Les désenchantés 2 / 3 – Par Samir Belahsen

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Bien qu’elle n’ait pas renoncé à ses croyances de gauche, de Beauvoir a critiqué certaines pratiques et idées féministes qui ne prenaient pas en compte la complexité des problématiques liées au genre

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« Le désenchantement est plus à craindre que le désespoir. Le désenchantement est un rétrécissement de l'esprit, une maladie des artères de l'intelligence qui peu à peu s'obstruent, ne laissent plus passer la lumière. »

Christian Bobin

« Chaque illusion généreuse de la jeunesse nous jette une ride en s'envolant. L'expérience est le désenchantement successif des choses de la vie; c'est la raison enrichie des dépouilles du cœur. »

Jean Antoine Petit

L'histoire de la littérature et de la pensée est parsemée d'exemples d'auteurs qui ont exprimé leur désenchantement, souvent après avoir été témoins ou acteurs de révolutions politiques, de guerres, de crises économiques ou de bouleversements sociaux. 

Des auteurs notables, entre autres, ont marqué mon parcours et qui ont manifesté dans leur œuvre une forme de désenchantement. Georges Orwell, Albert Camus, Simonne de Beauvoir, Milan Kundera et Doris Lessing ont en commun d'avoir vécu des désenchantements qui se rapprochent.

George Orwell  

Bien que de gauche, il a exprimé son désenchantement avec les régimes totalitaires de l'époque dans ses œuvres "1984" et "La Ferme des Animaux". Ces livres décrivent les dangers d'un gouvernement autoritaire et la corruption du pouvoir, reflétant ses inquiétudes sur la direction prise par certaines sociétés soviétiques.

Dans "La Ferme des Animaux" qui est une fable animalière, Orwell propose une satire de la révolution russe et une critique du régime soviétique, en particulier du stalinisme.

Ce roman figure dans la liste des cent meilleurs œuvres de langue anglaise écrits de 1923 à 2005 par le magazine Time.

Lire aussi : LES DÉSENCHANTÉS (1/3) – PAR SAMIR BELAHSEN

Albert Camus 

Écrivain et philosophe, Camus a exploré l'absurdité de la condition humaine et la recherche du sens dans un « monde sans Dieu ». 

Bien qu'associé à l’existentialisme et à la résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale, il a exprimé un certain désenchantement vis-à-vis des idéologies rigides et des politiques, en particulier le conflit idéologique de la Guerre froide.

Internationaliste réformiste, moraliste, abolitionniste et proche des courants libertaires, il a pris position sur la question de l'indépendance de l'Algérie et avait quitté le Parti communiste algérien. Il avait pris la défense des Espagnols exilés antifascistes, des victimes du stalinisme ou encore des objecteurs de conscience. Camus était  un grand témoin de son temps et n’a jamais cessé de lutter contre les idéologies qui détournent de l'humain. Il a dû s'opposer au libéralisme puis à l'existentialisme et au marxisme. Dans « L'Homme révolté » , il a critiqué la légitimation de la violence. Il a dû rompre avec Sartre et subir les anathèmes des intellectuels communistes pour son antisoviétisme déclaré.

Simone de Beauvoir: 1908-1986

Dans "Le Deuxième Sexe", elle a décrit le désenchantement des femmes prises dans le piège des rôles de genre et de la société patriarcale :  « On ne naît pas femme, on le devient »

Bien qu’elle n’ait pas renoncé à ses croyances de gauche, de Beauvoir a critiqué certaines pratiques et idées féministes qui ne prenaient pas en compte la complexité des problématiques liées au genre.
Celle qui a « partagé », à sa manière, la vie de Jean-Paul Sartre, avait été une croyante exaltée et mystique pendant quelques années de sa jeunesse.

Milan Kundera : 1929 - 2023

Ayant vécu la répression du Printemps de Prague par les Soviétiques en 1968, Kundera illustre souvent dans ses œuvres le désenchantement des individus face à l'écrasement des réformes libérales et l’intrusion des bureaucraties dans la vie personnelle.

Dans « Les anges », il avait écrit :

« Moi aussi j'ai dansé dans la ronde. C'était en 1948, les communistes venaient de triompher dans mon pays, et moi je tenais par la main d'autres étudiants communistes… Puis un jour, j'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas, j'ai été exclu du parti et j'ai dû sortir de la ronde. »
Cette « sortie de la ronde » était pour Kundera qui se répètera des années plus tard, il a été exclu du parti définitivement en 1970. 

Doris Lessing : 1919 – 2013 (Nobel 2007)

Dans son œuvre, notamment "The Golden Notebook", le carnet d’or, Lessing explore les complexités de la vie féminine et du désenchantement politique, notamment l'écart entre les idéologies communistes et la réalité qu'elle a observée.

Le roman regorge des message anti-guerre et antistaliniens, une analyse approfondie du communisme et du parti communiste en Angleterre. 

Tous ces auteurs ont en commun d'avoir vécu des désenchantements personnels ou professionnels, souvent en raison des contradictions qu'ils ont observées entre les idéologies et la réalité ou entre leurs attentes et le monde dans lequel ils vivaient.

Les principaux révélateurs « désenchanteurs » étaient les crimes Staliniens,  puis l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du pacte de Varsovie et enfin la chute du mur de Berlin.

Nous verrons dans la troisième partie que le désenchantement arabe est révélé, surtout, par l’expérience de Nasser et la défaite de 1967.