Carnet de voyage – Abdallah Saaf au pays de Hô Chi Minh, 3ème partie : Le secret d’une victoire

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Kim Phuc Phan Thi,‘’La petite fille au napalm’’, une photo qui a défrayé la chronique et fait le tour du monde ne 1972, montrant l’atrocité d’une injuste guerre. Comme Kim Phuc Phan Thi, le Vietnam d’aujourd’hui, ‘’se dit en paix, avec [lui]-même, avec le monde’’, malgré les stigmates des souffrances qui perdurent. Avec pour souci prioritaire, le développement.

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Abdallah Saaf a été, entre autres, ministre de l’Education nationale, membre de la Commission pour la révision de la Constitution de 2011. Auteur de plusieurs ouvrages et président du Centre d’Etudes et de Recherches en sciences sociales (CERSS), il a effectué plusieurs voyages au Vietnam. Venant de la gauche radicale marocaine, il ne pouvait qu’être sensible au pays de Hô Chi Minh et Giáp dont les guerres contre le colonialisme et l’impérialisme au XXème siècle peuvent constituer pour un Homère contemporain une Iliade et une Odyssée des temps modernes. Mais pas seulement. Qualifié de pays à revenus intermédiaires par la Banque mondiale, le Vietnam est désigné, au choix, comme « l’atelier du monde », ou un autre « tigre économique » de l’Asie. Un Chiffre pour en témoigner : Au cours des huit premiers mois de cette année, il a attiré des investissements étrangers estimés à 16,8 milliards de dollars. Ce Carnet de voyage, Abdallah Saaf l’explique par la nature des liens économiques, culturels, et humains significatifs qu’entretient le Maroc avec le Vietnam. Par son affection sentimentale et intellectuelle pour cette lointaine et proche contrée, aussi. Une manière de célébrer ce magnifique pays en son jour de fête nationale (le 2 septembre).  Dans cette troisième et dernière partie, A. Saaf est sur le ‘’pied de guerre’’, à Hô Chi Minh Ville, ex-Saigon, d’où venait les échos des fracas de bombes jusqu’au dernier souffle d’une injuste guerre et la déroute à peine imaginable des Américains.

Je me sens bien en ce jour dès le réveil. Long petit déjeuner. Mes affaires sont rangées pour un départ éminent à Ho Chi Minh Ville, l’ex-Saigon. Après un rapide passage au salon, encore une fois le voyage est reposant et n’a plus rien à voir avec celui de nos anciens d’Indochine. Je ne peux m’empêcher encore une fois d’avoir une pensée pour nos tirailleurs et leurs conditions de séjour dans ce beau pays. Excellents services de la compagnie de transport aérien vietnamienne. Ce qui m’amena à trouver tout de même curieux ces voyages de classe dans un pays profondément communiste. 

A l’arrivée, nos hôtes sont là aux grands soins pour nous : hospitalité, bienveillance, générosité, multiples signes de bienvenue et d’amitié. L’équipe de l’Association des Vétérans est là, à veiller sur nos bagages et à s’informer sur les conditions de notre voyage, sur nos souhaits. Passage rapide à l’hôtel où nous déposons rapidement nos affaires. Il n’y a pas de temps à perdre.

Le bon dosage Etat-marché

Se déplacer à Hô-Chi-Minh-Ville

Hô Chi Minh Ville aujourd’hui - Pour l’Etat vietnamien, la perspective de 2020 se fondait sur trois piliers : parfaire le statut d’économie de marché, moderniser les infrastructures, développer les ressources humaines de haute qualité. Mais tout l’intérêt du modèle vietnamien repose sur le dosage entre l’économie d’Etat et l’économie de marché

Du nord au sud, l’avion a survolé un ensemble de territoires agricoles. De la verdure partout. Des forêts denses. Je dirai des jungles. Des cours d’eau en abondance. Pendant la guerre, la nature était en colère, furieuse. Là elle paraît ordonnée, maitrisée, sereine et travaillée par l’homme.

Lire aussi : CARNET DE VOYAGE - ABDALLAH SAAF AU PAYS DE HÔ CHI MINH, 1ÈRE PARTIE : LE RÊVE VIETNAMIEN

Dépassement de l’économie de guerre jusqu’au milieu des années 80. L’an 1986 avait inauguré une période transitoire marquée par des mesures d’innovation, en particulier le passage d’un système de gestion économique centralisé à une économie décentralisée avec un P.I.B affichant un taux de croissance de 4,4%. Au cours de la période allant de 1991 à 1996, l’économie vietnamienne a connu un programme d’intensification de la politique d’industrialisation. Le P.I.B a atteint au cours de cette phase le taux de 8,2% de croissance. A partir de 1996, et jusqu’à 2000, un mouvement d’innovation a permis de grandes réalisations. Il est à l’origine de 7% de taux de croissance. Le temps économique qui suit de 2001 à 2004 a vu la modification des lois sur le commerce maintenant une croissance de PIB de 7,5%. La période 2005-2007 a vu s’affirmer une mutation qui a converti le Vietnam d’importateur de vivres en deuxième exportateur de riz. La nouvelle loi du commerce de janvier 2006 et la loi d’investissement de juillet de la même année s’inscrivent dans cet élan. Les indicateurs économiques se sont considérablement améliorés permettant au Vietnam de devenir la sixième puissance économique désormais membre de l’ASEAN, l’APEC, l’ASEM… Pour l’Etat vietnamien, la perspective de 2020 se fondait sur trois piliers : parfaire le statut d’économie de marché, moderniser les infrastructures, développer les ressources humaines de haute qualité. Mais tout l’intérêt du modèle vietnamien repose sur le dosage entre l’économie d’Etat et l’économie de marché, et la tendance que représente le capital kampuchéen, comme une variante à forte composante sociale du modèle singapourien…

Le musée de la mémoire

Dès l’arrivée et avant qu’il ne ferme, visite au musée de la résistance vietnamienne. J’ai cru comprendre qu’il s’agissait de la septième région militaire. Chaque région disposerait-elle de son musée ? Lieux de mémoire, une statue colossale de Ho Chi Minh nous accueille à l’entrée. A l’intérieur, vaste éventail d’objets exposés : armements divers, armes de poing, butins de guerre, armes sophistiquées, armes artisanales, armes bricolées mais toujours redoutables, pièges mortels, artillerie lourde, légère, véhicules de toutes sortes, tenues de combattants, reproduction d’épisodes héroïques bien connus de la résistance, maquettes de lieux souterrains où opérait la résistance, portraits, cartes, statues d’héros et d’héroïnes…

Dans les entrailles de la terre

Seconde journée à l’ex-Saigon. On nous demande de nous réveiller très tôt pour visiter un site situé à la sortie de la ville. « Vous allez comprendre pourquoi les Américains ont été défaits dans notre pays », nous dit-on énigmatiquement pour toute forme d’explication. Les propos de notre commissaire accompagnateur, le colonel en charge de notre délégation, m’ont naturellement intrigué. Je voulais comprendre pourquoi il était si sûr de son fait. Après un long parcours dans le minibus qui nous a conduits hors de la ville, à la périphérie immédiate, à peine à quelques encablures des espaces urbains, et à la lisière d’une zone forestière relativement dense. La visite commence par un temple où sont déposées les cendres de tous les combattants morts dans ce coin du pays. Leurs noms sont inscrits sur les murs. L’un après l’autre, et on n’a aucune peine à imaginer le travail minutieux de mémoire que cela impliquait. A l’entrée, nous avons retiré nos chaussures et nous nous sommes soumis de bon gré à un rituel de salutations aux âmes des soldats morts pour la liberté du pays tout au long de l’histoire du pays. 

Lire aussi : CARNET DE VOYAGE - ABDALLAH SAAF AU PAYS DE HÔ CHI MINH, 2ÈME PARTIE : ENFIN HANOÏ, ‘’LA PORTE DU MAROC’’

Nous nous enfonçons ensuite dans la forêt et découvrons un monde de résistance à mort à l’ennemi, quel qu’il soit, quelle que soit sa puissance. Les Américains, nous dit-on, ne s’aventuraient pas par là, à la limite immédiate de la ville. Nous découvrons les trois étages d’abris, de sanctuaires, de circuits, de passages souterrains, sur des kilomètres, en dessous de la terre. Toute la logistique nécessaire à une armée invisible en combat permanent. Les souterrains se déclinent sur trois étages. Trois étages solides sous terre, les uns supportant des autres sans risque d’effondrement. Aujourd’hui encore, intacts, ils témoignent de l’ingéniosité de la résistance vietnamienne. Avant d’y entrer, nous enjambons de larges fossés creusés par les lancers des fameux bombardiers B 52. Appartenant désormais au champ de l’histoire, la guerre de résistance a produit toute une ‘’industrie’’ d’artisanat qui alimente les magasins de souvenirs : t- shirts, sandales, statuettes, médailles, fascicules explicatifs, cartes postales, casquettes, etc…

Pareille visite ne peut qu’être impressionnante. Et je l’étais aux tréfonds de moi-même. Etudiant à la fin des années soixante, je suivais au jour le jour la guerre vietnamienne au Nord comme au Sud jusqu’à ses derniers jours. J’ai lu énormément. Jour après jour, semaine après semaine, Je dévorais les articles des grands reporters de guerre de l’époque. Des rangées entières de ma bibliothèque concernent le Vietnam, son histoire, sa société, ses combats, les deux grandes guerres de libération.

Le commissaire ne s’y trompait pas. On comprend mieux après cette visite le fil de l’histoire, on cerne plus le déroulement des évènements. Ce que je voyais de mes propres yeux n’avait qu’une petite mais lourde phrase pour le définir : les secrets d’une victoire. Derrière cette formidable mécanique de guerre révolutionnaire, quasi-asymétrique, il y a l’instrument qui a constitué l’organisation politique, l’action de mobilisation de la population, le travail particulier et très technique de construction d’une logistique appropriée et déterminante. Les Vietnamiens ne sont pas les seuls à avoir conçu semblable dispositif de guerre. Ailleurs, chez d’autres peuples, des abris, des sanctuaires, des chemins secrets, ont été creusés. Mais ces dispositifs logistiques n’ont pas produit les résultats escomptés, faute d’une vision d’ensemble pertinente.

Retour sur terre

Après cette visite, déjeuner chez les Vétérans. Comme à l’habitude, variété de plats bouillonnant en compagnie des généraux responsables de l’association. Je m’essaie à utiliser mes bâtonnets pour manger et y arrive tant bien que mal. Pour eux, cela ne pouvait qu’être amusant de me voir tout occupé à manger si maladroitement. Ils m’accompagnaient d’un sourire bienveillant.

La visite terminée, nous nous rendons à l’un des hauts lieux du tourisme de Ho Chi Minh Ville. Visiblement un grand nombre de visiteurs des pays de toute la région circulent en bon ordre dans ce lieu surréaliste, l’ancien palais présidentiel devenu musée, lieu de mémoire, résidence surprotégée, ville dans la ville, avec des issues multiples, où se cadenassait l’ancien pouvoir. Par certains côtés, il faisait grande villa avec force chambres, salons, salles de séjours, salle de jeux, salle de travail, piscines, jardins, des meubles de luxe, tapisseries variées, tableaux, vases… Cet univers baigne dans une verdure d’une rare densité. Par d’autres aspects le palais fait figure de forteresse avec salles d’écoutes, de transmissions, une caserne souterraine gigantesque, dortoirs, des cuisines immenses, espaces pour atterrissages d’hélicoptères, motocyclettes monstrueuses à l’ancienne, jeeps, voitures…

C’est l’autre Vietnam, celui des anti-communistes et de leurs piliers américains, sa défaite, sa chute, la gestion chaotique de la fin de la guerre, le prix que le Vietnam a payé pour sa réunification.

Il fait très chaud à Saigon. La chaleur est telle que les gens sont en shorts ou en maillots de bain. Réminiscence d’images artistiques rendant compte de la vie en période de lutte, mais dans des espaces aujourd’hui plus apaisés. Et alors que nous circulions, de célèbres films remontent à la surface et repeuplent mon esprit. 

Le minibus nous fit faire un grand tour dans la nouvelle ville d’Ho Chi Minh, avec ses hôtels somptueux, haut standings, ses franchises, ses grands travaux de réaménagement, ses dimensions mondialisées, les espaces et édifices hérités de la période coloniale, toujours imposants et centraux.

Longue marche dans le centre ville et prise de photos côté mairie, les statues érigées à la mémoire d’Ho Chi Minh, très présentes partout, le fameux opéra du vieux Saigon que j’avais entraperçu aussi dans de vieux films de la période coloniale, ou capté dans des pages littéraires. 

Des traces du passé subsistent à l’évidence, font sentir parfois fortement leur présence, mais incontestablement, du nord au sud, le nouveau prend le dessus. 

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