Communication de crise et protestation dans le Rif : le premier ratage du gouvernement El Othmani

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Un communiqué chassant l’autre, que restera-t-il de cette toute première sortie des six partis au pouvoir ? Une confusion flagrante dans la perception des problèmes sociaux et économiques d’une région qui n’a jamais eu des relations simples avec l’Histoire 

Première bourde politico-communicationnelle du gouvernement de Saâdeddine El Othmani. Face à la protestation dans le Rif qui dure depuis plusieurs mois déjà, le nouvel exécutif s’est à l’évidence trompé de communication de crise, privilégiant la propagande avec ses gros sabots au lieu de circonscrire le conflit à sa dimension sociale et économique dans une région longtemps marginalisée.

« C’est dans de tels exercices de communication de crise que l’on peut mesurer et évaluer la capacité d’un gouvernement à gérer un conflit social profond ou une crise qui peut très vite déraper. On marche sur des œufs, les clignotants sont au rouge, la moindre étincelle peut mettre le feu. En termes de communication dans de telles situations, le choix des mots, des termes, des arguments est extrêmement délicat parce que déterminant pour la suite des événements. Il ne faut surtout pas se tromper. La moindre erreur peut être fatale », explique une communicante spécialisée dans la gestion de crise.

Dimanche soir, les six partis de la majorité gouvernementale  publient un communiqué à l’issue de leur réunion avec le ministre de l’intérieur. A l’ordre du jour de la rencontre avec les responsables politiques de la coalition au pouvoir et le locataire du département de l’intérieur, la situation dans la province d’Al Hoceima. Publié dans la soirée du dimanche par la MAP, le communiqué surprend par sa teneur. Rédigé sur le mode de «cette protestation fomentée par l’étranger qui nous veut forcément du mal », le texte des partis qui vont diriger le Maroc pendant 5 ans est dans le déni des problèmes sociaux et économiques de la région. Dimanche soir,  la majorité gouvernementale regarde ailleurs et préfère parler de  «l’instrumentalisation des revendications des habitants de la province d’Al Hoceima de façon à nuire à l’intégrité territoriale du Royaume». Plus encore, les représentants des partis présents à la réunion avec M. Laftit –dont Saadeddine Elotmani, en sa qualité de président du conseil national du PJD et non pas de chef de gouvernement assistant à une réunion présidée par l’un de ses ministres !- ont été prompts à « dénoncer la promotion  d’idées destructives qui sèment la zizanie dans la région ».

Comment en est-on arrivé là ? Les locataires du ministère de l’intérieur ont  -ils réussi à convaincre les ténors du PJD, du RNI, du MP, du PPS, de l’USFP et de l’UC  au point de les faire adhérer, les yeux fermés, à la théorie du complot venu de l’étranger pour déstabiliser le pays ? Où commence et où s’arrête l’autonomie de la prise de décision de ces formations politiques et dont certaines ont connu des jours meilleurs ? On ne le saura jamais vraiment.

En 24 heures, les mêmes partis qui criaient avec le loup et dénonçaient l’instrumentalisation des revendications des habitants du Rif vont tourner casaque, changer d’avis  et publier un deuxième communiqué. Oubliées les accusations portées contre les leaders de la mobilisation dans la région d’Al Hoceima. Gommée la charge séparatiste. Effacé le réquisitoire contre un certain agenda étranger. Le ton a changé. Plus calme et surtout plus proche de la réalité, la coalition qui préside aux destinées du gouvernement reconnaît que  «le droit d’organiser des rassemblements demeure garanti à tous les individus et les groupes conformément aux dispositions légales en la matière» et va jusqu’à préciser que «l’expression des revendications sociales demeure somme toute légitime ».

Un communiqué chassant l’autre, que restera-t-il de cette toute première sortie des six partis au pouvoir ? Une confusion flagrante dans la perception des problèmes sociaux et économiques d’une région qui n’a jamais eu des relations simples avec l’Histoire. Une précipitation dans la communication où la propagande, le déni et l’insidieuse théorie du complot –trois concepts que les citoyens croyaient révolus- ont été retenus en lieu et place de revendications de citoyens en quête d’une vie meilleure.

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