Afrique du Sud : le Dialogue social se transforme en dialogue de sourds - Par Ilias Khalafi

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Les syndicats accusent le gouvernement d’avoir interrompu le dialogue social en appliquant unilatéralement une hausse de salaire de 3 %, jugée dérisoire

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Par Ilias Khalafi  (Bureau de la MAP à Johannesburg)

Johannesburg - Le dialogue social en Afrique du Sud est dans l’impasse. Alors que les plus grands syndicats du pays ont opté pour l’escalade, le gouvernement campe sur ses positions sur fond de risque de déclencher une grève générale paralysante.

Le fossé de l'incompréhension et ce bras de fer entre les uns et les autres se poursuivant depuis plusieurs mois déjà ont entrainé des grèves nationales successives pour dénoncer le mutisme des autorités face aux revendications salariales «légitimes» des employés de la Fonction publique qui sont aux prises avec une inflation galopante depuis le début de l’année.

Unilatéralité gouvernementale

Les syndicats accusent le gouvernement d’avoir interrompu le dialogue social en appliquant unilatéralement une hausse de salaire de 3 %, jugée dérisoire, au lieu des 6,5 revendiqués par les fonctionnaires.

Alors que la tension a monté d’un cran en novembre dernier, les syndicats ont durci le ton en réclamant désormais une hausse de 10%, menaçant d’entamer une grève illimitée si les autorités persistent à rejeter leurs revendications.

Sept fédérations syndicales ont accusé le gouvernement d’avoir «délibérément induit le public en erreur» autour d’une prétendue offre salariale de 7,5%, expliquant que la proposition réelle est de 3%, alors que les 4,5 % restant représentent une allocation forfaitaire temporaire.

«L'employeur tente de semer la confusion entre les employés, ainsi que dans l'opinion du public en créant une perception que les fonctionnaires sont cupides au point de rejeter une offre salariale de 7,5%, ce qui est supérieur au taux d’inflation», a déclaré l'Association des fonctionnaires publics (PSA) dans un communiqué.

De son côté, le Syndicat national de l'éducation, de la santé et des travailleurs connexes (Nehawu) a affirmé que «l'action de protestation initiée jusqu’à présent n'était qu'un début et un coup de semonce au gouvernement pour lui montrer que nous sommes capables de déclencher une grève qui peut bloquer les services publics».

Le Secrétaire général adjoint du syndicat, December Mavuso, a également mis en garde que les membres des syndicats concernés étaient prêts à intensifier la grève pour qu'elle atteigne la conférence élective du Congrès national africain (ANC au pouvoir), prévue du 16 au 20 décembre à Johannesburg.

Menace sur les perspectives économiques

Les syndicats, qui comptent pas mois de 800.000 membres, ont fait valoir que leur combat n'était pas seulement pour ajuster leurs salaires avec le coût de la vie, mais aussi pour protéger le dialogue social.

En revanche, le gouvernement sud-africain est resté inflexible dans sa position en raison des difficultés budgétaires qui se sont aggravées depuis la crise de la covid-19. Le ministère de la Fonction publique a ainsi fait valoir que l’offre salariale actuelle coûterait à l'État près de 2 milliards de dollars, une somme intenable au vu de la situation actuelle de la dette publique.

Ajoutées aux 38 milliards de dollars que l'Afrique du Sud verse déjà en rémunération des fonctionnaires, les nouvelles augmentations verront la masse salariale du pays dépasser 40 milliards de dollars, ce qui sera plus proche du niveau prévu d'être atteint en 2025.

Dans ce contexte, les observateurs ont tiré la sonnette d’alarme vis-à-vis de l’instabilité créée par les tensions actuelles, arguant que cela pourrait affecter les perspectives économiques du pays.

Dans la même veine, la Présidence a mis en garde que la grève du secteur public portera un coup dur à l’économie du pays. «Poursuivre l’escalade dans le contexte actuel aura un impact énorme sur l’économie et sapera même les conditions d’une reprises du dialogue social à un stade ultérieur», a déclaré le ministre à la Présidence, Mondli Gungubele.

L’œil de Fitch

Réagissant à cette situation, l’agence de notation internationale Fitch Ratings a souligné que les revendications salariales actuelles du secteur public indiquent une pression à la hausse accrue sur les dépenses, ce qui menace les perspectives de service de la dette du pays si une augmentation des salaires est convenue.

Fitch a rappelé également que la stratégie de stabilisation de la dette du gouvernement repose fortement sur la maitrise des dépenses salariales du secteur public, mais la grève en cours dans ce secteur montre que cela pourrait s'avérer de plus en plus difficile à atteindre.

En somme, tous les indicateurs suggèrent que dialogue social semble être à bout de souffle. Rien ne laisse entrevoir une issue favorable à cette crise, l’espace budgétaire de l’État étant sévèrement limité par la crise de la covid-19 et les renflouements successifs des entreprises publiques lourdement endettées.

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