Algérie-Russie : la fin d’une idylle ? - Par Bilal TALIDI

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Le chef d’état-major algérien reçu à l’Elysée en chef d’Etat, ce qu’il est dans les faits, sauf que c’est la Légion étrangère qui lui rend les honneurs

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Le 29 novembre 2022, l’Algérie annonçait de façon mystérieuse le report de manœuvres militaires conjointes avec la Russie, initialement prévues dans les zones proches des frontières orientales du Maroc. Le ministère algérien de la Défense, réagissant à son homologue russe au sujet de ce report, a souligné qu’il était la seule source habilitée à annoncer un exercice militaire conjoint avec la Russie ou avec n’importe quel autre partenaire.

Le communiqué du ministère de la Défense n’a pas livré de détails sur les raisons de ce report, mais confirme de ce fait un accord préalable avec la Russie pour un exercice militaire conjoint. Nombre d’observateurs ont expliqué cette subite volte-face par les pressions occidentales sur l’Algérie pour l’empêcher de conclure un contrat d’armement avec la Russie d’une valeur de 17 milliards USD, un montant faramineux alloué à l’armée dans le budget 2023

La France qui espère récupérer l’Algérie

Moscou s’est contenté de suivre la situation et s’est gardé de tout commentaire, en attendant d’évaluer la capacité de résilience de l’Algérie face aux pressions occidentales. D’où la question qui angoisse : L’alliance russo-algérienne va-t-elle tenir, ou au contraire les dirigeants algériens vont finir par craquer de crainte des menaces américaines que l’ambassadrice US n’a pas hésité à brandir.

Fidèle à son équilibrisme dans la région maghrébine, la France, dont les relations avec Moscou se sont détériorées de façon inédite, a mis le cap sur Alger pour exploiter le désarroi d’un régime fragilisé par la menace des pressions américaines et européennes en raison de son alignement sur l’agenda russe. Ce faisant, Paris a tenté d’une pierre deux coups : conclure un partenariat stratégique d’exception avec l’Algérie et réduire sa dépendance à l’énergie russe.

En visite à Alger en août 2022, le président Emmanuel Macron a déclaré, immédiatement après l’annonce de ce «partenariat d’exception», que la France ne souffrirait pas de problème énergétique en hiver et que les livraisons algériennes contribueraient à l’approvisionnement de l’Europe en gaz et réduiraient la dépendance du Vieux continent au gaz russe. Triomphalement, il a balayé les craintes d’une concurrence franco-italienne sur le gaz algérien, sachant que sa visite à Alger a été précédée un mois auparavant par la signature d’un accord gazier entre Alger et Rome.

Pour rappel, le 22 janvier 2023, en marge de la visite à Alger de la Cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni, un accord a été scellé entre les deux parties pour la réalisation d’un nouveau gazoduc qui, à terme, devrait faire de l’Italie un hub gazier de l’Europe.

Un général algérien à Paris

Sur ce, le Chef d’Etat-major algérien Saïd Chengriha a surpris la semaine précédente les milieux politiques algériens par une visite en France, en prélude à la visite d’Etat que devrait effectuer, en mai prochain, le président Abdelmadjid Tebboune.

Médias algériens et occidentaux se sont arrêtés sur la symbolique de cette visite qui précède celle du Chef de l’Etat, ainsi que sur sa signification et sa portée, du fait qu’elle constitue une première pour un chef d’état-major algérien en France depuis 17 ans. Très peu d’éléments ont fuité sur les résultats de ce déplacement, et la presse s’est contentée de ressasser des généralités sur «la coopération sécuritaire et militaire entre les deux pays» et la signature d’une «feuille de route conjointe».

Moscou dans l’expectative

Le contexte des évolutions survenues depuis la menace américaine contre l’Algérie, les pressions qu’elle a subies pour l’annulation des manœuvres militaires conjointes avec la Russie à proximité des frontières orientales du Royaume, et la détermination du chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov de travailler, dans le cadre d’une tournée prévue en février prochain dans nombre de pays méditerranéens et africains, sur des «plans pérennes avec le Maroc»... sont autant d’éléments explosifs qui renseignent sur l’étendue des fissures qui risquent de faire imploser à terme la longue et traditionnelle idylle russo-algérienne. 

Moscou voit désormais d’un mauvais œil les agissements douteux d’Alger qui cherche à suppléer la Russie en tant que principal fournisseur de gaz à l’Europe. L’Algérie du président Tebboune donne désormais aux Russes plus que l’impression de prendre la tangente alors que pendant longtemps elle a caressé Moscou dans le sens du poil tout en manœuvrant avec les USA et l’UE, affirmant qu’elle ne pourrait se substituer à la Russie pour l’approvisionnement de l’Europe et laissant croire être toujours intéressée par un contrat d’armement pour la bagatelle de 17 milliards USD.

Si nul ne connait encore les détails de cette fameuse «feuille de route conjointe» signée par les états-majors des armées de l’Algérie et de la France, une chose est sûre : pour Paris, l’enjeu majeur est de rafler, sinon la totalité, au moins une partie du pactole de l’accord d’armement initialement promis à Moscou. Paris profite en cela de la principale obsession algérienne pour préserver ‘’l’équilibre’’ des forces dans la région qu’elle croyait à son avantage et le suppose aujourd’hui menacé après que le Maroc ait réussi à obtenir des armes et des équipements technologiques de pointe et convaincu ses partenaires (USA et Israël) d’implanter des industries militaires fort avancées sur son territoire.

L’équilibrisme français

La question du Sahara marocain s’invite forcément dans ce deal et il n’est pas difficile de concevoir que les deux parties chercheront à s’accorder sur une perception commune sur le sujet, surtout depuis que Rabat a érigé le dossier du Sahara comme «la lunette à travers laquelle le Maroc regarde le monde et évalue les amitiés et les partenariats avec les autres pays». 

En dépit de cet intérêt pour la quête d’une certaine convergence entre les deux points de vue, l’approche des uns et des autres ne peuvent concorder totalement. Paris cherche au mieux à faire pression et à soumettre Rabat à son chantage pour ramener les relations bilatérales à une époque révolue, sans se départir de sa zone de confort habituelle d’équilibriste, tandis que l’Algérie s’échine à faire de la France son allié et un adversaire du Maroc dans le dossier de l’intégrité territoriale du Royaume !

Mais Alger est handicapé par le problème que lui pose sa direction bicéphale, qu’elle soit politique ou militaire. Il s’en retrouve empêtré dans une crise d’options, ou plus précisément dans une crise d’orientations. Après s’être appuyé, des décennies durant, sur l’alliance avec Moscou dans une stratégie d’hostilité sans répit au Maroc, considérant la France comme l’obstacle majeur à ses ambition, le pouvoir algérien se retrouve à l’étroit dans ses options : la poursuite de son partenariat stratégique avec la Russie est incertain, pas plus que les faveurs de la France ne sont acquis pour transformer Paris, coûte que coûte, en adversaire stratégique du Maroc.

Les limites d’une alliance

Mais tout porte à croire que la politique étrangère d’Alger s’achemine vers une vive tension avec Moscou, son allié traditionnel. Alger qui cherche à se délester de la pression occidentale, mais s’affaire à saborder la stratégie russe consistant à diviser l’Europe par le gaz. L’Algérie ne s’est pas contentée de se présenter comme un suppléant potentiel du gaz russe pour une Europe en besoin d’énergie, mais elle a pratiquement lancé, aux dépens de la Russie, une opération de charme et de séduction en direction de Paris pour une partie du juteux contrat d’armement (17 milliards USD), à commencer, selon certains observateurs, par l’acquisition de satellites de surveillance similaires à ceux que Paris a vendus au Maroc, mais en plus performants.

Pour autant, l’opération de séduction algérienne est mal servie par les contradictions de sa politique étrangère. Alger ne peut du jour au lendemain se défaire, de plusieurs décennies de relations stratégiques avec la Russie, ni le faire croire à ses interlocuteurs occidentaux. Et l’Europe et l’Occident en général ne peuvent, moyennant quelques concessions, fermer les yeux sur ce qui relie stratégiquement Russie et Algérie, notamment dans la région africaine où Moscou, mais pas seulement Moscou, pousse ses pions.

L’Algérie pourrait éventuellement, à la faveur d’un possible contrat d’armement, espérer obtenir de Paris un assouplissement des pressions occidentales. Mais elle n’échappera pas à trois faits incontournables. Le premier est que la France ne peut aller très loin dans ses tensions avec le Maroc, et ne quittera pas la zone de pression prudente en attendant une éventuelle réaction, un positionnement que dénotent les déclarations de nombres de responsables français sue le caractère stratégique des relations bilatérales et la négation de toute tension avec Rabat. Le deuxième est que l’Occident ne peut croire en une neutralité d’Alger, en voyant le Mali, puis le Burkina Faso, demander la fin de la présence militaire française sur leurs territoires, tout en suivant de plus près l’expansion de l’influence russe en Afrique. Le troisième est que Moscou ne peut rester longtemps inerte en voyant Alger acheminer massivement et au quotidien le gaz vers une Europe contribuant à ruiner l’un de ses principaux atouts dans sa confrontation sans merci avec le camp occidental.

 

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