Cellules révolutionnaires - Par Seddik MAANINOU

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Le Roi Hassan II annonçant l’organisation de la Marche Verte en 1975

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Décisions douloureuses – Par Seddik Maâninou

Sous le règne de Hassan II, les Marocains célébraient la Fête du Trône le 3 mars de chaque année. Le Souverain adressait à la nation à cette occasion un discours-bilan détaillant les réalisations majeures de l’année dans chaque secteur. Enregistré un jour auparavant, le discours du Trône était long, pouvant aller au-delà d’une heure. Hassan II que la longueur et le style de ces discours, lassaient, marquait souvent des pauses au cours de l’enregistrement.

Un avion dans le ciel du palais

Dans mes mémoires, je rapporte certaines anecdotes qui émaillaient l’enregistrement du discours royal, ce que je ne pouvais divulguer à l’époque.

Une fois, au cours d’un enregistrement qui se déroulait en présence de ministres et de conseillers, Hasan II s’était subitement arrêté pour demander : «Vous entendez ?».  Le silence qui enveloppait l’assistance s’épaissit. L’index indiquant le ciel, le monarque réitéra sa question : «Vous entendez ?!», avant de reprendre : «C’est le bruit d’un avion survolant le palais ! ». C’était le cas et on pouvait lire l’étonnement et un certain trouble sur les visages de l’auditoire. 

«C’était un procédé que la colonisation française utilisait lorsque Sidna (le Roi évoquait ainsi son père Mohammed V) enregistrait un discours à la radio. Par ce survol, le message des colons était clair : nous sommes ici et notre avion est au-dessus de ton palais. C’était un acte de provocation auquel Sidna réagissait malgré tout avec calme et sérénité », a expliqué le Souverain. Et ordonna à son aide de camp, le Général Sikeredj, aviateur de son état, d’aviser l’aéroport de Salé pour modifier la trajectoire des vols au cours de l’enregistrement des discours.

Un style andalou

Une autre fois, Hassan II, qui n’ignorait pas la réponse, s’était arrêté au début de l’enregistrement d’un discours pour demander à l’assistance : «Qui a rédigé cette introduction ? ». Le discours du Trône était de coutume mis en forme au Cabinet royal sur la base de fiches comportant des données et des statistiques provenant des différents ministères et services. L’introduction, chatiée, était rédigée par le ministre et érudit Haj Ahmed Bahnini dans un style andalou authentique alliant prose et poésie.

L’interrogation royale sous-entendait que ce style très recherché, mais indigeste ne convenait pas au Roi qui précisa : «Si moi-même je n’arrive pas à en saisir le sens, qu’en sera-t-il du commun des téléspectateurs ?». Un long silence régna sur la salle. Personne n’osait citer le nom de l’éminent érudit, au vu de son statut et de son influence. Le Roi reposant la question avec insistance, un des hommes osa le nom de l’auteur. Hassan II s’est contenté d’un sourire, certain que son message allait parvenir à qui de droit !

Un discours en couleurs

C’est depuis Fès qu’il a été décidé de diffuser le discours royal en couleurs, une première, depuis la naissance de la télévision marocaine en 1963. 

C’était en 1973. Le Directeur général de la TVM avait alors dépêché une équipe de télévision française avec ses machines et équipements et m’a chargé de l’accompagner au Palais royal pour lui faciliter la tâche. Hasan II était au courant de cette initiative et avait donc donné ses instructions pour assister l’équipe de TV française et répondre à leurs besoins au moment où l’on s’apprêtait à passer pour les discours royaux du noir et blanc à la couleur. 

Le Souverain avait décidé que l’enregistrement se déroule à Dar Al Fassiya, une maison traditionnelle marocaine qui fait partie du Palais royal. Le réalisateur français avait ordonné d’enlever une table sur laquelle Hassan II avait placé un téléviseur pour suivre les séquences choisies. Il a aussi ordonné d’enlever une fontaine qui trônait au centre de la maison. J’étais surpris et interloqué par ces deux exigences, mais je me suis gardé d’intervenir, surtout que le caïd du Méchouar a concédé à enlever la table et ordonné à un des serviteurs de raser la fontaine. Les murs faisant écho, les coups du marteau résonnaient dans toute la résidence.

Sieste

Soudain, nous entendîmes quelqu’un crier et nous vîmes une silhouette, derrière les rampes d’escaliers, drapée dans un pyjama. C’était le Roi : «Qu’est-ce que vous faites ? Arrêtez-moi ce bazar et ce vacarme !». Hassan II était visiblement en colère. Nous avions tout de suite compris que non seulement nous lui avions gâché la sieste, mais touché à l’ordonnancement de la résidence. L’ouvrier chargé de démolir la fontaine s’éclipsa, le caïd du Méchoaur s’était figé, tétanisé, et les Français stupéfaits ne savaient plus où donner de la tête. Quant à moi, je me suis discrètement faufilé jusqu’à un pilier pour me dissimuler.

La table et la télévision reprirent instantanément leur place. On a nettoyé les débris des premiers coups assenés à la fondation de la fontaine. La peur aux tripes, bous attendions. Et voilà que le moment venu, Hassan II réapparût une tasse de café dans une main, une cigarette dans l’autre, conversant avec un de ses collaborateurs. Le réalisateur français s’est approché, s’est incliné et tenté un «Sire !». Le Roi l’interrompit sèchement, coupant court à l’échange : «Faites votre travail, je fais le mien !». L’incident restera sans suites. Dieu merci !

Attaque armée

Mais ce 3 mars 1973 allait être marqué par un tout autre évènement que par la télévision en couleur. Une attaque armée eut lieu à Moulay Bouaaza, au Moyen Atlas. Elle a été perpétrée par un groupe armé appartenant au Tandim, une branche de l’UNFP en rupture de ban. Infiltré d’Algérie, il était composé de Marocains venus déclencher la révolution dans les montagnes. Des cellules révolutionnaires placèrent des bombes dans quelques villes, principalement Rabat et Casablanca. Aucune n’explosa, mal faites pour certaines, désamorcées à temps pour d’autres. Mais c’est une autre histoire dont j’ai livré les détails dans mes mémoires «Jours d’antan» en six tomes.

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