France/Afrique : ''La cogestion'', le naufrage diplomatique - Par Bilal TALIDI

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Ces geste qui en disent long et trahissent les arrières pensées. Le président français est à Kinshasa le 4 mars 2023 pour la quatrième et dernière étape d'une tournée africaine. (Photo de LUDOVIC MARIN / AFP)

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Investissement, rente et concurrence - Par Bilal TALIDI

Le discours du président Emmanuel Macron devant la presse, les diplomates et les entreprises, le 27 février à l’Elysée, révèle que Paris a finalement réalisé que sa relation avec l’Afrique est à la lisière de deux ères, sans être sûre que la nouvelle étape conserverait ses acquis ou marquerait le début de la fin de son rôle, du moins tel qu’on l’a connu jusqu’à maintenant.

Du neuf avec de l’ancien

Le discours de Macron n’était pas adressé dans sa totalité à l’Afrique, bien qu’il ait agité en premier lieu une ‘’profonde’’ révision de la diplomatie française à l’égard du continent, avec à la clé des propos qui, tenus à la veille d’une tournée dans quatre pays africains entamée au Gabon, prétendent un changement d’approche.

Les déclarations de Macron suivent deux trajectoires. La première prétend poser les jalons d’un nouveau rôle pour la France en Afrique susceptible, à ses yeux, de jouir de la confiance des Africains et justifier le maintien d’une part importante de l’influence française dans le continent où Paris était ostentatoirement présente. 

La seconde, délaissée aux questions des journalistes, tentait maladroitement une fois de plus de rectifier la relation de Paris avec le Maroc et l’Algérie dans le sillage d’une série de brouilles diplomatiques qui continuent de défrayer la chronique. Ce qui lui a valu la clarification cinglante d’une source officielle marocaine. 

Les médias français n’ont rien décelé de nouveau dans les déclarations de Macron à l’égard du continent, si ce n’est des propos vagues qui cachent mal la politique du fait accompli ou du choix imposé par la nécessité pour mieux la dompter. Paris ne parvenant plus à gérer les revers successifs qui lui ont été causés par la défiance africaine qui se manifeste par le nombre de pays réclamant ouvertement le départ des forces françaises du Mali et de l’Afrique centrale et maintenant du Burkina Faso, brode du neuf qui ressemble étrangement au vieux.

Une diplomatie prétentieuse

M. Macron a parlé de la fin de la présence des bases militaires françaises en Afrique et dévoilé une nouvelle vision privilégiant la ‘’cogestion’’ de ces bases, en associant forces françaises et forces locales. La France s’apprêterait, à l’en croire, à une réduction de ses effectifs militaires et, ce qu’il n’a pas révélé, serait déjà en négociation avec des pays africains qui auraient demandé discrètement, loin des médias, le retrait de ses forces. Ce qui revient à comprendre que Paris essayerait, par le truchement de cette «cogestion», d’anticiper le mouvement pour se prémunir du pire et préserver son prestige, ou ce qui en reste, en Afrique. 

Ce scénario est d’autant plus plausible que nombre de pays africains disposent désormais de larges marges de manœuvre et de pouvoir de négociation de leur sécurité alimentaire et de leur destin dans un contexte international de concurrence et de bras de fer engagé entre la Russie, la Chine, les Etats-Unis et l’Union européenne, voire la Turquie et les Emirats Arabes Unis, qui convoitent les richesses du continent.

La tardive révision française cache mal ses visées que par trop manifestes. La France, à la diplomatie prétentieuse, qui a longtemps considéré l’Afrique de ses anciennes colonies comme sa «chasse gardée», souffre aujourd’hui de la concurrence ardue de la Russie et de la Chine, et peine même à faire face à ceux qu’elle considérait il y a peu comme faisant partie de son pré carré (l’influence montante du Maroc en Afrique). 

Le constat qui s’impose à Paris est qu’il n’a cessé de se retrouver exposé à des coups de boutoir que ce soit dans la zone proche-orientale (déclin de son rôle en Syrie et au Liban, absence du conflit arabo-israélien), dans la sphère maghrébine (tensions simultanées, du jamais vu, avec Rabat et Alger) ou encore dans l’espace africain (défiance croissante contre l’hégémonie française). En une phrase comme en plusieurs, le contexte global n’est plus en faveur de la diplomatie française de plus en plus inaudible.

Des leurres qui ne trompent plus personne

M. Macron a tenu à adresser des messages sur la nature des rapports de son pays avec le Maroc et l’Algérie. Peine perdue, les termes utilisés laissent entrevoir une flagrante erreur d’approche dans la gestion de l’équilibre régional entre les deux pays. Incapable de livrer une sortie de crise, l’Elysée s’est défendu des accusations en se défaussant sur une mystérieuse théorie du complot pour justifier son incapacité à gérer la relation conflictuelle avec Rabat et Alger et entre Rabat et Alger.

Avec le Maroc, Macron a tenté de masquer la réalité de la crise en jetant la balle hors du camp français : «Moi, ma volonté c’est d’avancer avec le Maroc. Sa Majesté le Roi le sait, nous avons eu plusieurs discussions ; les relations personnelles sont amicales et le demeureront», a claironné Macron dans ce discours. 

Mais le chef de l’Etat français a beau se défendre contre l’implication de son pays dans la résolution hostile au Maroc adoptée par le Parlement européen ou des accusations relatives au programme d’espionnage Pegasus, rien n’y fait, les leurres ne marchent plus. 

Au lieu de nommer la pomme de discorde entre Rabat et Paris, M. Macron a été chercher la réponse dans des parties occultes qui tenteraient de torpiller ces «relations amicales» et empêcher la France d’entretenir de bons rapports avec l’espace maghrébin.

Dans la rhétorique élyséenne, les messages et les destinataires abondent et se diversifient. Mais l’invocation de relations dites amicales et cordiales est un message adressé d’abord à une partie de la classe politique française qui vit mal la régression de la diplomatie de leur pays dans tous les domaines.  L’évocation de relations amicales avec le Roi du Maroc et de bons rapports avec le président algérien Abdelmadjid Tebboune en disent long sur l’approche macronienne : La conviction, infondée, que la palabre et les relations personnelles suffiraient de dénouer les pires situations, même en cas de crise.

A Paris, sans se laisser berner par cette logorrhée oiseuse, la classe politique suit de très près la régression de la diplomatie française et en déchiffre les indicateurs. La stagnation des relations avec le Maroc, le refus jusqu’ici de la visite de Macron, et la suspension des réunions de haut niveau ne laissent planer aucun doute : les rapports entre les deux pays ont dépassé la stagnation pour atteindre la phase des tensions, sinon des fois celle de la rupture.

Un Russe à Alger

Avec l’Algérie, l’aventure de l’activiste Amira Bouraoui a dévoilé la fragilité des rapports qu’entretient Paris avec les dirigeants du Palais d’El Mouradia, et mis à mal la crédibilité de la France et le fameux «partenariat d’exception» entre les deux pays. Et l’on peut dire que fort probablement les élites politiques, militaires et sécuritaires algériennes sont divisées sur les rapports avec la France. 

La preuve en est que Macron mise sur ses relations personnelles avec Tebboune pour dénouer la crise et régler ce qu’il appelle des «polémiques», quand bien même cette affaire a porté un coup dur à l’image des services sécuritaires algériens, tant intérieurs (exfiltration de Mme Bouraoui via les frontières avec la Tunisie) qu’extérieurs (en Tunisie).

Sans tarder, Alger a reçu le secrétaire du Conseil de sécurité russe Nicholaï Patrouchev pour réaffirmer ‘’l'expression de la ferme et franche volonté qui anime les deux pays [Russie et Algérie] pour renforcer davantage le partenariat stratégique et historique qui caractérise leurs relations bilatérales, particulièrement dans le domaine de la coopération militaire".  A la trappe la visite de Chengriha à Paris ? Possible.

Ce qui fait que le discours de M. Macron à l’Elysée est un discours de crise, c’est son recours à la théorie du complot pour tenter d’expliquer l’incapacité de gérer les relations avec le voisinage maghrébin, en faisant croire à l’intervention de parties qu’il n’a du reste pas nommées dans l’exacerbation des tensions entre Paris et ses partenaires maghrébins, Rabat et Alger.

Le Maroc n’a pas réagi officiellement aux propos de Macron, bien que le magazine «Jeune Afrique» ait rapporté, dans un article signé François Soudan, des déclarations attribuées à une source officielle, que les relations franco-marocaines «ne sont ni amicales ni bonnes, pas plus entre les deux gouvernements qu’entre le Palais royal et l’Élysée». La source officielle dans les codes journalistiques est une authentification de ce qui est rapporté, ce qui fait que cette déclaration a le mérite de préciser que le discours de Macron se réduit, au mieux, à un vœu insuffisant pour couvrir de ses oripeaux une crise bien réelle. 

En faisant part de sa «volonté d’avancer avec le Maroc», le locataire de l’Elysée cherchait peut-être à convaincre une partie de la classe politique française que sa diplomatie est la bonne, et à riposter en même temps aux critiques de plus en plus récurrentes sur les médias français qui évoquent une régression inédite de la diplomatie française tâtonnante sous Macron.

Un passé révolu

Le fait est que la France semble avoir perdu son rôle d’intermédiaire entre l’UE et la Russie dans le conflit ukrainien, tout comme sa crédibilité dans le voisinage maghrébin après avoir échoué à gérer l’équilibre régional entre Rabat et Alger. Paris ne peut plus que constater l’effritement de son influence dans ce qu’elle considérait comme son «arrière-cour» en Afrique dans le sillage de la montée du ressentiment anti-français dans la région. Nombre de pays africains ont commencé, sous l’effet des défis liés à la sécurité alimentaire et au développement en général que plus de soixante ans de dépendance après les indépendances n’ont pas réglés, à ajuster leur politique extérieure sur des alliances stratégiques plus prometteuses. 

Face au vide qui se creuse autour d’elle, la France de Macron bricole des alternatives, en faisant miroiter une initiative qui, sous l’apparence d’une ‘’stratégie rénovée’’, n’est au fond que de l’agitation au milieu de sables mouvants.

L’unique nouveauté dans le discours de Macron sur l’Afrique concerne la proposition de la cogestion des bases françaises, via l’intégration des forces locales dans une gestion conjointe des bases.

Une promesse qui n’engage que celui qui y croit et s’il est vrai qu’il n’existe pas d’indicateurs tangibles sur des demandes antérieures formulées par des pays africains dans ce sens, il n’en demeure pas moins que les dynamiques en cours, depuis plus de trois ans, confirment un processus croissant visant à mettre fin à la présence française dans la région.

Les options de la France se rétrécissent comme peau de chagrin, les dimensions économiques et commerciales étant désormais incapables de convaincre les pays africains du maintien sur leur sol l’influence française comme auparavant. 

Et dans tous les cas de figures, il s’agit globalement de reproduire la même recette déjà tentée en Algérie : l’amuse-gueule du travail sur la mémoire commune. Créer des commissions mixtes pour gagner du temps, justifier le fait accompli de l’hégémonie française, se défaire du poids du legs colonial et par la suite de tout engagement.

 

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