Rabibochage français – Par Naïm Kamal

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Christophe Lecourtier, ambassadeur de France à Rabat

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Par Naïm Kamal

Le jeudi 21 mars 2024, l’ambassadeur de France au Maroc, Christophe Lecourtier, était l’hôte de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales à Rabat pour débattre de l'avenir des relations maroco-françaises, afro-européennes, et les équilibres internationaux dans le contexte de la concurrence sino-américaine.

On retiendra de son propos ce qui, le plus, continuera de focaliser l’attention des Marocains : la question du Sahara. M. Lecourtier a cru bon affirmer, en substance, que la France a été, dès le début, militairement « sans la moindre hésitation aux côtés du Maroc » ; et que « l'armée française a ouvert le feu contre les colonnes du Polisario ». Par égard aux Marocains, il a hésité sur l’appellation du Polisario, et par honnêteté intellectuelle, il a bien rappelé que c’était en Mauritanie, insistant sur l’intervention des Jaguar français, laissant entendre que peut-être les milices menaçaient le Maroc. Il a ensuite ajouté qu’aux « Nations Unies, lorsque le Maroc était isolé internationalement (sic), nous avons utilisé notre adhésion permanente au Conseil de Sécurité en sa faveur (...) et lorsque le Maroc a proposé l'initiative d'autonomie présentée par Sa Majesté le Roi, nous étions parmi les premiers à dire que c'était une bonne solution ».

Que dire, sinon qu’il est dans son rôle quand bien même il y a à prendre et à laisser dans son propos. Ce qui appelle quelques errata.

France – Mauritanie, un ‘’lien filial’’

Les forces françaises intervenaient en Mauritanie pour protéger un allié à l’historique spécifique, avec lequel Paris entretenait des liens différents, davantage qu’elle ne le faisait pour défendre le Maroc. Mais l’ambassadeur devrait aussi s’interroger sur ce que les troupes de son pays faisaient lors de l’incursion du Polisario à Nouakchott en juin 1976. Ou encore sur où elles étaient quand les militaires mauritaniens ont renversé Mokhtar Ould Daddah en juillet 1978 ou lorsque la Mauritanie a conclu en août 1979 l’accord cédant Oued Eddahab au Polisario ? Certainement pas très loin.

Il faut toutefois reconnaitre à l’actuel ambassadeur français son entregent. Il aurait pu se calfeutrer comme bien de ses prédécesseurs dans les mondanités douillettes du Km 6,6, route des Zaërs.  Bien au contraire, M. Lecourtier prend sa mission de rabibochage des relations maroco-françaises très au sérieux et va au contact au risque d’être de temps en temps à coté des faits.

Sans doute y a-t-il toujours eu une coopération militaire entre nos deux pays. Mais la ‘’protection’’ qu’il évoque, si elle valait pour la Mauritanie, et pouvait à l’occasion avoir des effets collatéraux sur le Maroc, n’a jamais été pour le Royaume chérifien ce qu’il a voulu faire croire.  Il est même possible de dire qu’à cette époque c’étaient plutôt les Forces Armées Royales marocaines qui apportaient leurs concours, intéressé sans nul doute, à leurs homologues français en Afrique.

Un alignement coûteux

A titre d’exemple seulement : lors de la première crise de Shaba en 1977, ce sont les Marocains, pourtant en difficulté au Sahara, qui ont été remettre de l’ordre au Zaïre, l’actuel Congo Démocratique, à la demande de la France et avec son apport logistique. Le soutien à l’UNITA angolaise contre le MPLA illustre l’engagement marocain du coté de l’Occident, très souvent mal payé en retour. Si M. Lecourtier n’en est pas convaincu, il lui suffit de consulter les mémoires du général Alexandre de Marenches, patron de 1970 à 1981 du Service de Documentation Extérieure et de Contre-espionnage français (SDECE). L’ouvrage du comte de Marenches, Dans le secret des princes (Stock), donne une idée plus précise sur les dessous de cette époque.

C’est d’ailleurs cette grande amitié avec la France et l’alignement du Maroc sur ce que l’on appelait « le monde libre », qui explique en grande partie ce que M. Lecourtier décrit à juste titre comme un isolement diplomatique du Maroc. L’époque était alors à la guerre froide. Même Paris, un brin ingrat, ne savait pas où se tenir. Un pied dans l’Alliance atlantique où il était sans y être, une main tendue à la Russie soviétique conformément à la fameuse doctrine du général de Gaulle qui voulait que l'Europe aille de l'Atlantique à l'Oural, font ressortir des Marocains moins ambigu alors que les Français dans leurs engagements.

Le Clan Vs le Club  

Dans cette longue conjoncture, c’était principalement le bloc de l’est, soutenu par ses avatars du tiers monde, majoritaire en nombre, qui dictait le tempo des résolutions onusiennes. Son influence s’étendait jusqu’aux couloirs de l’OUA, ancêtre de l’UA, et du Mouvement des Non-alignés. Souvent Rabat, dénigré comme un suppôt de l’impérialisme, payait sur le terrain diplomatique du Sahara sa pragmatique politique israélienne et son choix du « monde libre » qui ne s’avérera que sur le tard pertinent.

Dans La Mémoire d’un Roi (Plon), Feu Hassan II évoque avec beaucoup d’amertume cette période où, dans les instances internationales et régionales, même les Etats Unis, se retrouvaient en minorité au point de geler leurs contributions financières à l’ONU ou encore de se retirer de l’UNESCO. Page 197, le défunt roi explique comment dans un monde divisé en deux, « Les Occidentaux faisaient partie d’un club ; les prosoviétiques, eux, appartenaient à un clan » qui apportait, contrairement au « club », un soutien sans faille ni défaillance à Alger.

Mais de cette époque et des péripéties marocaines au Sahara, il faut surtout retenir que de Valéry Giscard d’Estaing à Emmanuel Macron en passant par François Mitterrand, deux mandats fastes en turbulences, le soutien français s’est toujours fait tiède et les relations maroco-françaises n’ont jamais été une mer calme.

C’est dire combien M. Lecourtier a raison lorsqu’il déclare que « Peut-être n'avons-nous pas donné assez de signaux, et aurions-nous dû exprimer nos positions plus fortement », pour assurer ensuite qu’aujourd’hui la France a « choisi d'avancer ». Bien, tout est donc bien dans le meilleur des mondes. Mais serait-il trop exiger si l’on demandait tout de même à voir ?  

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