Pinochet et le chanteur rebelle – Par Samir Belahsen

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Angel Parra est né le 27 juillet 1943, à Valparaiso (Chili), la ville des quarante collines, d’un père cheminot militant du parti communiste, et d’une mère chanteuse : Violeta Parra, célèbre, devenue une icône de la chanson latino-américaine.

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« C'est le lot d'un pays sous dictature, on entend des coups de feu dans le noir, des autos qui accélèrent, des cris étouffés ou déchirants. Cela se termine presque toujours en veillées funèbres. »

Angel Parra

« Les premières années de mon exil parisien m’ont servi d’école primaire et secondaire de la vie. Je suis devenu un expert en matière de ce que je m’étais imposé : nier ce que j’avais vécu, oublier le passé. »

Angel Parra

C’est un peu ce que je cherchais, en cette fin d’année, un récit sur la période Pinochet.

"Les mains sur la nuque" de Angel Parra (Traduit de l'espagnol par Bertille Hausberg Métailié, 2007) est un roman profondément ancré dans le contexte historique de la dictature de Pinochet au Chili.

Quand j’ai pensé au Chili et à la dictature de Pinochet, j’ai bien entendu revu le film de Patricio Guzman, « La bataille du Chili » qui m’a permis de revoir le décor, le contexte du roman, j’ai aussi découvert le documentaire de France 3 «Le dernier combat d’Allende».

Le chanteur rebelle

Angel Parra est né le 27 juillet 1943, à Valparaiso (Chili), la ville des quarante collines, d’un père cheminot militant du parti communiste, et d’une mère chanteuse : Violeta Parra, célèbre, devenue une icône de la chanson latino-américaine. 

C’est elle qui lui avait donné le goût de l’engagement politique et de la chanson.

Violeta Parra traversait le Chili, elle collectait le folklore des régions qu’elle transformait en chants révolutionnaires et hymnes à la vie. 

C’est elle qui chantait « Gracias a la vida » qui est devenue un standard international grâce à Joan Baez (autrice-compositrice-interprète américaine de musique folk). 

Le film Violeta (2011), d’Andrés Wood est largement inspirée par la vie de la chanteuse.

Notre auteur, le fils, est une figure majeure de la résistance chilienne en exil qui a poursuivi son œuvre militante jusqu’à sa mort. 

Lors du coup d'Etat de 1973, il avait été incarcéré et torturé dans le fameux Stade national de Santiago, puis déporté pendant un an dans le tristement célèbre camp de concentration de Chacabuco. Le roman est en quelque sorte une autobiographie romancée.

Grace à l’activisme de beaucoup d’artistes, comme Charles Aznavour et Yves Montand, il a été expulsé au Mexique en 1974 avant de s’installer à Paris. 

L’histoire

Le11 septembre 1973, Rafael est conduit, les mains sur la nuque, par la police militaire au Stade national converti en prison ouverte pour prisonniers politiques. 

Le général Pinochet et ses sbires viennent de prendre le pouvoir à Santiago du Chili. 

Le président Salvador Allende est assassiné et les arrestations, les déportations, les tortures et les exécutions s’enchainent. 

Chaque prisonnier s’accroche à la vie à sa manière. Pour Rafael, il fit une trouvaille pour conjurer l’absurdité de la situation, pour respirer et soulager ses codétenus de la torture et des interrogatoires interminables. 

Il s’improvise conteur. 

C’était sa façon de se réfugier dans la littérature. Il améliore sa technique en gardant son humour.

Même emporté par son histoire, il maitrise. Généreux, il joue avec merveilleusement avec les mots...

L'histoire se déroule pendant une période de répression intense où la violence politique et la peur étaient omniprésentes. 

La politique chilienne du gouvernement de l'Unidad Popular marquée par le rapprochement avec Cuba et l'URSS avait provoqué le mécontentement des États-Unis. Le coup d’Etat de 1973 s’en est suivi.

Le roman suit différents personnages qui tentent de naviguer dans ce climat oppressif d’après le putsch, chacun étant touché de manière différente par les événements qui se déroulent autour d'eux.
L'un des aspects les plus marquants du roman, du moins pour moi, est la manière dont Parra parvient à tisser les expériences singulières de ses personnages dans le tissu plus large de l'histoire chilienne. 

Les petites histoires qui tissent l’Histoire

À travers leurs perspectives, nous sommes témoins des luttes personnelles, de la perte, de la résistance et de la recherche de sens dans un contexte où les valeurs fondamentales de la société sont mises à mal.

Parra utilise une prose évocatrice pour dépeindre la tension palpable qui régnait dans la société chilienne à l'époque, et nous plonge profondément dans l'atmosphère politique et sociale de cette période. 

Le style littéraire du chanteur folk est certes un peu minimaliste, parfois même un peu léger, la force du récit est dans l’histoire.  La sensibilité de l’artiste et sa générosité dans la description de la situation tragique qu’il a vécue font la force du texte.

"Les mains sur la nuque" offre un aperçu précieux et émotionnellement puissant de la vie sous la dictature de Pinochet, et souligne la résilience et la persévérance de l'esprit humain face à l'adversité politique.

Pinochet, après plus de 3 200 morts et « disparus », plus de 38 000 personnes torturées, plusieurs centaines de milliers d'exilés, n’a quitté le pouvoir qu’en 1990 suite à un référendum révocatoire et à une transition difficile.

Le 10 octobre 1998, il a été arrêté à Londres à la suite d'une plainte en Espagne pour « génocide, terrorisme et tortures ». Il a pu être libéré pour raisons de santé en mars 2000.

Le journaliste argentin Washington Uranga l’a qualifié comme « le symbole tragique d'une époque ». Il est décédé en 2006 sans être jugé, comme beaucoup de symboles tragiques d’époques tragiques…mais le monde savait et il a toujours su.

Angel Parra est décédé à Paris en 2017 après un exil de quatre décennies à l'âge de 73 ans.

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