LE ''BRAS D'HONNEUR''... ET LA LOI – Par Mustapha Sehimi

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Le ministre Dupont-Moretti peut-il être sanctionné pour des gestes pouvant être qualifiés d'outrage et jugés devant la Cour de justice de la République ?

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RENTREE: MAUVAIS DOSSIERS… Par Mustapha SEHIMI

Voici quelques jours, à l'Assemblée nationale française, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a adressé plusieurs bras d'honneur à l'encontre du président du groupe parlementaire Les Républicains, Olivier Marleix. Un tollé a suivi avec diverses réactions. Le garde des Sceaux s'en est excusé affirmant qu'il s'agissait de "bras d'honneur à la présomption d'innocence", en réplique au député qui venait de rappeler sa "mise en examen pour prise illégale d'intérêts". 

Le ministre peut-il être sanctionné pour des gestes pouvant être qualifiés d'outrage et jugés devant la Cour de justice de la République ?

Présomption d’innocence ? Inexact

Les dispositions du Code pénal français (article 433-5) doivent être rappelées en la matière. L'infraction d'outrage puni de 7.500 € caractérisée par un geste doit réunir plusieurs éléments : un caractère public, l'adresse à une personne chargée d'une mission de service public, une atteinte à la dignité ou au respect attaché à la fonction de cette personne. En l'espèce, les bras d'honneur ont bien été commis en public, à l'occasion d'une séance parlementaire de questions au Gouvernement. Les fonctions des parlementaires relèvent bien de la catégorie de "personne chargée d'une mission de service public". Le député n'a pas pouvoir de décision ou de commandement découlant de l'autorité publique mais il est chargé d'accomplir des actes ou d'exercer une fonction dont la finalité est de satisfaire un intérêt général. 

Le ministre de la Justice a indiqué que ses gestes ne visaient pas le président du groupe Les Républicains, mais " la présomption d'innocence" que ce dernier aurait foulée aux pieds lors de sa prise parole - c'est inexact. Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la provocation invoquée par la personne poursuivie pour outrage ne constitue pas une excuse susceptible de l'exonérer de sa responsabilité pénale. De plus, le fait que le bras d'honneur vise les propos et non la personne n'a pas d'incidence sur la caractérisation de l'infraction d'outrage. 

Cela dit, ces gestes peuvent-ils être portés devant la Cour de justice de la République ? Juridiquement, cela ne fait aucun doute. Aux termes de la Constitution française (art. 68-1), " les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés de crimes ou délits au moment où ils ont été commis". Au sens de ces crimes et délits sont jugés par la CJR. Au sens de la loi, l'outrage constitue un délit, et non une simple contravention : la peine d'amende encourue pour cette infraction (7.500 €) est en effet supérieure à celle encourue pour les contraventions (1.500 €) maximum pour celles de 5ème classe, voire 3.000€ en cas de récidive (article 3-13 du Code pénal). C'est pourquoi la CJR serait pleinement compétente pour connaître ces faits: qualification délictuelle, commis dans l'exercice de ses fonctions, séance publique au Parlement. 

Qui est susceptible d'initier les poursuites? Par la victime, en occurrence le député Olivier Marleix sur la base de l’article 13 de la loi organique de la CJR: dépôt de la plainte auprès de la commission des requêtes de sept membres (Cour de cassation, Conseil d'Etat et Cour des comptes), appréciation des suites, transmission du dossier au procureur général près la Cour de cassation en cas de considération et des faits comme étant susceptibles d'une qualification pénale lequel saisit à son tour la commission d'instruction de la CJR. Secondement, la procédure peut être initiée par le procureur général près la Cour de cassation. Selon l'article 47 de la loi organique de la CJR, il peut agir d'office en saisissant la commission d'instruction de la CJR après avoir recueilli au préalable l'avis conforme de la commission des requêtes. Dans la pratique, il faut noter que cette action d'office n'a d'utilité que si la victime ne porte pas plainte.

Un ministre fragilisé

Au bout du compte, qu'en sera-t-il ? Y aura-t-il une initiative de l'une de ces deux personnes pour porter l'affaire devant la CJR ? Le député n'a pas évoqué cette hypothèse mais la menace peut être brandie, ce qui ne pourrait qu'accentuer la pression sur un Garde des sceaux déjà fragilisé. D'un autre côté, l'absence d'action du procureur général pourrait donner l'impression d'une impunité du garde des sceaux. De quoi nourrir le sentiment de "deux poids, deux mesures " alors que de nombreuses personnes sont poursuivies - et condamnées- chaque année pour les mêmes gestes. Le principe d'égalité des citoyens devant la justice en serait entachée. A noter enfin le ^plus piquant sans doute : dans une circulaire aux tribunaux en date du 7 septembre 2020, signée par le même ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, il était recommandé de réprimer fermement ce type d'actes commis contre les élus…

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