En déclenchant la guerre économique, Trump pousse le monde vers l’inconnue - Par Abdeslam Seddiki

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Des manifestants devant le Capitole de l'État du Minnesota lors de la manifestation nationale « Bas les pattes ! » contre le président américain Donald Trump et son conseiller, le PDG de Tesla Elon Musk, à St. Paul, Minnesota, le 5 avril 2025. (Photo par Tim Evans / AFP

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En instaurant des droits de douane massifs, Donald Trump bouleverse les règles du commerce mondial, déclenchant une onde de choc économique planétaire. Du Lesotho à l’Union européenne, personne n’est épargné. Abdeslam Seddiki analyse la logique (introuvable) de ces ‘’tariffs’’, et souligne que le Maroc, malgré ses accords de libre-échange, ressent déjà les secousses d’un nouveau protectionnisme globalisé.

Il faut reconnaitre au Président Américain Trump au moins ce mérite :  tenir ses promesses électorales. Il a promis d’appliquer des tarifs douaniers pour défendre l’économie américaine conformément à son slogan de campagne MAGA (Make America First Again). N’épargnant aucun pays, même les plus pauvres de la planète, il a annoncé en direct sur les écrans, dans un décor bien orchestré et une théâtralité qui lui est propre, les taux qu’il compte appliquer pour chaque pays. 

Deux groupes de pays sont distingués : les pays avec lesquels les USA enregistrent un excédent commercial auxquels il applique un taux minimum de 10% ; les pays avec lesquels ils   dégagent un déficit, les taux appliqués sont estimés au « prorata du niveau de ce déficit. Avec toutefois des ajustements et des cumuls qui ramènent les taux appliqués à des niveaux inimaginables dépassant les 60%. 

La méthode utilisée pour procéder à ces estimations n’a rien de scientifique. Elle procède d’un simplisme qui saute à l’œil et confond droits de douane et impôt. De même, en faisant inclure dans les tarifs appliqués les « manipulations monétaires », personne ne pourrait savoir comment il a été procédé pour évaluer la part de ces « manipulations ».  Au final, nous sommes en mesure d’affirmer sans risque d’être contredit, que les taux annoncés sont choisis « à la tête du client » en les enveloppant dans un emballage statistique artificiellement élaboré.  

Une méthodologie simpliste.

Prenons quelques exemples pour voir l’aberration de cette « méthode » qui est totalement étrange à la littérature économique telle qu’elle est enseignée dans les universités.   Le calcul suivi est le suivant : on divise le déficit commercial américain envers un pays par ses importations venant de ce pays, et on multiplie le tout par 100 pour obtenir le taux appliqué par ce pays (ou groupe de pays) à l’Amérique. Pour l’Union européenne (UE), les Etats-Unis ont enregistré un déficit commercial de 235 milliards d’euros en 2024, et ont importé 605 milliards d’euros de marchandises. Soit 235/605, ce qui donne un ratio de 0,39, donc 39 %. Sur cette base, l’administration américaine, grâce à la « générosité » de Trump, a décidé de diviser le résultat par deux pour fixer les droits de douane qu’elle va imposer. Cela donne 20 % pour l’UE, 34 % pour la Chine, 26 % pour l’Inde, 46 % pour le Vietnam… La palme revient étrangement au Lesotho, à 50 %.

Il faut préciser que ces taux franchement arbitraires viennent s’ajouter à ce qui était déjà en place. Pour l’UE, le droit de douane, de 1,2 % en moyenne, va passer à 21,2 %. Pour la Chine, qui était à 10 % en moyenne pondérée avant l’arrivée de M. Trump à la Maison Blanche, et qui avait déjà subi une hausse de 20 % ces deux derniers mois, le taux final moyen tournera autour des 64 %, en fonction des objets.

Au total, 56 pays, ainsi que l’UE, seront touchés par ces droits de douane spécifiques. Le reste du monde sera imposé à 10 %. Deux pays sont exemptés : le Canada et le Mexique, pour lesquels une taxation de 25 % avait déjà été annoncée dès février (mais uniquement pour les marchandises qui ne sont pas dans l’accord de libre-échange nord-américain). Par ailleurs, les mesures déjà décidées de taxation douanière de 25 % sur l’acier, l’aluminium et les automobiles restent en place.

Un nouveau monde se profile à l’horizon

Ce faisant, l’administration Trump a plongé le monde dans l’inconnue. On n’est plus dans l’incertitude comme avant.  C’est un monde nouveau qui se profile à l’horizon, celui de la fin d’une mondialisation que d’aucuns qualifiaient de « mondialisation heureuse ». Pour ceux qui en ont profité s’entend et en premier lieu les Etats- Unis.  En décrétant la fin du libre-échange avec des droits de douane exorbitants, les grands perdants seraient vraisemblablement ceux-là même qui ont allumé la mèche.  On le voit déjà avec les manifestations populaires qui ont eu lieu ce dimanche 6 avril dans les principales villes américaines, l’effondrement des principales bourses mondiales.  Apple a perdu en 24 heures 300 milliards $, soit 12,5 milliards $ par heure. Et ce n’est que le début.

Les effets délétères des politique protectionnistes menées à l’aveuglette ne sont plus à démontrer. Une politique protectionniste menée par un pays en voie de développement pourrait se comprendre.  Mais venant de la première puissance mondiale, représentant un quart de la richesse du globe et 30% de la consommation mondiale, c’est franchement une mesure suicidaire qui ne se justifie sur aucun plan si ce n’est un moyen de pression pour négocier et obtenir plus d’avantages et de concessions.

Le consommateur américain paiera le prix

Les premiers à en pâtir sont les consommateurs américains. Les tarifs douaniers augmentent le coût des produits importés, ce qui peut entraîner une hausse des prix. Cela peut déclencher une inflation, car les entreprises répercutent souvent ces coûts sur leurs clients. De même, et contrairement aux prophéties de Trump, le risque est grand de voir le chômage augmenter dans la mesure où certaines industries qui demandent fortement des importations vont réduire leur activité. En outre, les tarifs peuvent perturber les chaînes d'approvisionnement complexes, entraînant des coûts supplémentaires pour les entreprises et des retards dans la production.

Bien sûr, les pays concernés par ces mesures annoncées unilatéralement, ne vont pas se laisser faire sans riposter. La Chine a d’ores et déjà annoncé des mesures de rétorsion en imposant des droits de douane de 34% sur les importations en provenance de l’Amérique. L’Union européenne est en train de s'organiser pour riposter très prochainement tout en privilégiant la voie du dialogue. Des coalitions entre pays s’organisent à travers le monde pour contrer les mesures de Trump, comme c’est le cas de la réunion tripartite entre la Chine, le Japon et la Corée du Sud.  Tout indique au final, que la voie est grandement ouverte vers une guerre commerciale dont les conséquences seraient incommensurables non seulement pour l’économie mondiale, mais également pour la paix mondiale qui est déjà malmenée.

Quid du Maroc ?

Notre pays, quoiqu’en pensent certains esprits bornés, est doublement concerné par ces turbulences qui traversent la planète. D’abord, d’une façon directe à travers l’impact des barrières douanières de Trump même si elles sont à leur niveau minimum de 10%. Ensuite d’une façon indirecte par les effets qu’il subira indirectement de par l’ouverture de son économie sur le reste du monde. 

L’instauration du taux de 10% ne se justifie nullement dans le cas du Maroc pour au moins deux raisons. En premier lieu, les deux pays sont liés depuis 2006 par un accord de libre-échange qui demeure, jusqu’à preuve du contraire, en vigueur. En deuxième lieu, ce sont les USA qui ont le plus profité de cet accord du moins sur le plan économique. Ainsi, sur un   total des échanges bilatéraux de 73 milliards DH, le Maroc n’exporte vers le pays de l’Oncle Sam que 12,7 milliards et il importe 60,3 milliards DH, soit un taux de couverture de 21%. Si on devait suivre la logique de Trump, les droits de douane auraient été appliqués en sens inverse ! Précisons toutefois que les importations en provenance des USA représentent 8,4% de nos achats à l’étranger alors que les exportations vers ce même pays ne représentent que 3% de nos ventes à l’étranger. Un droit de douanes de 10% aurait peu d’impact sur l’économie marocaine même si le Président de l’ASMEX (Association Marocaine des exportateurs) parle d’une « douche froide ». 

Mais là où le Maroc sera sévèrement affecté, c’est à travers les répercussions des effets subis par ses principaux partenaires et en premier lieu la zone euro. On estime, en effet, que la croissance de la zone euro pourrait être amputée de 0,6 à 1,2   point. Ce qui entraine une situation de récession et par conséquent une baisse de la demande adressée à notre pays.  On pourrait rétorquer, à juste titre, que le Maroc, serait à son tour avantagé sur le marché international, par rapport à des pays concurrents soumis à des tarifs douaniers supérieurs, pour améliorer sa compétitivité. 

Une mondialisation à visage humain

En tout état de cause, le gouvernement marocain est appelé à être sur le qui-vive et à redoubler de vigilance au lieu de se contenter de déclarations rassurantes en insistant sur la profondeur et l’ancienneté de l’amitié entre le Maroc et les USA. C’est vrai que les relations entre les deux pays transcendent l’économique pour englober le politique et le géostratégique. On ne pourra que s’en féliciter. Mais rien n’empêche de réfléchir à l’avenir de notre pays dans ce nouveau monde qui est en train de se dessiner. Il faut absolument que le Maroc y soit partie prenante. Le débat est ouvert sur la nécessité d’un nouveau multilatéralisme avec de nouvelles alliances, sur la poursuite de la mondialisation sans Trump, mais une mondialisation à visage humain, avec des règles plus équitables et sans puissance hégémonique …

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