2023 vu par Ahmed Lahlimi : Des incertitudes certaines et des espoirs au conditionnel

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Des fleurs pour le dire, ça peut adoucir, mais Ahmed Lahlimi n’est guère enclin à l’optimisme. Il y a de quoi

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A la conférence de presse tenue le 12 janvier 2023 à Rabat Ahmed, Lahlimi Alami, Haut-Commissaire au Plan présentant le Budget Economique Prévisionnel n’a ps manqué de rappeler qu’il n’a pas eu e cesse d’attirer l’attention sur le démantèlement accru de la mondialisation et la montée en puissance du protectionnisme, particulièrement suite à la pandémie et à l’accentuation des tensions géopolitiques. Dans son préambule, s’il esquisse les contours du contexte international c’est pour mieux souligner que la Maroc subira lui aussi les effets de cet environnement avec d’autres chocs propres à son économie nationale.  L’analyse du Haut-Commissaire, même s’il met énonce ses constats de l’évidence au conditionnel, est peu stimulante pour le moral des ménages, des entrepreneurs et du moral tout court. Pour 2023, il pourrait y avoir une reprise à condition que ciel y mette du sien pour permettre redressement de l’agriculture. ‘’ Pour éviter une accentuation de l’affaiblissement de la croissance économique, dit-il, il est indispensable de renforcer les investissements productifs. Contrairement à ce que l’on croit généralement, ce sont les entreprises privées et les ménages qui jouent un rôle décisif dans la relance du capital physique […] Au total, et tenant compte du redressement des activités agricoles, l’économie nationale afficherait une progression de 3,3% en 2023.’’ Ce qui serait, les choses étant ce qu’elles sont, pas mal déjà. Mais, Ahmed Lahlimi nous met en garde : ‘’Des incertitudes pèseraient toutefois, sur cette croissance’’. Le contraire nous aurait étonnés. Analyse du Haut-Commissaire au Plan :

Fragmentation accélérée de l’espace économique international

Après deux années marquées par la crise sanitaire et la reprise post-crise, l’économie nationale a connu une baisse de son régime de croissance en 2022, sous l’effet des chocs de la sécheresse et de l’inflation. L’environnement international a été plus contraignant en 2022 avec l’accentuation des tensions géopolitiques. Nous n’avons pas cessé à chaque Budget économique de souligner le démantèlement accru de la mondialisation et la montée en puissance du protectionnisme. Aujourd’hui, le monde fait face à une fragmentation sans précédent de l’espace mondial, initiée aux Etats Unies par l’« America First » et plus perceptible récemment en 2022 avec l’adoption de la loi de la réduction de l’inflation (IRA). 

Cette fragmentation connait aujourd’hui une véritable extension, mais en créant des conflits commerciaux plus intensifs, sur fond de résurgence de la guerre froide qui ne dit pas son nom et de la multiplication dans ce cadre de véritables guerres ou menaces de guerres en Europe, au Moyen-Orient et dans l’Indo-pacifique. Les répercussions de cette fragmentation, et après avoir trainé les économies développées dans de nouvelles ères d’inflation poussant à la récession économique, se répercuteraient sur les pays en développement qui subiraient les effets collatéraux de la cherté des financements à cause de la hausse des taux d’intérêt. Dans ce sillage, le dollar perdrait davantage et les prix des matières premières baisseraient. Les espoirs d’une relance internationale seront fracassés avec les perspectives du ralentissement du commerce mondial et la propagation de la récession. Nous subirons nous aussi les effets de cet environnement avec d’autres chocs propres à notre économie nationale. 

Ralentissement économique sous l’effet de la sécheresse et l’inflation

Le spectre de la sécheresse a été globalement plus sévère en 2022, avec un déficit pluviométrique de près de la moitié par rapport à une année normale qui aurait pénalisé les cultures et affaibli la résilience des filières animales, sur fond d’un renchérissement des coûts de l’énergie, des engrais et des aliments de bétail. Les activités agricoles se seraient repliées de 15,2%, après une progression de 17,8% en 2021.

Les entreprises en difficultés

Hors agriculture, les entreprises ont été confrontées à des difficultés qui ont pesé lourdement sur leur activité. La proportion des entreprises manufacturières ayant déclaré des freins d’approvisionnement, au niveau des enquêtes réalisées par le HCP, a atteint 65,4% à la mi-2022, au lieu de 15% en 2019. L’insuffisance de la demande est devenue également plus pressante dès le troisième trimestre 2022, notamment pour les industries des minéraux de carrière, la construction et les services de l’information et de la communication. C’est ainsi que l’activité dans le secteur secondaire serait restée peu dynamique, affichant une quasi-stagnation par rapport à 2021 (+0,4%).Dans les services, l’activité aurait, en revanche, conservé une croissance soutenue, bien qu’en léger retrait par rapport à 2021 (+5,3%, après +6,4%), dopée par la levée des restrictions du déplacement. Au total, la croissance économique hors agriculture aurait atteint3,4% en 2022, au lieu de 6,8% en 2021. 

Dans ce contexte de ralentissement de la croissance économique, et suite à la baisse du taux d’activité et aux créations des postes générées par les activités tertiaires qui auraient compensé les pertes enregistrées au niveau des secteurs du BTP et de l’agriculture, le taux de chômage au niveau national aurait légèrement baissé pour atteindre 11,6% en 2022.

Les moteurs de croissance en perte de vitesse

Le ralentissement de l’activité économique aurait été le fait de l’essoufflement de ses principaux moteurs de croissance. La demande intérieure aurait en effet affiché une baisse de son rythme de croissance à +2,3% en 2022, au lieu de +9,1% en 2021. Le pouvoir d’achat des ménages se serait réduit de 1,9%, sous l’effet conjugué du repli des revenus agricoles et de la poussée de l’inflation. Pour préserver leur consommation, les ménages auraient puisé partiellement dans leur épargne et ont renforcé leur endettement. C’est ainsi que les dépôts à terme au niveau des banques se sont repliés de 7,7% à fin novembre 2022, au lieu d’une hausse de 4,6% une année plus tôt et les crédits à la consommation ont augmenté de 3,8% au cours de la même période. Dans l’ensemble, la hausse de la consommation des ménages n’aurait pas dépassé +2,2 % en 2022, au lieu de 8,2% l’année antérieure.  

L’investissement brut aurait également décéléré en 2022, affichant une hausse de 0,6%, au lieu de 13,3% en 2021. Le ralentissement de l’activité et l’alourdissement de la facture des consommations intermédiaires, dû au renchérissement des prix, aurait pesé sur la performance financière des entreprises, notamment au niveau des branches non exportatrices contraintes à maintenir une stabilité de leur prix de vente.  Le renforcement des versements de dividendes et l’augmentation des charges d’intérêts auraient ramené leur taux d’épargne aux environs de 33% en 2022, au lieu de 36% en 2021. En conséquence, le taux d’investissement des entreprises qui assurent près d’un quart du total de l’investissement se serait réorienté à la baisse, malgré un renforcement du mouvement de reconstitution des stocks opéré au second semestre 2022. 

Renforcement du besoin de financement

La demande extérieure nette n’aurait pas été également favorable à l’activité en 2022, soustrayant 1,3 point à la croissance économique globale. Les exportations auraient été particulièrement dynamiques, mais la progression des importations aurait été plus soutenue, tirée par les produits de l’énergie, de l’alimentaire et de la chimie. En conséquence, le déficit commercial se serait aggravé, s’établissant à -22,7% du PIB. Le renforcement des échanges de services aurait, toutefois, limité celui en ressources à -15%, mais le déficit courant se serait aggravé, s’établissant à-4,9% du PIB en 2022.

Dans ces conditions, l’économie nationale aurait connu un ralentissement de son rythme de croissance à 1,3% en 2022, au lieu d’une progression de 3,2% en moyenne par an enregistrée entre 2015 et 2019.

Le taux d’épargne nationale se serait réduit à 27,8% du PIB au lieu de 28,8% l’année antérieure et le besoin de financement de l’économie nationale se serait renforcé pour atteindre son plus haut niveau des cinq dernières années, soit 4,9% du PIB en 2022. 

2023, une reprise sous condition du redressement de l’agriculture

En 2023, l’économie nationale évoluerait dans un contexte marqué par des perspectives d’entrée en récession des principaux partenaires commerciaux, d’un durcissement des conditions financières internationales et du maintien des prix à des niveaux élevés. Le commerce mondial devrait ralentir, affichant une hausse de1,6% après 4% en 2022. La demande mondiale adressée au Maroc devrait, par conséquent, connaitre une baisse de son rythme d’accroissement passant à 3,2% en 2023 contre 7,6% en 2022.

La valeur ajoutée du secteur primaire afficherait une hausse de 9% en 2023, sous l’hypothèse d’un déroulement conforme à une campagne agricole moyenne notamment au cours des saisons hivernales et printanières. Les risques du retour du spectre de la sécheresse après la pluviométrie relativement abondante pendant le mois de décembre 2022 sont encore probables. Ce n'est pourtant pas le seul défi auquel serait confronté le secteur agricole. Redéfinir la stratégie de son développement en faveur d’un renforcement de la souveraineté alimentaire et de la préservation de l’environnement et l’amélioration des revenus des agriculteurs fortement impactés par la récurrence de la sécheresse, sont autant de défis dont ferait face le secteur agricole.

Hors agriculture, l’activité poursuivrait son ralentissement, affichant une hausse limitée à +2,7% en 2023, du fait notamment de la dissipation des effets du rattrapage mécanique des services du tourisme et du transport sur l’offre, d’une demande étrangère peu dynamique pour les industries d’exportation et d’une politique monétaire peu accommodante.

Au total, et tenant compte du redressement des activités agricoles, l’économie nationale afficherait une progression de 3,3% en 2023. Des incertitudes pèseraient toutefois, sur cette croissance, liées notamment le développement de la guerre en Ukraine, l’évolution des taux d’intérêt, des risques épidémique et climatique.

La demande intérieure continuerait à constituer le principal moteur de cette croissance, avec une hausse de 3,2%. La consommation des ménages s’accélérerait légèrement, grâce à l’accroissement prévu des revenus agricoles et du niveau soutenu des transferts des MRE. En revanche, l’investissement brut resterait modéré et sa part dans le PIB ne dépasserait pas 31,5%.  Les nouvelles modifications des prélèvements de l’impôt sur les sociétés, l’élargissement de l’assiette fiscale et la poursuite de la politique de resserrement monétaire pousseraient les entreprises à modérer leur mouvement de constitution de stocks et d’investissement en 2023.

La demande extérieure nette conserverait son apport négatif à la croissance économique à hauteur de -0,2 point. Le déficit commercial devrait se situer aux alentours de 20% du PIB en atténuation par rapport à 2022. Le déficit en ressources poursuivrait son allégement pour s’établir à-13,3% du PIB en 2023, tenant compte d’une décélération des échanges nets des services après le rebond enregistré en 2022.

L’épargne intérieure devrait se contracter pour atteindre 20,9% du PIB au lieu de 22,3% du PIB en moyenne durant la période 2017-2021. Les revenus extérieurs, représentant 6,5% du PIB, porteraient l’épargne nationale à 27,4% du PIB en 2023. Tenant compte du niveau d’investissement de 31,5% du PIB, le besoin de financement de l’économie nationale devrait connaitre un allégement pour atteindre 4,1% du PIB en 2023.

Rattrapage des séquelles des crises, un enjeu majeur pour l’avenir

Les chocs subis par notre économie au cours des trois dernières années, et malgré sa résilience relative, nous laissent des dégâts plus durables sur les ressources économiques et sur le capital productif et humain. Pendant la décennie 2010, et suite au choc de la crise financière internationale de 2007, nous avons perdu 75 mille postes de notre potentiel de création d’emploi et la dynamique de croissance de notre stock de capital physique s’est abaissée de 0,7 point par rapport à la décennie 2000-2009. En 2022, les pertes avoisinent 22 mille emplois dans le sillage de la crise sanitaire de Covid-19 et s’est établie à -1,3 points au niveau de la dynamique de croissance du stock de capital.

L’année 2023 se solderait sur un retour de la croissance vers un sentier d’évolution moins soutenu comparativement à la période d’avant crise, avec des faibles gains sur les déséquilibres macroéconomiques et des risques de renforcement de la cherté de l’argent. L’accentuation des menaces sur le développement de la rentabilité des entreprises renforce le risque d’un affaiblissement plus prononcé de la productivité et de la croissance potentielle, dans un contexte de cherté du financement. Il faudrait souligner que le taux de croissance potentielle avait connu une réduction progressive, passant de près de +4,8% en moyenne annuelle en 2000-2009 à près de 3,4% en 2010-2019.

L’effort d’investissement, orienté à la baisse et dont le rendement, mesuré par l’ICOR, a été en détérioration au cours de la dernière décennie 2010-2019 s’établissant à 9,2, ne permettrait pas de récupérer les pertes de points de croissance ni de postes d’emplois enregistrés au cours des trois dernières années. Regagner les niveaux réalisés d’avant la crise du Covid en termes de lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales serait également plus lent, notamment avec le prolongement des politiques publiques peu accommandantes. 

Les entreprises et les ménages leaders de l’investissement

Pour éviter une accentuation de l’affaiblissement de la croissance économique, il est indispensable de renforcer les investissements productifs. Contrairement à ce que l’on croit généralement, ce sont les entreprises privées et les ménages qui jouent un rôle décisif dans la relance du capital physique, puisqu’ils assurent 66% de la formation brute de capital fixe globale en moyenne entre 2000 et 2019, au moment où l’investissement public n’assure que le tiers restant. L’investissement public devrait donc constituer à terme un levier de croissance, en favorisent des investissements privés plus importants et plus efficaces.

L’approche prospective de notre croissance

Nous avons amorcé l’exercice d’évaluation des efforts à déployer pour replacer nos perspectives économiques dans un sentier de croissance plus durable, plus inclusive et plus résiliente, dans le cadre de 3 scénarios, dont les grandes lignes vous seront présentés. Ils seront soumis à un débat plus approfondi au cours d’un prochain séminaire dédié à cette thématique.

Le premier scénario, de type « Tendanciel », projette les perspectives de croissance à l’horizon 2035 en reprenant les caractéristiques structurelles de l’économie nationale telles qu’observées sur les dernières années. Le deuxième appelé « Souhaitable » évalue les efforts à déployer pour réaliser les objectifs fixés par le Nouveau Modèle de développement (NMD) qui constitue pour nous le référentiel stratégique de contextualisation et d’analyse des ODD. Un dernier scénario dit « Réalisable » est simulé afin d’évaluer les efforts à mettre en œuvre, en prenant en compte les capacités de financement possibles de l’économie marocaine pour hisser la croissance et améliorer les niveaux de réalisation des ODD.

 

 

 

 

 

 

 

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