Le trou noir - Par Seddik MAANINOU

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Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane et le président égyptien Abdelfattah Al-Sissi, la fin de l’entente cordiale ?

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Le Présent - Par Seddik MAANINOU

Que se passe-t-il encore au Moyen-Orient ?! Qu’y a-t-il derrière les différends aigus qui tiraillent des pays du Golfe et, à un autre pallier, les opposent à l’Egypte ? Quels sont les raisons et les mobiles à l’origine de cette tension depuis longtemps inédite qui s’est subitement emparée des médias sociaux, charriant au passage des torrents d’insultes, de menaces, de calomnies et d’intimidations ?

Fin d’une époque

Les Emirats arabes unis ont abrité dernièrement un sommet réunissant les dirigeants de certains pays du Golfe à l’Egypte et à la Jordanie. L’Arabie saoudite y a brillé par son absence. Il n’en fallait pas plus pour que des observateurs l’interprètent comme la manifestation d’une détérioration des relations entre les pays de la région. 

Sitôt le sommet clos, le ministre saoudien des Finances Mohammed Al-Jadaan a déclaré que l’ère des aides, des dons inconditionnels et des dépôts est révolue. Un proche de la direction saoudienne a, lui, confié que «l’Egypte d’avant 1952 [elle était alors une monarchie] était beaucoup plus productive».  Sous-entendu, la révolution de Nasser à Al-Sissi a été stérile. Un autre a tonné que l’Egypte n’est pas sortie du joug de l’Armée qui contrôle toutes les articulations de l’Etat. Un député koweitien a mieux explicité les intentions : «Nous devons interdire toute aide ou don, et exiger la restitution des prêts et des dépôts de fonds».

Une ville pharaonique

Un expert assure que les pays du Golfe ont versé, au cours des dix dernières années, c’est-à-dire depuis le renversement des Frères musulmans, plus de 90 milliards USD de soutien à l’Egypte pour lui permettre de surmonter ses problèmes financiers. Un second précise que ces aides n’ont pas été investies dans l’économie égyptienne. «Une partie a été utilisée par la présidence égyptienne dans la construction d’une nouvelle capitale à des sommes pharaoniques s’élevant à 40 milliards USD. Une partie a été mise à la disposition de l’Armée et une troisième s’est définitivement volatilisée». 

Un autre expert a évoqué des «freins qui enrayent le développement et le bien-être », et cite : « l’administration égyptienne archaïque, l’Etat profond conservateur et le pillage systémique». A l’arrivée, un seul constat s’impose : les largesses des pays du Golfe sont parties en fumée.

Riyad d’abord

Les Saoudiens soutiennent que leur pays a besoin de ses fonds et qu’ils doivent changer leur politique pour préparer le Royaume à l’avenir. Dans une concurrence de plus en plus sans merci avec les Emirats arabes unis, le Prince héritier Mohammed Ben Salmane a engagé une course contre la montre pour transformer Riyad en premier hub des grandes entreprises sans épargner celles déjà établies à Dubaï et Abou Dhabi. Joignant l’acte à l’intention, les Saoudiens affirment que «dès l’année prochaine, toute entreprise non-établie à Riyad, appelée à devenir le plus grand marché financier de la région, ne bénéficiera pas des énormes projets que le Royaume s’apprête à lancer».

Il n’y a de soumission qu’à Allah

Les Egyptiens ont réalisé que l’Arabie saoudite n’est plus prédisposée à fournir des aides financières et qu’elle ne se pliera pas à la recommandation du FMI d’injecter 14 milliards USD dans le trésor égyptien. Haussant le ton, Riyad a accusé l’Egypte de manquer de sérieux, n’hésitant pas à exiger le retrait de l’Armée de la gestion des affaires. Des voix sont allées jusqu’à réclamer la chute du régime. Les Egyptiens se sont insurgés contre ce qu’ils considèrent comme une provocation et assuré que «l’Egypte ne se soumet qu’à Allah». 

Dans un éditorial au vitriol, le directeur d’un quotidien proche du pouvoir a fulminé contre « les Arabes d’Al Khalij » (les Arabes du Golfe», les traitant de «sans-culottes et de va-nu-pieds».

Otages de l’Armée

The Economist britannique rapporte que l’armée égyptienne s’accapare des responsabilités économiques et financières qui lui permettent de contrôler près de la moitié de l’économie du pays. L’Armée dispose d’usines, de manufactures, d’hôtels, de sociétés d’import-export, de sociétés de transport et de services etc. Cette accaparation fait d’elle un concurrent principal et contre nature pour tout investisseur égyptien ou étranger. Pour cet autre expert, «cette situation empêche l’Egypte de progresser et en fait l’otage de l’Armée». L’Egypte se transforme ainsi en un «trou noir» en demande permanente, aspirant les aides dont nul ne connait la destination ni le sort.

La caserne

Ce genre de campagnes médiatiques violentes n’est pas un fait nouveau dans le registre des relations interarabes. Sans avoir à rouvrir de vieilles blessures que l’on croyait à jamais cicatrisées, il importe de dire que des peuples arabes passent par des problèmes vitaux de nature à emporter, par leur gravité et leur magnitude, stabilité et quiétude. 

C’est dire que le soutien est nécessaire, voire une obligation, à condition qu’il soit exploité avec sagesse et pertinence pour le bien des populations démunies. 

L’Armée a certes un rôle à jouer dans la préservation de l’unité et la défense des patries, mais n’a pas vocation à se mêler de politique et d’économie. On en sait quelque chose dans notre région maghrébine où une armée contrôle les appareils d’un Etat et le destin d’un peuple voisin et frère. Chengriha et ses semblables partout dans la sphère arabe doivent impérativement réintégrer leurs casernes.