pays ont forc? les choix et contribu? ? l'?mergence de cette conscience.

Les r?formes entreprises durant les derni?res ann?es, m?me si elles s'inscrivent dans le prolongement de celles entam?es durant les ann?es 1990 et de leurs acquis ind?niables, ont marqu? le passage? ? une vision ax?e sur une nouvelle hi?rarchisation des priorit?s. L'?conomie, rang?e au second plan autrefois, retrouve aujourd?hui son rang de premi?re priorit? politique. Cette hi?rarchisation des priorit?s ne s?inscrit pas pour autant dans une logique rel?guant ? la marge les r?formes politiques et institutionnelles. Car il y a aujourd?hui au Maroc une conscience que la stimulation de l?investissement priv?, y compris ?tranger, et la dynamisation d?une ?croissance inclusive, ont rendu indispensable aussi bien? la mise en place d'un cadre institutionnel appropri? que le recours ? des compromis, voire un consensus, permettant de maintenir la stabilit? ? long terme sur des bases solides.? Le ??Printemps?? marocain a certes constitu? un ?v?nement qui a contribu? au d?blocage d'une r?forme constitutionnelle tant attendu. Elle a d?pass? les pr?visions des plus optimistes et ouvert les perspectives d'une grande r?forme institutionnelle et politique, mais ?galement a remis le d?veloppement ?conomique au centre de l?int?r?t des d?cideurs. Les grands chantiers de la restructuration de l'?conomie pour en ?lever la productivit? et la comp?titivit? ont ?t? revus et les cibles mieux d?finis. N?anmoins la transition d?mographique rapide n?a pas ?t? prise en consid?ration? dans toutes ses dimensions, y compris la dimension spatiale. L?id?e r?pandue que la croissance apporterait avec elle les solutions ? tous les probl?mes et les maux l?a emport?e sur une analyse r?aliste et approfondie de l?enjeu et les d?fis de la d?mographie et le nouvel ?quilibre entre la ville et la campagne.

Les experts de la Banque Mondiale et du FMI, disposant des donn?es leur permettant de proc?der ? des exercices de benchmarking, ont pu d?celer ce qui a pr?serv? la gestion du Maroc des r?percutions de la crise mondiale et du?? printemps arabe??, devenu dans certains pays un vrai cauchemar.

Dans un rapport d'?tape sur le Cadre de Partenariat Strat?gique 2010-2013, les experts de la BM ont relev? cette ??sp?cificit頻 marocaine, sans l'exag?ration d'une cajolerie stupide, en rapportant que?: ??Les ?v?nements du printemps arabe au Maroc ont ?t? plut?t pacifiques, avec des manifestations bien cadr?es o? seuls quelques cas de violence ont ?t? rapport?s. Le mouvement de protestation sociale connu sous le nom du ? Mouvement du 20 f?vrier ? a appel? ? un changement politique, ? s?attaquer ? la corruption et ? un d?veloppement plus inclusif. Le roi Mohammed VI y a r?pondu, en proposant au mois de mars 2011, un ensemble de r?formes politiques, lesquelles ont obtenu le soutien de la population par le biais du r?f?rendum constitutionnel organis? le 1er juillet 2011.

La nouvelle constitution ?tablit les bases d?une soci?t? plus ouverte et d?mocratique, avec des m?canismes d??dification de l??tat de droit et d?institutions modernes et jette les bases de la r?gionalisation??. Selon ces experts ??Le printemps arabe tel qu?il s?est manifest? au Maroc souligne le caract?re politique propre du Maroc dans la r?gion, m?me si la population marocaine partage un grand nombre des revendications exprim?es. Les changements op?r?s durant l?ann?e qui vient de s??couler s?inscrivent dans la lign?e d?autres r?formes d?j? entam?es ? la fin des ann?es 1990. Les gouvernements successifs ont proc?d? d?impressionnantes transformations politiques ?conomiques et sociales, avec une nette acc?l?ration des r?formes ces derni?res ann?es. Une gestion macro-?conomique saine a g?n?r? les bases solides sur lesquelles le Maroc d?veloppe la reprise ?conomique, qui fait suite ? la stagnation des ann?es 1990. Ces acquis ne permettent cependant pas de se pr?munir contre l?insatisfaction qui a gagn? la r?gion et les pressions exerc?es autour des d?fis du d?veloppement qu?il reste ? mener. Les changements constitutionnels ont ?t? bien re?us, m?me si la nouvelle structure de gouvernance doit encore faire ses preuves. L?exp?rience du pays montre que les Marocains sont plus enclins ? rechercher l??volution du syst?me, un changement progressif qui s?inscrit dans l?histoire du pays, en harmonie avec ses valeurs religieuses et qui refl?te le ? contrat social ? en vigueur. L??lection du parti islamiste (PJD) a montr? que la population souhaite un changement concret et durable, mais dans le m?me syst?me.??.

Mais cette sp?cificit? marocaine, ainsi d?crite, n'a pas emp?ch? les experts de la BM de pr?senter dans leur analyse des fragilit?s et de pr?venir contre les risques. Les experts de la BM nous pr?viennent que ?les r?sultats globaux de la croissance au Maroc n?ont pas ?t? proportionnels par rapport ? l?effort d?investissement engag?, ce qui sugg?re que l?absence prolong?e de comp?titivit? de l??conomie, l?am?lioration insuffisante de la productivit? et l?existence de monopoles, cartels et autres int?r?ts particuliers, sont des obstacles ? une v?ritable croissance. Comme indiqu? pr?c?demment, les r?formes et strat?gies sectorielles adopt?es par le Maroc ces derni?res ann?es ont eu pour cons?quence d?attirer les investissements. Cependant, les r?percussions compatibles avec les forts volumes d?investissements ne se sont pas encore pleinement mat?rialis?es, et les am?liorations en mati?re de productivit? restent limit?es. La croissance ? la moiti? de l?ann?e 2012 est en d?c?l?ration au Maroc et les possibilit?s de donner suite aux aspirations sociales l?gitimes, notamment celles exprim?es lors du printemps arabe, pourraient r?duire ? court terme. Dans ce contexte, le Maroc devra s?appuyer sur des r?formes fondamentales de son ?conomie plut?t que sur des d?penses suppl?mentaires s?il veut augmenter sa croissance, cr?er plus d?emplois et r?aliser ses aspirations en mati?re de d?veloppement.??

La directrice g?n?rale du FMI Christine Lagarde a encha?n? dans le m?me sens lors de sa derni?re visite au Maroc, m?me si elle a choisi de parler du champ large des pays arabes en transition, en disant qu?au bout ??du compte, la stabilit? ?conomique reste une priorit? absolue (...) Mais la stabilit? ?conomique en elle-m?me n'est pas suffisante. Les pays arabes en transition font face aujourd'hui ? une crise de l'emploi aux effets d?vastateurs. Le taux de ch?mage global est de 13 % en moyenne. Chez les jeunes, il a plus que doubl? et s'?l?ve ? 29 %! Un niveau parmi les plus ?lev?s au monde. Depuis 2010, le nombre de personnes sans emploi a augment? de 1,5 million. En outre, la proportion de jeunes dans la population est la plus forte au monde : dans le monde arabe, trois millions de jeunes arrivent chaque ann?e sur le march? du travail. Cela peut ?tre une chance ou une malchance. Le ?dividende d?mographique? ouvre aux pays des perspectives de gains de productivit? et de progression des revenus. Mais toute une g?n?ration pourrait partir ? la d?rive et ?tre marginalis?e, d?chue de sa dignit?, d?poss?d?e de sa place dans la soci?t? ? une g?n?ration ? perdue ?.

Autrement dit, les d?fis pour la prochaine ?tape de la transition sont clairs : Comment trouver les moyens de cr?er les emplois n?cessaires pour r?pondre aux aspirations d'une nouvelle g?n?ration. Comment cr?er une ?conomie prosp?re et dynamique, porteuse de d?bouch?s pour tous.

La t?che est ardue. Il faudra doubler la croissance, aujourd'hui voisine de 3 %, et aussi faire en sorte qu'elle cr?e bien plus d'emplois qu'aujourd'hui??

La DG du FMI a ?attir? l?attention? sur un autre sujet, toujours flou et marginalis? dans le discours gouvernemental, ?en disant que ?dans les pays arabes en transition, comme dans d'autres r?gions du monde, le sentiment est fort que la classe moyenne perd du terrain. Ce sentiment a anim? le soul?vement de la r?gion : les gens ordinaires supportaient de moins en moins la stagnation de leur niveau de vie et la perte d'opportunit?s ?conomiques.

Dans beaucoup de pays, tels que l'?gypte, la Jordanie ou le Maroc, la part de la classe moyenne dans la richesse sociale est plus faible aujourd'hui qu'elle ne l'?tait durant les ann?es 1960, et la position relative de la classe moyenne ne s'est pas am?lior?e depuis les ann?es 1990, alors m?me que la croissance pendant au moins une dizaine d'ann?es ?tait nettement sup?rieure ? celle observ?e aujourd'hui. Permettez-moi ici de parler franchement : les dividendes de la croissance ont bien trop souvent profit? aux riches en laissant bien trop de personnes sur le c?t?.

L'exp?rience internationale nous enseigne qu'une classe moyenne forte est n?cessaire pour propulser l'?conomie, soutenir la consommation et investir dans l'avenir. Une classe moyenne solide renforce la coh?sion de la soci?t?, sa stabilit? et sa prosp?rit?. La classe moyenne est le vivier d'entrepreneurs dont nous avons aujourd'hui besoin pour nourrir l'?conomie moderne.

Les pays doivent donc donner ? leurs citoyens les moyens de gravir l'?chelle sociale pour s'affranchir de la pauvret?, rejoindre la classe moyenne et poursuivre leur ascension. Ils doivent veiller ? ce que les fruits de la prosp?rit? soient partag?s plus largement et plus ?quitablement.??

L'enseignement principal ? retenir de ces paragraphes est que le Maroc s'il a r?ussi? ? traverser la zone de turbulence de la crise mondiale et ??le printemps arabe??, en comptant sur ses acquis et sur le lancement de r?formes de grande envergure, il n'a toutefois r?ussi ni ? r?gler tous ses probl?mes ni ? se lib?rer de ses fragilit?s qui continuent ? comporter des risques.

Les experts de la BM et la DG du FMI pr?viennent contre la continuit? de certains choix qui ne m?nent pas obligatoirement aux r?sultats escompt?s. Et le font non par anti-keyn?sianisme, mais par crainte de voir les politiques ?conomiques et sociales au Maroc persistent dans l'erreur ou suivre l'illusion.? Et? appellent ? revoir les choix adopt?s jusqu'? pr?sent pour ?viter le pi?ge d'un sur-investissement qui ne produit pas les effets esp?r?s.

Le Maroc a certainement investi beaucoup durant les derni?res ann?es. Le taux d?investissement, qui a atteint jusqu?? 38 % du PIB et qui est toujours ? 35 %, est l?un des taux les plus ?lev?s au monde. les investissements r?alis?s ont certainement permis de rattraper les? retards dans certaines domaines, surtout les infrastructures et la prestation de certains services ( ?lectricit?, eau), mais sans pour autant permettre une meilleure productivit? et une comp?titivit? plus affirm?e de l'?conomie pouvant produire une croissance ?lev?e, tir?e par la VA des secteurs modernes d'une part et une cr?ation nette des emplois stables pour une population active de plus en plus instruite et de plus en plus citadine et plus exigeante d'autre part. Ces investissements n'ont pas non plus contribu? ? l'am?lioration de la formation des ressources humaines indispensables pour une ?conomie plus productive et plus comp?titive. Ils n'ont pas permis non plus de red?marrer l'ascenseur social et de renforcer la classe moyenne, les in?galit?s continuent de se creuser, ce qui constitue un danger pour la stabilit? et la d?mocratie. La r?ussite ? un niveau, dans un environnement peu propice, est corr?l?e ? un ?chec ? d?autres niveaux.

Malheureusement, le gouvernement actuelle, qui n'a toujours pas compris que le Maroc n?est pas comparable ? d'autres pays ayant v?cu le drame du ??printemps arabe?? dans le sang et les larmes, ne dispose ni des capacit?s intellectuelles ?pour comprendre les messages transmis par ces experts internationaux ni des outils d?analyse lui permettant de se d?tacher d?un discours qui puise dans des archa?smes qui ne servent qu?? tourner en rond. Il ne trouvera rien qui puisse l'aider ? comprendre ni chez Hassan Al Banna, ni chez Said Kotb ou Quardaoui. Les non islamistes au gouvernement sont plut?t int?ress?s par la petite rente minist?rielle et s'en foutent du reste. Il faut entendre des ministres commettre des d?clarations, que des analphab?tes n'osent pas commettre, pour s'en rendre compte.

Le Maroc a besoin aujourd?hui d?un gouvernement qui allie la comp?tence et la conscience de l?enjeu de l??dification des institutions d?mocratiques, il se retrouve malheureusement soumis ? un personnel gouvernemental incomp?tent et mal pr?par? pour? assumer des responsabilit?s publiques dans une p?riode de transition. Au lieu de chercher les compromis indispensables pour avancer sur la voie du progr?s et trouver les solutions ad?quates aux probl?mes du pays, en premier lieu le ch?mage et les in?galit?s, ?le chef du gouvernement et des ministres nerveux et claniques, ? l'image de Najib Boulif et? Habib Choubani, ne ratent aucune occasion pour pousser les controverses, vitales pour toute construction d?mocratique, vers la confrontation et la rupture. Au lieu d?adopter les choix appropri?s pour booster la croissance, cr?er des emplois et r?duire la fracture sociale, les islamistes donnent l?impression de vouloir entretenir la fragilit? sociale et la pauvret? pour conserver leur vivier de recrutement et leur? base ?lectorale. Pour eux, il faut que les gens abandonnent ce bas monde et penser au paradis dans l?autre monde.

Un gouvernement qui n?arrive pas ? saisir les vrais enjeux et les vrais d?fis, m?me expos?s par des experts internationaux, et qui agit comme s?il est issu d?un parti unique n?acceptant ni partage ni compromis, n?est pas le gouvernement qui peut g?rer les transitions en cours dans le pays en tenant ? gagner du temps et ? cr?er des opportunit?s. C?est un gouvernement qui nous fait courir le risque de perdre ce qu?on a acquis et ce qui est ? notre port?e.

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