chroniques
Le ''bled siba'' au ''bled makhzen''- Par Abdelaziz Tribak
A cause de la cherté des prix, ou pour d’autres raisons, des gens ont dormi dans la rue, certains à même le trottoir. Notre « autogestion sauvage » fera sûrement de ce besoin un métier, et nos gars, une vocation « gardiens du sommeil » louant matelas d’éponge et couverturess
Le camarade Tito, père communiste de l’ancienne Yougoslavie, avait inventé « l’autogestion » et les « occidentaux » ont inventé « le libéralisme sauvage », deux systèmes qui comme les montagnes ne devraient pas se rencontrer.
Mais, c’est sans compter sur le « génie » de nos concitoyens qui sont en train d’inventer « l’autogestion sauvage » … Le moins d’Etat et le moins d’ « élus » communaux. Ce qui se passe, cet été, du côté du littoral des environs de Tétouan en est un témoignage. Mais ce n’est certainement pas une exclusivité du nord. Où sont nos sociologues, nos politologues et tous les autres « logues » pour nous « déchiffrer » tout cela… ?
Le rôle de l’Etat hors travail bureaucratique, semble, ainsi, se limiter au contrôle de la circulation, ce qui n’est pas une mince affaire en été (Chapeau à nos agents de circulation qui déploient un effort immense par cette canicule et ce désordre social), à faire montre de présence (discrète le plus souvent…) et à intervenir après grabuge…
Quant aux élus communaux, et à part ceux qui coiffent les services administratifs des légalisations (on vend et achète à fond en été, en biens immobiliers et en voitures…etc.), il est difficile de comprendre vraiment à quoi ils servent en été (on leur accorde le bénéfice du doute pour les autres saisons) …
Qui dit le littoral en été dit les plages. De ce côté, rien que de Cabo negro à Martil, c’est une dizaine de kilomètres de plages. Et cela va au-delà de Martil et au-delà de Cabo. De belles plages qui présentent très peu de dangers pour les nageurs et…assez de places pour tout le monde. De quoi passer des vacances estivales tranquilles !
Si ce n’était notre néo système d’« autogestion sauvage » !
L’offre en loyer estival semble consistante, car l’on y construit à une grande vitesse et pour toutes les gammes possibles (économiques ; faux haut standing, haut standing, résidences estivales…) et puis un bon nombre de citoyens offrent des chambres ou carrément leur logement à louer. Mais, « l’autogestion sauvage » fait que les prix sont incontrôlables au grand dam des candidats qui doivent faire avec en grognant… Nul n’est besoin de dire que le fisc n’a rien à opiner là-dedans. Cela se passe par internet entre clients et propriétaires, ou intermédiaires (qui se « sucrent » là-dessus). Et aussi en « loyer-direct » (Une trouvaille à méditer pour les spécialistes marketing), avec des files de gars faisant le trottoir pour montrer des clés aux conducteurs des voitures passant à proximité. Et si les prix montent, la qualité de ce qui est offert est une « surprise » à découvrir sur place (à ses risques et périls). L’Etat dans tout cela ? Aux abonnés absents, même le risque « terrorisme » qui avait approché, dans le temps, les moqadems de tout loyer « suspect », ou non, semble oublié pour le besoin d’une plage…
A cause de la cherté des prix, ou pour d’autres raisons, des gens ont dormi dans la rue, certains à même le trottoir. Notre « autogestion sauvage » fera sûrement de ce besoin un métier, et nos gars, une vocation « gardiens du sommeil » louant matelas d’éponge et couvertures, en plus de la sécurité des dormeurs. Pour les besoins, petits et grands, avant il y avait la nature, à présent les halls d’immeubles et certains cafés qui auraient l’idée d’exploiter le filon. Rien ne se perd, tout se transforme…
Et comment ne pas profiter de tout ce bienfait qui arrive en voitures, en cars ou autres ? L’indice de cherté de la vie fait un bond au point de sortir du cadre des services préposés à en rendre compte. Le pain n’est jamais nu et on le saupoudre d’une quelconque céréale pour doubler ou tripler son prix. Encore faudrait-il s’y atteler tôt pour en trouver.
Les snacks, minables ou pas, les restaurants et les cafés se font leur beurre pour plusieurs poignées de dirhams en plus. Gare aux ventres creux qui s’abstiendraient de voir de près la liste des prix proposés… ce n’est jamais comme lors de la dernière visite en hiver ou en printemps…
Et les services du fisc, du contrôle des prix et de l’hygiène dans tout cela ? Pourquoi faire ? C’est « l’autogestion sauvage », c’est le « souk » et la main invisible chère à Adam Smith qui régulent l’offre et la demande…
Et puis, il y a nos « gilets jaunes ». Porter ce gilet (parfois porter un bâton suffit), c’est une autorisation sui generis, et pas seulement de garder les voitures contre vols et vandalismes, non, pour « posséder » aussi des pans de boulevards et de rues. Tu « casques » que tu restes dans ta voiture à la surveiller toi-même ou que tu la quittes. Que tu t’absentes longtemps ou juste pour acheter du pain (qui coûte parfois moins que la rançon laissée au « propriétaire » de la rue). Discuter ou marchander le tarif ne mène à rien sinon à une perte de temps accompagnée d’insultes copieux et, parfois, d’escarmouches ou d’une bagarre en règle… Là, c’est la loi du « gilet/bâton » ! Oui, il existe des parkings avec des tarifs fixés par les communes, mais d’une part ils sont insuffisants devant le flot des voitures, et d’autre part, qui contrôle quoi, où, quand et avec quels moyens ?…
Ayant surmonté tout cela avec stoïcisme, à force de coups de gueule à gauche et à droite ou de bousculades (voire plus si non affinités) le citoyen estivant arrive enfin à atteindre les plages du bleu plein les yeux (et parfois au sens propre…). Mais, il n’est pas encore au bout de sa peine !
Sur plage, c’est le chaos total. Des rumeurs circulent sur le fait que les communes concèdent le droit de planter des parasols à louer à des particuliers en leur limitant la superficie et le nombre. Ces particuliers seraient des « nécessiteux » et la commune ferait « bonne œuvre » tout en veillant à l’application d’un cahier de charges strict. Mais, ce sont juste des rumeurs, car les charges, c’est le citoyen estivant que les porte sur place…
D’abord, les chaises/tables/parasols sont débarqués, sur certaines plages, à des quantités « industrielles » qui nécessitent un grand camion à remorque et l’on n’a pas eu vent de l’existence d’une « coopérative des nécessiteux préposés à louer ce genre de matériel ». Ensuite ces « loueurs » occupent toute la longueur des plages au bord de l’eau, avec d’autres rangs en amont si besoin (Et le besoin est pressant par cette canicule). Donc, il n’existe aucune limitation, ni du nombre, ni de la superficie. Les plages leur appartiennent, et ils savent manier l’insulte et le bâton (Ou même quelque lame en acier…) pour intimider leur monde. Cela va sans dire que les « loueurs » tant les « nécessiteux » que ceux « à remorques » constituent ce que l’on pourrait appeler des « bailleurs de…voix ». Et une voix, plus que l’eau, est un bien précieux pour tout élu qui se « respecte » !
Là, c’est « l’autogestion sauvage » totale. Cela se règle à coups de poings, de langue acérée et d’interventions genre « fil blanc ». Et pas d’Etat ou très peu juste quand cela dégénère ! Heureusement que l’on n’a pas eu à déplorer des morts. Ce qui prouve que le système « d’autogestion sauvage » est de plus en plus assumé et intériorisé...
Le repos estival dans tout cela ?
Après une journée harassante, le retour au bercail est une vraie torture. Bouchons et embouteillages engloutissent tout le grand effort d’infrastructures consentis ici par l’Etat depuis le début du siècle actuel. Rentrer sans choquer contre son prochain, ou se faire secouer tous azimut, devient une prouesse à accomplir quotidiennement. Heureusement que la police veille dans les carrefours stratégiques… Et malgré cela, il n’est pas rare de tomber sur des « Mad Max » à moto culbutés sur des tronçons de route. Ou un chauffard ayant mal cuvé sa nuit blanche et ayant fracassé sa voiture contre un lampadaire après avoir réalisé un tour incroyable de 90° alors que la route est large, vide et droite…
Nos concitoyens riches choisissent le large. Les moyennement riches aussi. Et même des bourses modestes qui savent planifier. De nombreuses personnes possédant une maison pieds dans l’eau, ou presque, dans des résidences cossues ou non, sur le littoral nord préfèrent les louer au prix, cher, en vogue ici pour aller louer eux-mêmes, à moitié prix, un appartement sur la Costa del Sol et profiter de la plus-value engrangée pour passer des vacances décentes. Pas besoin de louer un parasol et aucune trace d’un « nécessiteux » armé d’un bâton, avec possibilité de s’installer au bord de l’eau. Dans ces plages on loue aussi, pour qui en a besoin, des parasols, mais en arrière et dans des surfaces bien limitées. Le soir on peut flâner et « planer » (pour les amateurs) à sa guise…
Sincèrement, avec nos belles et immenses plages, c’est un vrai gâchis qui s’installe ici tous les étés. A côté, la petite Sebta avec ses mini-plages aurait pu servir d’exemple d’ordre et d’organisation…
Sommes-nous à ce point incapable de nous organiser ? Ou alors avons-nous définitivement trouvé notre voie en inventant notre système d’« autogestion sauvage » ? Voie qui ressemblerait à du « bled siba », mais dans le « bled makhzen »…
Tétouan, le 25/08/2022