Un livre de Rahma Bourquia : ''LA SOCIÉTÉ MAROCAINE FACE A LA GLOBALISATION'' - Par Mustapha Sehimi

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Éviter l’approximation et s’assurer de l’adhésion intelligente de tous est l’approche invariable de la chercheuse quel que soit le domaine de ses analyses et de ses réflexions. Ayant très tôt choisi l’enseignement et la recherche scientifique comme milieu naturel, Rahma Bourqia ne transige pas sur la rigueur.

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Un livre de Rahma Bourqia bien utile et éclairant  pour appréhender les multiples facettes de la société+. Par-delà la dizaine d'articles qu'il regroupe, publiés ici et là, une même problématique se retrouve: le sens et la portée du changement social. Son hypothèse directrice : celle de la socio-anthropologue qu'elle est depuis des décennies avec des travaux et des enquêtes. Avec retenue et sagacité, elle fait référence à des "fragments"; de fait, il en est autrement avec des pistes d'explication d'une société confrontée à des contraintes liées à un "processus de reconfiguration dans un contexte globalisé".

De quoi s'agit-il au vrai? Du poids et du basculement en même temps dans l'ère numérique. Pour toute une vulgate encore persistante, le Maroc est finalement simple avec d' un côté la modernité et de l'autre la tradition. Et après, dira-t-on ? L'on n'avance pas beaucoup aujourd'hui avec une grille datée aussi binaire. Elle ne permet pas vraiment d'identifier 1e processus de transformation en mi la dynamique marche, pas plus d’ailleurs que la capacité de la société à le gérer sinon à l'intégrer - ce que l'on appelle la résilience... Alors? La mise à plat des outils d'analyse. Les théories et les concepts d'hier encore prégnants aujourd'hui, sont à revoir tels ceux sollicités comme modernisation, modernité, développement et autres. Le référentiel du "Sud global" - version BRICS - n'aide pas tellement en ce qu'il n'est pas un référentiel univoque: tant s'en faut. Celui du "printemps arabe" et de son impact n'est pas à écarter, bien entendu, ne serait-ce que pour ces deux raisons cumulatives: le squat pour ne pas parler de 1'invasion de l'espace public par les réseaux sociaux déclassant le périmètre traditionnel de 1'action politique et de son cadre institutionnel; et des modes d'expression mouvants, parfois confus et brouillons, mais qui arrivent à des polarisations pesant tant sur les politiques publiques que sur le pouvoir décisionnaire des dirigeants.

Une autre entrée est proposée par l'autrice: celle de la place et du rôle de la culture, au regard d'une approche anthropologique, sous 1'angle donc de l'existence collective de l'Homme et des groupes humains sous leurs multiples aspects. C'est que la culture ne saurait se borner ni se limiter aux frontières; elle les enjambe et s'étend ainsi bien au-delà. L'espace de la culture marocaine s'est ainsi élargi dans un processus de réarticulation de l'identité - elle est double voire même multiple, non sans frottements avec et dans le pays d'accueil. Il y a là du mouvement, une dynamique sous de multiples formes, des "identités modulaires", comme elle le note, mais avec en derrière instance " un noyau dur". 

Le numérique, affichage ou vision?

A travers certains de ses articles, Rahma Bourqia s'intéresse à une autre approche. Elle se penche sur des aspects institutionnels ainsi que sur des périmètres sociaux éligibles au registre de la culture et des valeurs : éducation, formation universitaire, science et politique, réforme et l'évaluation du digital comme levier et vecteur de changement et même de transformation. Une problématique encore à l'ordre du jour depuis deux décennies et qui cherche son paradigme d'action. A  juste titre, elle estime que" ce sont l'éducation, la formation et la science qui constituent les conducteurs de la grande transformation et du développement". Le redéploiement au dehors de l'espace des cultures - avec des facteurs tels que la mobilité, la migration et du numérique a eu pour effet la création et l'élargissement des réseaux sociaux. Un "système" d'organisations s'est ainsi constitué, suivant des modalités et des formes variables. Ce processus –là, elle le définit "comme des captures" (dans le sens de captures d'écran)" qui sont un précieux matériau pour la socio-anthropologie. D'où la nécessité pour les sciences sociales d'affiner ses méthodes et ses techniques afin de sérier ces nouvelles réalités.

Dans cette perspective, le numérique est et devient de plus en plus un enjeu de société. Un certain discours lié aux réformes ne suffit pas même s'il décliné autour d'une rhétorique de commande :" université 4.0", "1a e.gouvernance", "la e.pédagogie", "1'université de demain et son écosystème"... Souvent de l'affichage. Il reste à définir et à mettre en ouvre une vision, autrement des axes stratégiques, des séquences et des priorités, l'identification des " nœuds structuraux des déficits". Sans oublier les termes et les modalités de l'implémentation ainsi que la participation active, la mobilisation même de tous les acteurs. Une politique numérique ne peut faire l'économie de ces prérequis, de départ. Au final, piloter durablement le numérique. Un challenge à remporter...

+"La société marocaine face à la globalisation - l'ère des numérique", éd. "La croisée des Chemins", 2023, 261 p.