Un remaniement ministériel sans Baraka ni Ouahbi ? Par Bilal TALIDI

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Abdelatif Ouahbi et Nizar Barka, partiront, partiront pas

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Plusieurs listes ont circulé récemment sur un éventuel remaniement ministériel, révélant par la même un phénomène qui mérite d’être scruté sur trois niveaux au moins. Le premier tient aux mobiles de ces fuites et au message politique qu’elles charrient pendant ce timing précis, le deuxième est en lien avec les noms des personnalités inclues dans ces listes, et le troisième se rapporte au sérieux de ces fuites et si elles préfigurent, au fond, un remaniement imminent.

Il faut rappeler de prime abord, que Jeune Afrique , qui passe à tort ou à raison pour un relais de cercles du pouvoir, avait annoncé il y a une année et demi (août 2022), un remaniement ministériel, évoquant même le départ imminent du gouvernement de certaines grosses pointures du Parti authenticité et modernité (PAM). Rien de cela ne s’est produit jusqu’ici. Bien au contraire, le Secrétaire général du PAM et actuel ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a été désigné membre de l’Instance chargée de la révision du Code de la famille, au moment où le remaniement annoncé par la revue française prévoyait la sortie de M. Ouahbi, ou de son parti du gouvernement.

Ces indicateurs n’impliquent pas nécessairement que Jeune Afrique avait fourni des données erronées, puisque la raison d’un remaniement n’implique pas forcément qu’il doit être acté illico presto, sans tenir compte de certaines conditions préalables ou, au moins, d’en éviter certaines conséquences imprévisibles. Il y a aussi des circonstances qui viennent contrarier à la toute dernière minute des décisions au cours du passage à leur mise en œuvre. 

En fait, le départ du gouvernement de M. Ouahbi, en sa qualité de secrétaire général du PAM, suppose la sortie de son parti de l’alliance tripartite en place et l’entrée d’une autre formation politique alternative. Dans ce cas de figure, le Chef de gouvernement devrait opérer une refonte structurelle de son cabinet qui pourrait impacter une partie des équilibres politiques en place. Car, il lui serait difficile de faire un attelage avec une des composantes de la Koutla démocratique, au risque de se retrouver face à deux anciens alliés, séparés certes par des considérations politiques, mais unis quand-même par la nostalgie d’un passé commun.

Admettons tout d’abord que, même en l’absence de données sur la partie à l’origine de ces fuites, l’acte en lui-même reste indissociable des pratiques politiques au Maroc, tant il sert de ballon d’essai pour sonder les humeurs et en mesurer l’impact, lorsqu’il n’est pas intrinsèquement lié à une opération politique bien orientée, ou, à l’occasion, rien que pour secouer le cocotier qui a tendance à dormir sur ses lauriers. Parfois même, les fuites sont l’œuvre d’autres cercles intéressés par un changement gouvernemental, quand elles ne sont pas le produit de certains « plaisantins » qui prennent un malin plaisir à donner des insomnies à des ministres en place. 

Dans les faits, il est difficile de déchiffrer la consistance, de ces fuites hors de ce contexte politique qui, de toute évidence, appelle à un remaniement ministériel imminent. Le gouvernement, qui passe par une phase d’errance et vit au rythme d’un énorme schisme entre ses composantes, aurait probablement envoyé le signal à qui de droit que la situation était intenable en l’état actuel des choses. De plus, la cadence de l’action du gouvernement, en dépit de ses réalisations, donne parfois l’impression de peiner à faire face aux énormes défis, notamment ceux en lien avec la montée des tensions sociales. Nombre de ministres sont. Pour le moins inaudibles.

La tradition veut qu’à l’approche de chaque remaniement, les noms cités sont de ceux qui sont susceptibles d’être « grillés ». Mais au fond, le plus important ne sont pas tant les nouveaux noms cités dans ces listes, mais ceux qui y sont maintenus ou ceux qui sont omis, en prélude à leur départ imminent.

Dans ces listes, une chose est certaine : la première cible du prochain remaniement est bien le PAM et plus particulièrement son secrétaire général. Dans d’autres listes, on omet de citer le secrétaire général du Parti de l’Istiqlal (PI), Nizar Baraka, au même titre que d’autres personnalités ayant assumé des missions stratégiques.

Les listes fuitées ont en partage ce message : on ne vise pas nécessairement le PAM ou le PI, mais plutôt les secrétaires généraux de ces formations alliées du Rassemblement national des indépendants (RNI) qui dirige le gouvernement. Dans ce cas d’espèce, le Chef du gouvernement et président du RNI, Aziz Akhannouch, serait tenté par le désir de mener un cabinet monocéphale en vue de réduire les dissonances entre ses composantes ministérielles et de les contenir dans le carré réduit et au calendrier aléatoire des rencontres des chefs de l’alliance tripartite.

Côté compétence et efficience, les fuites ont introduit des noms et en ont sorti d’autres, histoire peut-être de donner l’impression d’un désaveu, venant « d’en-haut », de la gestion de certains départements par des ministres qui auraient pu mieux faire. 

Dans cette optique, on peut comprendre l’omission de certains noms comme celui du ministre de l’Enseignement supérieur, Abdellatif Miraoui, la nomination du ministre de l’Éducation nationale, Chakib Benmoussa, dans un autre département, la limitation des portefeuilles du ministre de l’Agriculture, Mohamed Saddiki, pour manque de productivité et incapacité de convaincre, et la fin de mandat d’autres ministres ayant brillé par leur « discrétion ».

La conjoncture politique, couplée aux impératifs de l’action gouvernementale et aux défis des derniers mois, porte à croire que, les conditions étant réunies, un remaniement ministériel n’est qu’une question de temps. Toujours est-il que l’acte de l’Etat est régi par une logique spécifique qui tient compte des différents contextes politiques internes et externes, régionaux et internationaux. En définitive, tout remaniement est porteur d’un message et le Maroc ne peut se permettre d’envoyer un message négatif dans une conjoncture mouvementée.

Si un remaniement reste vraisemblable et dans le « pipe », il est peu probable qu’il prenne les allures d’une refonte structurelle, sinon il serait incompatible autant avec la conjoncture politique actuelle qu’avec les messages que le Maroc voudrait renvoyer de lui-même. Le scénario le plus plausible serait que l’alliance gouvernementale maintienne sa composition tripartite avec une modification partielle devant concerner certains noms, voire de gros pontes au besoin.

L’idéal serait que ce remaniement intervienne après le prochain congrès du PAM, du fait que le départ possible de M. Ouahbi du secrétariat général de ce parti servirait, non seulement d’alibi pour opérer un remaniement en douce, mais aussi de justification solide et politiquement tenable. Par contre, le départ du gouvernement de M. Baraka ne devrait pas poser de problème politique majeur pour un parti, comme le PI, qui évite de réuni ses instances depuis près de deux ans.

Les coups de boutoir subis par le PAM, dans le sillage de l’implication présumée de quelques de ses membres en vue dans des affaires de trafic international de drogues et de détournement de fonds publics, militent en faveur de la fin du mandat de M. Ouahbi à la tête de ce parti et, par conséquence, à la tête du ministère de la Justice. Ses défenseurs y opposeront que le secrétaire général du PAM n’est pas nécessairement responsable des déviances de ces responsables qui se sont servis du parti pour s’offrir une honorabilité qu’ils n’ont pas. . 

Tout compte fait, le grand gagnant dans ce jeu de chaises musicales n’est autre que M. Akhannouch qui parviendra, enfin, à mettre sous sa coupe un Cabinet jusqu’ici tricéphale et mettrait fin aux velléités d’insubordination de M. Ouahbi au sein du gouvernement et dans les médias. Désormais affranchi de ces pesanteurs, M. Akhannouch aura toute latitude d’inclure dans son Cabinet de nouveaux noms pour absorber la tension sociale alimentée par la confusion de certaines politiques sectorielles et d’en ajouter d’autres en mesure de donner à l’action gouvernementale, dans bien des secteurs vitaux, plus de punch, plus d’efficacité.