Carnet de voyage - Abdallah Saaf au pays de Hô Chi Minh, 1ère partie : le rêve vietnamien

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‘’Je pensais fortement qu’à côté du voyage collectif, bien réel était mon voyage à moi, tout à fait personnel, vers mon Vietnam, à travers la représentation que je m’en étais faite durant des décennies, depuis mon avènement à la conscience politique.’’

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a été, entre autres, ministre de l’Education nationale, membre de la Commission pour la révision de la Constitution de 2011. Auteur de plusieurs ouvrages et président du Centre d’Etudes et de Recherches en sciences sociales (CERSS), il a effectué plusieurs voyages au Vietnam. Venant de la gauche radicale marocaine, il ne pouvait qu’être sensible au pays de Hô Chi Minh et Giáp dont les guerres contre le colonialisme et l’impérialisme au XXème siècle peuvent constituer pour un Homère contemporain une Iliade et une Odyssée des temps modernes. Mais pas seulement. Qualifié de pays à revenus intermédiaires par la Banque mondiale, le Vietnam est désigné, au choix, comme « l’atelier du monde », ou un autre « tigre économique » de l’Asie. Un Chiffre pour en témoigner : Au cours des huit premiers mois de cette année, il a attiré des investissements étrangers estimés à 16,8 milliards de dollars. Ce Carnet de voyage, Abdallah Saaf l’explique par la nature des liens économiques, culturels, et humains significatifs qu’entretient le Maroc avec le Vietnam. Par son affection sentimentale et intellectuelle pour cette lointaine et proche contrée, aussi. Une manière de célébrer ce magnifique pays en son jour de fête nationale (le 2 septembre).  Ce premier voyage, A. Saaf le commence par le récit de son envol pour Hanoï et son impatience d’atteindre sa destination tant rêvée. 

Je suis parti pour Hanoï au cours de la dernière semaine de mars 2017 pour en revenir au début d’avril de la même année. Le premier voyage m’a semblé bien court au regard de ce que j’y ai investi en attachement intellectuel et affectif. J’aurais voulu que mon immersion vietnamienne ait été plus longue. Mais j’ai vécu ces jours au Vietnam comme un trophée que j’ai fini par remporter après un grand effort, une longue attente, un travail intellectuel sur une expérience à la fois radicalement différente de ce que nous autres Marocains avons vécu et en même temps comparable. 

Au cours des dernières années, plusieurs occasions d’aller au Vietnam s’étaient présentées. Du fait de maintes urgences, je n’avais pas eu jusque-là la disponibilité d’esprit nécessaire pour effectuer ce périple. Je n’ai jamais cessé pour autant de rêver de ce pèlerinage.

Cette fois, je me rendais au Vietnam sur invitation de l’ambassade marocaine à Hanoï, en collaboration avec les autorités vietnamiennes, dans une délégation quasi officielle où étaient représentés le Haut-Commissariat à la Résistance, l’Université marocaine et le Centre d’Etudes et de Recherches en sciences sociales (CERSS) que je dirige, comme composante de la société civile. 

Je pensais fortement qu’à côté du voyage collectif, bien réel était mon voyage à moi, tout à fait personnel, vers mon Vietnam, à travers la représentation que je m’en étais faite durant des décennies, depuis mon avènement à la conscience politique. Comme pour beaucoup de jeunes de ma génération, le Vietnam n’était pas seulement un fait international, des péripéties extérieures, mais une expérience individuelle.

A mon retour, je ne sais pourquoi, je reportais constamment le moment de l’écriture comme un plaisir dont on veut jouir dans les meilleures conditions possibles, mais à venir.

Durant mon voyage, depuis le départ, tout fonctionnait comme si quelque part, d’une certaine manière, je couvrais d’un caractère sacré ce voyage, que je portais en moi et que je souhaitais effectuer du plus profond de moi-même. Ma « passion » vietnamienne par rapport à toutes mes passions, prenait un relief particulier. Il ne s’agissait pas d’écrire pour écrire, ni pour évaluer, ni pour capitaliser, ni pour jouir du plaisir narcissique de se voir déambulant à travers les coins les plus reculés du monde, mais parce que c’était le Vietnam à la rencontre duquel je souhaitais aller de longue date.

L’escale émiratie

Départ de Casablanca, via Dubaï, pour Hanoï en tout confort, jusqu’au retour et en revenant par Ho Chi Minh ville, jusqu’à Casablanca, en repassant par Dubaï. Tout au long du trajet, tout se passe bien entre films, lectures, un peu d’écriture et des tentatives plus ou moins manquées de sommeil.

A la fin de la première étape du voyage de Casablanca-Dubaï, l’avion tourne en rond longuement dans le ciel émirati, plus d’une heure, avant de se poser enfin sans que l’on réussisse au moment de l’atterrissage, ni même plus tard, à savoir quelle était la nature du problème. Ce n’était manifestement pas un problème de sécurité. Peut-être la météo ? Plus tard, lorsque l’on eût l’occasion de sortir des salles et couloirs de l’aéroport, nous pûmes constater la profondeur et la densité du brouillard, et la petite pluie fine continue. Ou s’agissait-il de dysfonctionnements dans la gestion informatique des vols ? De problèmes de mécaniques avec des effets en cascade ?... Nous ne le saurons pas. A notre descente d’avion, nous avons pu constater que le problème était général et concernait tous les vols. Et cette interrogation qui effleure mon esprit : A quoi bon disposer de tant de moyens et vivre des cauchemars de gouvernance de cette nature ?  

Aucune information même pour rassurer. Seulement un aéroport haut standing, de la nourriture en abondance, des serveurs, des employés, des agents de sécurité.

Nous étions sûrs de ne pas pouvoir être à l’heure pour la connexion qui devait nous ramener de Bangkok, notre prochaine destination, avant Hanoï. Mais d’abord, nous devions achever notre nuit blanche émiratie dans les plus mauvaises conditions physiques et surtout morales...

Nous ne partîmes de Bangkok que tardivement, le lendemain en fin de matinée, après la nuit agitée et difficile que nous venions de passer et un début de matinée dans la plus grande incertitude.

L’aéroport de Dubaï est impressionnant, un standing haut de gamme, beaucoup de commodités, des gadgets partout, les journaux des quatre coins du monde, des repas dans les règles de l’art, des sandwichs, des fruits secs, des jus, des sodas, un personnel multinational, multiculturel, innombrable (des serveurs, des employés, des agents de sécurité, des cuisiniers, des cadres…) Quel aéroport, quelle compagnie, quel pays pourrait prétendre rivaliser avec celui-ci ?

Enfin le départ pour Bangkok dans les mêmes conditions d’aisance mais après une difficile et interminable nuit blanche. Nous arrivons dans la capitale thaïlandaise la nuit, où nous attendaient les employés de la compagnie émiratie. La qualité de l’organisation de la compagnie est bonne. Ce moment d’ordre, après le désordre vécu, rassure un peu. Nous sommes nourris et logés dans un hôtel situé à l’intérieur de l’aéroport. Dans la chambre et dans la salle de bain, on trouve le minimum indispensable, l’essentiel pour se remettre d’aplomb, en l’absence de nos bagages acheminés depuis Casablanca sur Hanoï.

Notre préoccupation majeure était d’arriver à Hanoï, juste à temps pour participer à la manifestation à laquelle nous étions conviés, objectif officiel et principal de ce voyage. Une manifestation qui devait commencer selon le programme initial, le lundi matin. Or du fait du retard de la ligne Casablanca-Dubaï, nous ne pouvions arriver au mieux qu’en milieu de journée. Depuis l’escale émiratie, nous avions avisé l’ambassade et les organisateurs de la rencontre maroco-vietnamienne du contretemps. A Hanoi, l’ambassade et les autres organisateurs déployèrent une grande gymnastique pour déplacer l’activité du matin vers l’après-midi en essayant de faire en sorte qu’il n’y ait pas trop de déperdition des intervenants concernés et du public attendu.

Dans mon impatience d’atteindre enfin le rêve vietnamien, par le jeu complexe des associations de la mémoire, me revinrent les souvenirs de « Parcours marocains en Indochine »*, réalisé à partir des entretiens que j’ai menés avec les tirailleurs marocains, les « anciens d’Indochine ». Je ne pouvais m’empêcher de comparer leurs repères géographiques et leurs escales : Marseille, Toulon, Oran, Port-Saïd, Suez, Aden, Djibouti, Bombay, voire Colombo… des passages obligés vers « l’enfer de la guerre annamite ».

Ramené à ce périlleux périple, long et harassant, le vol d’aujourd’hui, direct, aisé et simple vers « l’atelier du monde », vers l’autre « tigre économique » de l’Asie, vers ce qui est considéré à l’échelle universelle comme un modèle de développement, ressemble à une promenade de santé.

*Edition La Croisée des chemins, Casablanca, 2017

Demain : Deuxième partie de Carnet de voyage de Abdallah Saaf : Enfin Hanoï 

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