Cinéma, mon amour ! ''Le salon de musique'', QUAND LA VIE SE CONFOND AVEC LA MUSIQUE

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Le film raconte l’histoire de Bismawbhar Roy, un aristocrate grand amateur de musique qui, poussé par la rivalité qui l’oppose à Mahim Ganguli, un usurier nouvellement enrichi et sans aucune culture, consacre ses derniers revenus à une grandiose soirée où se produiront les plus illustres stars de la musique et de la danse de l’époque

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« Ne pas avoir vu le cinéma de Ray signifie exister dans le monde sans voir le soleil de la lune ». Akira Kurosawa.

Ayant fondé un ciné-club à Bombay en 1942, où étaient projetés et débattus les films des réalisateurs américains et européens les plus connus, surtout les films néo-réalistes qui faisaient forte impression dans les milieux cinéphiles indiens, deux événements allaient le décider à se lancer dans la réalisation : le visionnage du film néo-réaliste italien, “Le voleur de bicyclette“, de Vittorio De Sica et la rencontre avec Jean Renoir lors du tournage en Inde de son film “Le fleuve“, une production américaine adaptée du roman autobiographique de Rumer Godden. 

 Puis, il a acquis une renommée internationale avec les deux premiers films de sa trilogie Apu, "La complainte du sentier", qui avait remporté pas moins d’une dizaine de prix dont le Prix du Document Humain au Festival de Cannes de 1956, et "L’invaincu". Ces deux films ont été, historiquement, les premiers titres à être reconnus par la critique cinématographique comme œuvres d’art dans l’histoire de la cinématographie de l’Inde.

Féru de musique, avant de terminer sa trilogie sur la pauvreté la plus démunie, Satyajit Ray avait fait une pause pour tourner « Le salon de musique », un film sur un aristocrate ruiné, un personnage qui a été comparé au Roi Lear par sa fierté, son obstination et sa persistance à perdre ce qu’il a de plus cher.  

Ce film est un vibrant hommage à la musique classique hindoustanie, tant vocale qu’instrumentale, ainsi qu’à la danse classique bengale. La musique originale du film a été composée par le grand musicien Vilayat Khan, qui ressemble à s’y méprendre à celle bien connue de Ravi Shankar. Ray avait par ailleurs fait participer au film de nombreux artistes de renom : le chanteur Begum Akhtar, la danseuse Roshan Kumari, le compositeur et chanteur Ustad Bismillah Khan et son célèbre groupe, le joueur de l’instrument surbahar Waheed Khan et le joueur de khyal Salamat Ali Khan. C’est un film où la vie se confond avec la musique.

D’une poésie bouleversante, ce film est inspiré du roman éponyme de Tarasankar Bandyopadhyay qui est une étude bien détaillée et très dramatique des derniers jours de Biswambhar Roy, de la caste des zamindar, un noble propriétaire terrien et mécène du Bengale qui sacrifie sa fortune et sa famille à sa passion pour la musique et la danse en donnant de grandes réceptions dans son salon de musique. Sa narration est basée sur un sens aiguisé du détail et beaucoup d’empathie. Cela lui a valu beaucoup d’éloges à travers tous les pays du monde, tant par les critiques que dans les milieux professionnels et cinéphiles. Ainsi, il a été souvent décrit comme un film d’un apport décisif dans le développement du cinéma mondial. D'où la fameuse citation du grand Akira Kurosawa à propos de l'œuvre de Satyajit Ray : « Ne pas avoir vu le cinéma de Ray signifie exister dans le monde sans voir le soleil de la lune ».

UNE INDÉNIABLE QUALITÉ FORMELLE

Le film raconte donc l’histoire de Bismawbhar Roy, un aristocrate grand amateur de musique qui, poussé par la rivalité qui l’oppose à Mahim Ganguli, un usurier nouvellement enrichi et sans aucune culture, consacre ses derniers revenus à une grandiose soirée où se produiront les plus illustres stars de la musique et de la danse de l’époque. A l’occasion, il rouvre son salon de musique, fermé depuis la mort de sa femme et son fils unique dans le naufrage d’un bateau.

Ainsi, comme il le disait lui-même, « Si le thème est simple, vous pouvez inclure une centaine de détails qui créent mieux l'illusion de la réalité ». Effectivement, le film, dont l’histoire est simple et axée sur le personnage de l’aristocrate amateur d’art, est d’une grande richesse de détails subtiles et significatifs et d’une indéniable qualité formelle. Il est parmi les films de Satyajit Ray où l’esthétique de l’image a la primauté sur tout le reste. La caméra s’attache aux plus infimes détails des décors avec leurs riches ornements, des visages expressifs des personnages, des sublimes notes de la lancinante musique hindoustanie et les captivants mouvements et gestes des danseuses bengales. Et ce n’est pas pour rien que Satyajit Ray a affirmé que « Si vous êtes capable de représenter des sentiments universels, des relations universelles, des émotions et des personnages, vous pouvez franchir certaines barrières et atteindre les autres, quels qu’ils soient ».

Quoique le film s’attache à la vie d’un aristocrate vaniteux, égoïste, imbu de sa personne, qui en arrive même à sacrifier sa famille pour satisfaire sa vanité outrecuidante, qui a tous les défauts pour être détesté par les spectateurs, Ray a réussi à le rendre si attachant, notamment grâce au jeu du grand comédien Chhabi Biswas, qu’on ne peut qu’avoir de l’empathie et de la compassion pour lui, tant il dégage d’humanité et de grandeur d'âme. Et c’est de main de maître et avec minutie que le réalisateur a reconstitué la fin du monde de l'aristocratie vaniteuse au profit de celui de la bourgeoisie arrogante. 

Et en hommage à ce grand créateur qu’a été Satyajit Ray, j’aimerais terminer cette chronique par le témoignage du réalisateur Amos Gitai à son propos : « Ray était un réalisateur formidable ! Il était polyvalent dans le choix des sujets de son film. Et ses films étaient très sophistiqués, très propres. J'ai eu une idée de l'Inde grâce à ses films ».  

FILMOGRAPHIE DE Satyajit Ray

"La complainte du sentier" (1955) ; "L’invaincu" (1956) ; "La pierre philosophale" (1958) ; "Le salon de musique" (1959) ; "Le monde d’Apu" (1959) ; "La déesse" (1960) ; "Trois filles" (1961) ; "L’expédition" (1962) ; "La grande ville" (1963) ; "Charulata" (1964) ; "Le saint" (1965) ; "Le lâche" (1965) ; "Le héros" (1966) ; "Les aventures de Goopy et Bagha" (1969) ; "Des jours et des nuits dans la foret" (1970) ; "L’adversaire" (1971) ; "Tonnerres lointains" (1973) ; "La forteresse d’or" (1974) ; "Jana Aranya" (1976) ; "Les joueurs d’échecs" (1977) ; "Le Dieu éléphant" (1979) ; "Le Royaume des diamants" (1980) ; "La Maison et le Monde" (1984) ; "Un ennemi du peuple" (1990) ; "Les branches de l’arbre" (1990) ; "Le visiteur" (1991).

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