Pluies, prières, la perplexité d’un ami - Par Seddik MAANINOU

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Le Prince héritier et la Princesse Lalla Khadija à Salé pour une prière rogatoire en janvier 2016

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Décisions douloureuses – Par Seddik Maâninou

Un ami m’a pris de court l’autre jour en m’interrogeant sur le lieu où allaient se dérouler les prières rogatoires dans la capitale Rabat pour conjurer la parcimonie du ciel. «Je me suis rendu à la mosquée Lalla Soukayna, puis à la mosquée Al-Andalous à Hay Riyad, puis à la mosquée Arridouane. Elles sont toutes fermées, alors que le communiqué du ministère des Habous et des affaires islamiques indiquait que les prières pouvaient se dérouler dans les moquées fédératrices», m’a-t-il confié. Il se demandait si, à défaut de le faire en groupe, il était permis d’accomplir les prières rogatoires en solitaire ou en famille chez lui ?

Le mousallah

Sans y réfléchir, je me suis souvenu de la scène des prières rogatoires présidées par SAR le Prince héritier Sidi Mohammed (actuel Roi du Maroc) à la mosquée Tour Hassan attenante au mausolée Mohammed V. Au milieu d’une présence massive, il élevait ses prières en chœur avec les fidèles : «Seigneur, nous quémandons votre grâce, nous nous tenons à votre porte. Qui d’autre que Vous, le plus clément et miséricordieux, saura répandre sa clémence ?» 

Les temps étaient durs à cause d’une crise de sécheresse aigüe qui avait atteint son paroxysme. Les gens souffraient de manque d’eau, de baisse de production et de hausse des prix. Le Maroc se retrouvait au bord de la pénurie et de la disette.

Les enfants des écoles coraniques, pour leur innocence, prenaient la tête de la procession, portant leurs tablettes en bois et récitant des invocations

Les prières rogatoires sont accomplies par les croyants pour implorer à Dieu ses pluies bienfaitrices et rompre le cycle infernal de la sécheresse. A l’instar des prières de l’Aïd, elles sont accomplies en groupe avec deux rak’âtes (génuflexions). Pour accomplir ce rite, les gens avaient l’habitude de se rendre dans les mousallahs, de vastes aires de prières à l’extérieur des remparts des villes, bien qu’ils puissent également l’accomplir dans les enceintes des grandes mosquées. 

A Salé, il existe toujours un mousallah en bordure de mer doté d’un mihrab en, l’espace incurvé ou se tient l’imam pour diriger la prière, et d’un piédestal en pierre sous forme de minbar pour les besoins des deux prêches. Le même existe encore à Rabat, près du cimetière Achouhada, face au phare, mais guère utilisable depuis que la route conduisant au tunnel des Oudayas a été transformée en voie express.

Le témoin

Dans ses mémoires, mon père Hadj Ahmed Maâninou revient sur des prières rogatoires accomplies au début des années 1930. «Un colporteur (berrah) criait dans les souks de la ville que le Sultan, à l’époque Sidi Mohammed Ben Youssef, appelait à des prières rogatoires. Le jour précis, les gens se sont dirigés vers le mousallah. Les enfants des écoles coraniques, pour leur innocence, prenaient la tête de la procession, portant leurs tablettes en bois et récitant des incantations. Les gens déclamaient en chœur cette prière : «Seigneur, abreuve tes serviteurs et tes animaux, répands ta clémence et ressuscite ton pays mort ! » Ce fut une procession dense précédée par les foukahas, les oulémas et les chorafas, tous vêtus de vieux haillons et nombre d’entre eux portaient des djellabas à l’envers en signe de désespoir et de soumission, d’autres pieds nus. Chacun était plongé dans sa profonde peine. Les femmes, sur les bas-côtés ou sur les terrasses des maisons, hurlaient leurs souffrances et imploraient le Tout-Puissant.»

L’historien

Dans son «Histoire de la dynastie alaouite», l’historien Al-Duayf Al-Ribati (1752/1820) décrit une des scènes de prières rogatoires accomplies il y a deux siècles à Rabat sous le règne du Sultan Moulay Al Yazid (1790/1792) : «Les gens ont accompli une première prière, puis une deuxième, le prédicateur était l’imam Abdellah Bennani. Les gens se mirent à pleurer et à visiter les sépultures des saints, cherchant l’intercession le Coran [à la main]. Les juifs sortaient en groupes et appelaient Dieu à arroser sa terre». 

L’historien reprend que «durant cette période, on manquait de céréales, de caroube, de raisins, d’orge, de maïs, la famine fut telle que dans les campagnes on a cédé au cannibalisme. Une troisième prière fut accomplie avec l’imam Mohamed Sijilmassi et Dieu finit par répandre sa clémence. Lors de cette période difficile, le Sultan distribuait de l’argent aux habitants de Rabat, Salé, Marrakech et d’autres régions».

Les juifs

Mon père raconte, toujours dans ses mémoires, que «les juifs de Salé sont sortis du mellah, hommes, femmes et enfants, récitant des invocations et des supplications pour demander la pluie au Très-haut. Ils étaient pieds nus et leurs femmes hurlaient et pleuraient. La masse était précédée d’enfants arborant un certain nombre de tablettes en bois et de figurines qu’ils avaient apportées de leurs synagogues. Dans l’épreuve, les juifs marocains ont montré leur attachement à la solidarité nationale».

Les pluies rogatoires font donc partie de la culture marocaine et de la Sounna du prophète Sidna Mohammed, paix et bénédictions de Dieu sur lui, qui a accompli ces prières hors de Médine en deux génuflexions. Mais sans rentrer dans les détails, l’on pourrait affirmer que ce rite peut se faire individuellement ou chez soi en famille, même si les règles de la Sounna préconisent son accomplissement dans un lieu commun, les prières en groupe étant plus promptes à être entendues par le Créateur.

La femme peut également se joindre aux prières rogatoires au même titre qu’aux prières de l’Aïd dans un mousallah, derrière les hommes. L’érudit andalou Ibn Abd El-Barr (978/1071) soutient que la présence des femmes à ce rite doit être sobre, sans fards ni parfums, autrement dit «sans embellissement attirant ni fortes fragrances». 

Météo

Je me rappelle par la même occasion que feu SM Hassan II a dit, en réponse à la question d’un journaliste, qu’il préférait mieux lire un bulletin météo sur une éventuelle chute de pluie qu’un rapport sur la situation sécuritaire dans le pays, considérant que la pluie fait partie de la sécurité nationale. Soucieux d’appuyer justement le bulletin météo à la télévision marocaine, le défunt Souverain a ordonné l’équipement du service de la météorologie à Casablanca et a pris en charge, sur ses propres fonds, le financement d’une partie des équipements requis. Il disait souvent qu’il était lui-même un agriculteur, d’où son intérêt pour la pluie.

Ainsi, mon ami Naïm Kamal m’aura poussé à revoir mes leçons en rapport avec les pluies rogatoires et s’il était permis de les accomplir chez soi, si elles relevaient de la Sounna ou de l’obligatoire, et si les femmes sont autorisées à y prendre part ? J’espère y avoir brièvement répondu sans prétendre à l’exhaustivité des théologiens et des érudits. Comme le disent les oulémas de la jurisprudence à la fin de leur propos : «Dieu est le plus omniscient !» et lui seul sait.