L’Académie du Royaume décortique les Carnets de voyage d'Eugène Delacroix

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Rabat- Le colloque international sur "La palette marocaine d'Eugène Delacroix de 1832 à 1863", s'est penchée, jeudi, sur les Carnets de voyage de Delacroix lors de la sénace consacrée à ce thème sous la présidence de M. Pierre Brunel professeur émérite de littérature comparée à la Sorbonne

Intervenant à cette occasion, Michèle Hannoosh professeure de français à l’Université de Michigan (USA) et spécialiste du XIXe siècle français, a fait observer que "dans les souvenirs que le peintre a rapporté de son voyage au Maghreb, l’écriture jouait un rôle aussi important que la peinture". En effet, plusieurs carnets de notes, récits, feuilles volantes témoignent d’un effort littéraire considérable pour traduire son expérience, a-t-elle dit.

Selon Mme Hannoosh, à la différence de la peinture, l’écriture a permis une liberté qui correspondait à l’éblouissement du peintre. Mais d'un autre côté, elle affirme qu'une seule image peux dire plus que des volumes de description et transmettre les émotions plus intensément.

La professeure s'est également attardée sur les écrits d'Eugène Delacroix sur le Maghreb, saluant une écriture expérimentale, novatrice, pouvant contenir en même temps une réflexion sur les rapports entre écriture et peinture, texte et image. D'après elle, le voyage de 1832 aurait eu une influence cruciale non seulement sur la peinture de Delacroix mais aussi sur son écriture, mettant en œuvre une réciprocité créatrice entre les deux arts qui ont dominé sa maturité.

En illustration, Mme Hannoosh a présenté les carnets de Meknès et de Tanger, où Delacroix mélangeait croquis et mots. Les textes et les images "devenaient ainsi indissociables".

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Pour Mohamed Essaouri, professeur universitaire et ancien Président d’Université, les carnets marocains de Delacroix, outre leur portée historique et documentaire, sont de véritables viviers d’idées et de projets artistiques.. ils stimuleront, l’œuvre de Delacroix aussi bien scripturale que picturale, a-t-il souligné.

M. Essaouri a avancé que l’artiste aura également recours à la mémoire pour restituer progressivement les scènes marocaines.

Il a par ailleurs remarqué que "dans ces carnets, nous observons que les croquis et les dessins sont mêlés simultanément. Nous pouvons en outre en conclure que le peintre était à quelques moments de ses voyages pressé (compte tenu de son écriture)".

De son côté, Marie-Pierre Salé, Conservateur en chef au Département des Arts Graphiques du Musée du Louvre à Paris, a affirmé dans une intervention sous le thème de «Delacroix, Burty, Charcot : un carnet du voyage au Maroc», que lors de la vente de l’atelier d’Eugène Delacroix en 1864, les sept carnets et albums du voyage en Afrique du Nord et en Espagne ont été dispersés, dont cinq sont aujourd’hui connus et localisés. Trois d'entre eux se trouvent actuellement au département des arts graphiques du Louvres.

Elle rapporte qu’étant ami du peintre, Philippe Burty "avait acquis le plus fabuleux et le plus important des sept carnets, dans lequel se mêlent textes et croquis pour retracer les souvenirs de ce voyage capital."

"Burty était aussi un proche du docteur Jean-Martin Charcot, grand neurologue et chercheur en psychologie mais aussi un passionné d’art. Il avait pu admirer le carnet de Delacroix chez Burty, qui le lui légua en usufruit” a t-elle expliqué.

Ce colloque donne une occasion privilégiée d’échanges et de réflexion pour mieux comprendre l’artiste et son temps. Il propose dans une démarche pluridisciplinaire de faire découvrir au public l’œuvre et la personnalité d’Eugène Delacroix à un moment crucial de l’Histoire du Maroc, dans le jeu complexe des représentations. Il vise également à souligner l’extraordinaire apport d’Eugène Delacroix à la création artistique et littéraire.

« Les noce juives » dans l’imaginaire de Delacroix

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"La noce juive au Maroc est une œuvre attestant de la diversité culturelle et religieuse, ancrée dans ce pays qui a marqué l'imagination et l'imaginaire d'Eugène Delacroix", a indiqué, jeudi à Rabat, l'écrivain et spécialiste en soufisme, Mohammed Faouzi Skali Alami.

Dans son exposé, M. Skali Alami décrit la noce juive à Tanger tel un reflet de l'autre Orient, celui d'une fête judéo-mauresque qui dépasse l'exotisme et qui contraste la variété des attitudes, des coutumes et surtout des religions judéo-islamiques.

Il a, en outre, élucidé le rôle des personnalités soufies qui ont croisé le chemin de l'artiste, durant son séjour au Maroc, notamment le Sultan Moulay Ismail qui a permis aux confréries de s'épanouir comme centres spirituels, l'émir Abd el-Kader ou encore Maalainain, qui témoignaient d'une chevalerie spirituelle et des valeurs de noblesse et d'humilité.

"Avant d’atterrir au Maroc, Delacroix avait une fascination exceptionnelle pour l’Orient, ainsi il entrepris un voyage sous l'auspice de l’interrogation de soi qui va le choquer et le fasciner en même temps", commente le spécialiste en soufisme. 

Pour lui, le Maroc est profondément imprégné par le soufisme, les confréries et un art de vivre fort de ses valeurs et fait de souplesse et de détachement.

Rappelant le rôle de Delacroix qui était d'accompagner la mission diplomatique française, M. Skali met en avant le refus du peintre à mettre en relief l'aspect pittoresque de ses œuvres et prend une distance de cet orientalisme pictural de l’époque pour subjuguer le regard du conquérant et le désarmer face à une œuvre artistique qui plaça le Sultan Moulay Abderrahman, sortant de son palais de Meknès, dans une vision fantasmatique et imaginaire d'un Orient qui n'est que l'incarnation des craintes de l'Occident et de son sentiment de supériorité. 

Pour Fayza Benzina, professeur d'histoire de l'art à la faculté des sciences humaines et sociale de Tunis, Delacroix, passeur d’informations sur le Maroc, devient un relais vis-à-vis de l’opinion occidentale et témoigne artistiquement sur une autre civilisation. Ses œuvres permettront de satisfaire l’opinion publique occidentale, en mal de rencontre avec un Orient fantasmé.

"Delacroix répond à ces attentes par ses magnifiques tableaux, mêlant le "hayk" le "bournous", le chapelet , le parasol, symbole même du pouvoir Royal au Maroc", expose Mme Benzina, évoquant en ce sens une audience à laquelle le peintre a assisté, pendant son voyage au Maroc.

Delacroix s'est mis à peindre avec des coloris exquis ayant un effet sur l'imaginaire, laissant ainsi de côté les palettes sombres utilisées avant son arrivée au Maroc.

"Ces couleurs ne faisaient pas partie des éléments de Delacroix. En France, il utilisait une palette beaucoup plus terne, plus sobre, mais à son arrivée au Maroc, dans ce haut lieu de lumière et de couleur, voyant cette luminosité qui l'a extasié et en mème temps ces couleurs dominantes de rouge, de vert, de jaune, de blanc, toute sa palette va être transformée", a affirmé Mme Benzina dans sa déclaration à la MAP. 

Quant à lui, le professeur habilité au centre régional des métiers d'éducation et de formation à Fès, Rabie Robay, revient sur la transformation personnelle et artistique d'Eugénie Delacroix.

Les visions contradictoires sont une problématique de véracité et de perception qui rappelle que le regard est le grand révélateur non pas de ce qui est regardé, mais de celui qui regarde, de son capital culturel, de son arrière-plan idéologique, voire des tendances psychiques, philosophe-t-il.

Le colloque international sur "La palette marocaine d’Eugène Delacroix de 1832 à 1863", organisé du 11 au 13 septembre par l’Académie du Royaume du Maroc à son siège, constitue un temps fort d’échanges et de réflexion dans un jeu de regards croisés, pour mieux comprendre l’artiste et son temps.