Le remaniement ministériel : portée et horizon - Par Bilal TALIDI

5437685854_d630fceaff_b-

L’idéal ne serait-il pas de faire remonter l’équation politique à la période antérieure à la création du PAM

1
Partager :

Investissement, rente et concurrence - Par Bilal TALIDI

Le bruit court avec insistance sur un éventuel remaniement ministériel pour dépasser la torpeur que dégage le gouvernement en place. Des sources de la majorité évoquent même un dialogue avec l’USFP en vue de préparer son entrée au prochain gouvernement.

Driss Lachgar, premier secrétaire de l’USFP, s’est refusé à tout commentaire confirmant ou infirmant ces pourparlers, certainement pour éviter toute déception de ‘’dernière minute’’ probable. Le RNI n’a livré, lui, aucun indice laissant supposer un éventuel recours du Chef du gouvernement à élargir la base de ses alliés en intégrant le parti de la Rose à son Cabinet. L’unique indice sur un éventuel remaniement provient d’une déclaration de Abdellatif Ouahbi, Secrétaire général du PAM et ministre de la Justice, qualifiant l’USFP de «futur allié».

Il ne s’agit pas ici d’évaluer l’exactitude de ces propos qui, du reste, émanent d’un seul allié, en l’occurrence le SG du PAM dont on connait l’incapacité proverbiale à garder sa langue. Le plus important est d’interagir avec l’utilité de ce remaniement et la plus-value qu’apporterait l’USFP au gouvernement en place.

Sous le règne de Mohammed VI, le remaniement du gouvernement fait partie d’une tradition politique qui s’inscrit dans la logique de la reddition des comptes et de la volonté de rectifier les erreurs lorsque la situation l’impose. Cette pratique, qui survient souvent à la fin de la deuxième année du gouvernement, a concerné invariablement les Cabinets El Youssoufi, Driss Jettou, Abbas El Fassi, Abdalilah Benkirane et Saad Dine El Otmani.

Abstraction faite des diverses raisons ayant présidé à chaque remaniement, le dénominateur commun reste la volonté de redresser les dysfonctionnements issus de l’absence d’une cohésion au sein de l’alliance gouvernementale, le remerciement de ministres dont le comportement politique aurait écorné la crédibilité du gouvernement et son image auprès de l’opinion publique, et le souci d’insuffler plus d’efficacité et de performance aux politiques publiques dans des secteurs spécifiques ou au niveau de la communication gouvernementale.

Le gouvernement souffre aujourd’hui de trois problèmes fondamentaux. Le premier tient au fait, indépendamment de sa volonté, submergé de problèmes et peine à faire face aux défis qu’induisent les difficultés intrinsèques aussi bien que les facteurs exogènes. Le deuxième est que les politiques mises en place, forcément au pied levé dans un environnement versatile, pour surmonter ces défis ont engendré parfois des cacophonies institutionnelles, et généré des tensions sociales dans une ambiance à fleur de peau. La preuve en sont les discordances entre le gouvernement, Bank Al Maghrib (BAM) et le Haut-Commissariat au plan sur la nature de l’inflation, importée ou endogène, et sur le relèvement pour la deuxième fois du taux directeur. Le débat, parfois polémique, sur les orientations de l’agriculture opposant commercialisation et l’export à la sécurité alimentaire, n’aide pas à la sérénité nécessaire dans le guet que traverse le Maroc et donne l’impression d’un gouvernement qui a des difficultés à faire entendre raison aux lobbys du secteur. Le troisième problème concerne la politique communicationnelle du gouvernement qui reste en dépit des efforts peu audible des couches de la population directement et immédiatement touchées par la crise multidimensionnelle.

La jonction de ces trois problèmes implique que la poursuite de la même gestion gouvernementale pourrait finir à terme par créer des conditions difficiles à maitriser, surtout après l’émergence d’importantes mutations qui façonnent désormais les rapports de la praxis politique avec les problématiques sociales.

Les partis politiques au Maroc ont, depuis plus d’une décennie, abandonné la rue comme arène de gestion de leurs revendications politiques et sociales, et opté pour des cadres institutionnels organisés pour y exercer leurs missions. Le champ syndical a, lui aussi, connu des transformations profondes qui l’ont définitivement écarté du rapport dialectique d’antan entre syndicalisme et politique pour le rapprocher d’une nouvelle problématique qui pose autrement les termes des rapports de force entre l’institution syndicale et le patronat et le degré d’indépendance et/ou d’assujettissement entre les partenaires sociaux.

Le Parti du progrès et du socialisme (PPS) a soumis récemment une initiative pour la création d’un front social, dont le premier indice a été une lettre, peu compatible il est vrai avec l’histoire des vingt dernière années de ce que fut le parti de Ali Yata, adressée au Chef du gouvernement. Cette missive, ne s’étant pas vu opposer uniquement une fin de non-recevoir, a provoqué chez le porte-parole du gouvernement une salve de désapprobation et de sarcasme. La direction du PPS a ensuite engagé un dialogue avec les centrales syndicales, en tentant d’exploiter le schisme qui s’opère au sein de l’Union marocaine du travail (UMT) et la distance qui sépare la Confédération du travail (CDT) de l’USFP, au moment où le Parti de la justice et du développement (PJD) et le Mouvement populaire (MP) ont réagi positivement à la possibilité d’examiner et d’adhérer à cette initiative à première vue sans consistance.

Il est difficile en effet d’apprécier le sérieux de cette initiative et sa capacité de peser ou d’offrir de nouvelles voies de nature à changer certaines règles régissant, depuis longtemps déjà, le rapport entre l’action politique et l’action syndicale, et le rapport entre la dimension institutionnelle et la dimension contestataire (la rue) en lien avec la question sociale. Mais tous ces indicateurs réunis favorisent, en définitive, un climat qui requiert un remaniement ministériel, en vue d’imprimer à l’action gouvernementale une nouvelle vitalité à même d’apaiser la tension ambiante et à rendre les règles de l’action politique et syndicale à leur situation normale.

C’est dans cette perspective que l’on interroge la plus-value que pourrait apporter l’intégration de l’USFP à l’alliance gouvernementale et si elle pourrait répondre aux défis précédents ?

Pour nombre d’usfpéistes, si cette option devait se matérialiser, elle ne serait que la rectification d’une présumée du Chef du gouvernement contraint de laisser en rade un allié auquel on a fait jouer un rôle axial dans l’éviction en 2016 de la primature Abdalilah Benkirane, permettant ainsi au RNI d’occuper les devants de la scène politique. En revanche, la majorité des élites politiques, y compris les usfpéistes en rupture de ban avec la direction de leur parti, n’y verraient qu’un acte de complaisance sans rapport aucun avec les défis auxquels le système politique est confronté, avec ce que cela requiert en termes de revitalisation de l’action gouvernementale. Le gouvernement Saad Dine El Otmani avait intégré l’USFP à ses rangs sous prétexte de mobiliser les compétences requises au service de la cause nationale, mais l’évaluation générale de la performance des ministres Ittihadis n’a été ni à la hauteur de cette ambition, ni en mesure de justifier le recours à ce prétexte.

Il est vrai que l’USFP puise son identité dans les forces populaires et dans son alignement sur les couches démunies, depuis son accès au gouvernement en 1998, et surtout depuis que Driss Lachgar en a pris la direction, le parti de la Rose a pris, dans la pratique, une trajectoire diamétralement opposée et n’est pas en mesure d’apporter un souffle social ou une touche populaire au Cabinet Akhannouch. L’opinion publique n’est pas prête d’oublier comment Driss Lachgar a négocié au nom de son parti pour entrer au gouvernement Abbas El Fassi avec un petit poste ministériel et comment l’USFP est devenue, depuis, un parti qui chasse ses militants à tour de bras et vogue loin des soucis des masses populaires.

Certains seraient enclins à justifier l’intégration de l’USFP au gouvernement, en arguant de la compétence de certains cadres et non pas sur la base d’un quelconque apport politique, tant que ce qui intéresse les citoyens aujourd’hui est le limogeage de ministres qu’ils considèrent comme responsables de la crise actuelle.

Mais les décideurs ne perçoivent pas la chose politique à travers le prisme du court terme, les remaniements ministériels étant, dans la plupart des cas, indissociables d’une opération de réaménagements politiques à venir.  D’un point de vue stratégique, le plus plausible serait de faire remonter l’équation politique à la période antérieure à la création du PAM, via un remaniement ministériel qui éloignerait ce parti de la composition gouvernementale, et ramènerait le bloc démocratique aux commandes sous la direction du RNI. L’objectif serait d’imprimer plus de dynamisme au gouvernement et de créer à la fois les conditions d’un équilibre politique normal et apaisé et de focaliser le combat des partenaires autour des divergences sur les politiques publiques, et non pas autour d’une opposition tranchée avec les islamistes et les milieux des affaires.

 

lire aussi