''Cinéma, mon amour !'' de Driss Chouika : TAHAR CHERIAA LE PERE DU CINEMA ARABE ET AFRICAIN

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Tahar Cheriaa : Celui qui détient la distribution détient le cinéma. Les africains et les arabes se doivent de créer leurs propres instances et réseaux de distribution et d’exploitation cinématographiques. Car c’était le seul moyen de contourner la mainmise du “néo-colonialisme occidental“ sur le cinéma du tiers monde en général.

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«  Je n'aurais jamais pensé qu'un pays comme la Tunisie prendrait le concept de la culture comme un loisir et pas comme un fondement pour créer le nouvel homme tunisien éclairé tel que nous l'avons imaginé après l'indépendance ». Tahar Cheriaa (Créateur des JCC – 05/01/1927 – 04/11/2010).

J’ai été invité à Nabeul pour présenter mon film “Finak alyam“ à la 1ère Rencontre du Cinéma Arabe de Nabeul qui a eu lieu du 25 septembre au 02 0ctobre 2010. Feu Noureddine Sail m’avait alors demandé s’il était possible d’aller rendre visite à notre ami Tahar Cheriaa pour s’enquérir de sa santé. Apès la présentation et le débat du film, j’avais pris la route pour aller à Sayada, la petite ville natale de Cheriaa et où il a passé la fin de sa vie. Elle se trouve sur la côte Est de la Tunisie, à environ 150 Km de Nabeul, à 15 Km au Sud de Monastir. Là, dans la maison familiale de sa naissance, j’ai retrouvé le fondateur du Festival International des Journées Cinématographiques de Carthage (JCC), le premier soutien du Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougióu (FESPACO) et le soutien principal de la 2ème édition du Festival du Cinéma Africain de Khouribga en1983, alors directeur du service cinéma de l’Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT).

C’était ainsi que j’avais pu rencontrer, pour la dernière fois, ce grand homme et cinéphile, appelé à juste titre Le Père du cinéma africain et arabe. 

QUI DETIENT LA DISTRIBUTION DETIENT LE CINEMA

Dès 1966, année où il avait créé les Journées Cinématographiques de Carthage, il était alors responsable du service du cinéma au Secrétariat d’Etat aux Affaires Culturelles et à l’Information, il avait commencé à développer une vision originale du secteur cinématographique en Tunisie, et plus généralement dans les pays Arabes et en Afrique. En 1968 il avait publié une étude intitulée « Écrans d'abondance, ou cinémas de libération en Afrique », publiée par la Société Anonyme Tunisienne de Production et d’Expansion Cinématographiques (SATPEC), rééditée en 1978 par l’Organisme Libyen de Cinéma El Khayala. Dans ladite étude il expose la problématique de l'importation/distribution des films en Afrique et dans les pays arabes, ainsi que la nécessité de leur nationalisation. 

Il disait notamment, à propos de la mission essentielle des JCC : « Il s’agissait de créer un instrument de prise de conscience, un événement générateur de réflexion, d’observation, de constat, de comparaison, d’évaluation et de réévaluation des besoins et des moyens nationaux en vue d’un grand objectif : la libération économique, culturelle et politique de la Tunisie dans le secteur si important du cinéma. À ce titre, les JCC devaient donc être une sorte de laboratoire au triple plan tunisien, africain et arabe. Il s’agissait de favoriser le développement des cinémas nationaux dans le monde afro-arabe en facilitant les contacts entre les créateurs, tout en présentant nos films et ceux de nos alliés naturels, les Arabes et les Africains, dans les meilleures conditions possibles pour qu’ils aient leur chance de faire parler d’eux dans la presse internationale et par la suite de susciter éventuellement l’intérêt des acheteurs ».

Par la suite, il avait toujours affirmé que « celui qui détient la distribution détient le cinéma », et a appelé en conséquence les africains et les arabes à créer leurs propres instances et réseaux de distribution et d’exploitation cinématographiques. Car c’était le seul moyen pour lui de contourner la mainmise du “néo-colonialisme occidental“ sur le cinéma du tiers monde en général.

UNE DERNIERE RENCONTRE RICHE D’ENSEIGNEMENTS

J’était loin de soupçonner que j’allais rencontrer ce maître de cinéma pour la dernière fois. La dernière longue et bien fructueuse rencontre avec lui a été lors de la 8ème édition du Festival du Cinéma Africain de Khouribga, du 14 au 21/7/2002, qui avait rendu hommage à ce grand défenseur des cinémas Arabe et Africain. Durant ladite édition, j’ai été, sur demande de feu Noureddine Sail, l’accompagnateur “officiel“ de ce prestigieux hommagé pendant toute la durée du festival. Mr Sail tenait à prendre bien soin de l’un des plus grands amis et soutiens du festival de Khouribga depuis sa deuxième édition de 1983. D’ailleurs la 8ème édition a été organisée sous le théme “Le cinéma et l’amitié entre les peuples“.

Aux côtés de ce cinéphile et maître de cinéma érudit, j’avais été au comble du bonheur de la reconnaissance pour ce que cette rencontre m’avait permis de recueillir comme riches enseignements se rapportant au vaste domaine du cinéma.

Et aujourd’hui, je me rends compte que la journée passée avec Tahar Cheriaa à Sayada aura constitué l’un des moments les plus mémorables de ma vie, tant sur le plan social que culturel ; un moment privillégié d’un intense échange de savoir et savoir-faire cinématographiques. Malheureusement, ainsi va la vie, Tahar Cheriaa est mort quelques semaines après, le 04 novembre 2010 à Tunis, juste après avoir reçu un dernier hommage des JCC 2010, le festival qu’il a créé en 1966. Sa dernière déclaration au cour de cet ultime hommage a été d’affirmer qu’il est « fier de voir ce festival perdurer, tout comme il est fier d'appartenir à la Tunisie, un pays qui veille à entretenir l'action culturelle sincère ».

Aussi, cette petite chronique est mon hommage personnel à ce maître et ami, le Père des cinémas Africain et Arabe, le créateur du Cinéclub des Jeune à Sfax en 1954, qui a pris la tête de la Fédération Tunisienne des Ciné-clubs en 1960, qui a été en 1962 directeur du cinéma dans le jeune Sécrétariat d’Etat aux Affaires Culturelles et à l’Information, le fondateur des JCC en 1966, l’un des soutiens princiaux du FESPACO et du Festival du Cinéma Africain de Khouribga... 

Il y a cinquante-six ans, Tahar Cheria accomplissait un rêve : la création des JCC, dont l'ambition première était de créer un espace de rencontre réservé aux auteurs africains et arabes pour leur permettre de d’exprimer et concevoir librement leur propre cinéma. Pour lui, la Tunisie, à l’instar du Maroc, a toujours été une terre de ciné-clubs, un lieu où les cinéphiles regardent et discutent des films du monde entier. Son œuvre témoignera toujours de son apport décisif au développement des cinémas Africain et Arabe.

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