Des hommes dans le soleil – Par Samir Belahsen

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Cette illustration est tirée de LA VIE EN IMAGES DE L'ECRIVAIN PALESTINIEN GHASSAN KANAFANI, tué par le Mossad il y a 50 ans

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« De toute façon, tous les exils sont illusoires, paraît-il, l'éloignement ne règle rien, et on ne finit jamais très loin du point d'où on était parti. »

Philippe Besson / Se résoudre aux adieux  

« Au centre de notre œuvre, fût-elle noire, rayonne un soleil inépuisable. »

Albert Camus

Ma première lecture de Ghassan Kanafani me rappelle mes années de lycée. C’était avant mon exil linguistique dans la langue de Molière, langue du colonisateur disait-on à l’époque. J’avais donc lu la version originale en langue arabe. 

Ghassan Kanafani, né en1936 à Acre en Palestine, était certainement l’écrivain palestinien le plus célèbre à cette époque. Son chef d’œuvre, Retour à Haifa, recueil de onze nouvelles dont celle qui a donné son titre au recueil figurait dans les programmes scolaires. Il était aussi un membre important du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) de Georges Habache.

Le 8 juillet 1972, il a été assassiné par le Mossad israélien à Beyrouth. Il n'a jamais cessé de joindre l'écriture et l'action politique. 

Kanafani était le porte-parole du FPLP. C’est lui qui avait rédigé en 1969 le programme politique du Front. On raconte que c'est par lui que le mouvement devient officiellement marxiste-léniniste. 

Un ancien porte-parole du Premier ministre Yitzhak Rabin reconnaissait en 2005, dans un article publié dans « Yediot Aharonot », la responsabilité de l'État sioniste dans cet assassinat qui avait également entraîné la mort de Lamiss, la nièce de l'écrivain âgée à l’époque de 17 ans. Comme quoi tuer toute une famille pour Israël ne date pas de Gaza.

L’histoire 

C’est par "Des hommes dans le soleil" que Ghassan Kanafani inventa la littérature de résistance, même si toute littérature n’est qu’une forme de résistance. 

"Des hommes dans le soleil" raconte l'histoire de trois Palestiniens qui tentent de traverser la frontière entre l'Irak et le Koweït en quête d'une vie meilleure après la Nakbah (1948). Dans la situation intolérable aux camps de réfugiés palestiniens, le rêve koweïtien englobe la prospérité et un minimum de dignité. 

Un passeur propose de les cacher à l’intérieur d’un camion-citerne et de traverser discrètement la frontière Iraq-Koweït. 

Les personnages principaux sont Abou Qais, Marouane et Assaad. Chacun, à sa façon, symbolise la détresse de tout un peuple depuis la Nackba. 

Trois personnages, trois générations, trois parcours et un chemin, l’exil…

Abou Qais est un homme âgé qui espère trouver du travail pour subvenir aux besoins de sa famille. Le vieil homme a perdu sa demeure et ses oliviers qui le nourrissaient avec sa femme et son fils. Il rêve plus du retour que du Koweït.  Il voulait réunir les moyens pour reconstruire sa maison et acheter des oliviers. 

Abou Qais était dans le sacrifice, prêt à l’exil pour pouvoir leur offrir un avenir.

Assad, lui, est jeune, indépendant et surtout plus conscient de la situation et souhaite la changer, en même temps conscient de la difficulté de la transcender en restant dans son pays où sévissent discrimination et haine. C’est son deuxième essai. Il tente encore une fois de traverser le désert pour fuir l’oppression sioniste. 

Marouane est un jeune père qui cherche à gagner de l'argent pour sa famille. Il rêve de subvenir aux besoins de sa mère abandonnée par son mari pour une femme riche. Marwan est accablé par le système discriminatoire du pays.  

Le récit décrit les épreuves et les sacrifices auxquels ces hommes sont confrontés alors qu'ils cherchent à améliorer leur vie malgré les difficultés. 

C'est une histoire poignante qui met en lumière les défis auxquels sont confrontés les Palestiniens dans leur quête de dignité et de survie. Les personnages finissent étouffés par la chaleur juste avant d’arriver à destination. 

Le réalisateur égyptien Tawfik Saleh a adapté ce chef-d’œuvre littéraire au cinéma. Le film « les dupes » sorti en1972, fut longtemps interdit dans beaucoup de pays arabes. Un beau film néoréaliste où les décors sont aussi violents que les mots. 

L’Exil

Ghassan Kanafani a, lui, été forcé de s’exiler plusieurs fois. Il a dû quitter Haïfa pour la Syrie, puis la Syrie pour le Koweït et le Koweït pour Liban où ses assassins ont fini par le retrouver. 

L'exil a souvent été un thème majeur dans la littérature, offrant une perspective poignante sur le sentiment de perte, d'aliénation et de recherche d'identité. 

Parmi les auteurs exilés ou ayant abordé le sujet de l'exil, on peut citer l'écrivain russe Vladimir Nabokov, célèbre pour son roman "Lolita" et qui a dû fuir la Russie après la révolution de 1917. 

De même, l'écrivain irlandais James Joyce a vécu en exil volontaire pendant de nombreuses années, et son chef-d'œuvre "Ulysse" reflète certaines thématiques liées à l'exil. L'auteur colombien Gabriel García Márquez avait exploré le thème de l'exil dans certaines de ses œuvres, notamment "Cent ans de solitude", en explorant les effets de l'exil sur l'individu et la communauté.

Dans la littérature, l’exil est à la fois condition historique et métaphorique. 

Les mots de l’exil sont : Dislocation, arrachement à une terre, déracinement, une émigration forcée, tristesse, gouffre, abymes et blessures. Des mots pour décrire des vies mutilées.

L'exil a longtemps inspiré et influencé la création littéraire. Il a souvent servi de métaphore pour approcher des thèmes plus larges tels que l'identité, la nostalgie et la marginalisation. 

Il faut dire aussi que bien souvent on est exilé chez soi.

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