Le couscous, est-il algérien ou marocain ?

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Des experts, costumes sombres de circonstance et cravates grises assorties, l’air sérieux et grave d’officiers supérieurs entrant dans la war-room du Pentagone, se sont réunis à Nouakchott. A l’ordre du jour, un point orphelin, la miette qui ferait déborder la gas’âa : Eviter aux cinq pays du Maghreb les affres d’une guerre. La guerre du couscous. Vous rigolez, mais le Honduras et le Salvador en sont bien arrivés aux mains pour moins bien que ça, un match de foot. Elle a duré cent heures.

Après avoir croisé la cuillère aux frontières et essuyé quelques tirs de sommation, Rabat, Alger, Nouakchott, Tunis et accessoirement Tripoli en attendant que la Libye de nouveau se redécouvre Etat, se sont mis d’accord pour se présenter devant l’UNESCO en rangs unis pour inscrire le Couscous au patrimoine de l’humanité. Une rare fois où les cinq pays ont trouvé le, moyen de donner un contenu à leur discours litanique sur l’histoire commune et les valeurs partagées.   

Chacun des pays du Maghreb revendiquait être le berceau de ce plat à base de semoule de blé dur aux mille et une variétés. Une inarbitrable compétition sur les origines et les meilleures recettes possibles de sa préparation. Il va de soi que les marocaines sont les meilleures, mais je n’en mettrai pas ma main au feu. Il est établi que le goût est culturel. Je l’ai appris à mes dépens, dans ma tendre enfance, le jour où on m’a gentiment invité à gouter à un couscous au poisson. Beeerk !

Jusque-là, le couscous pour moi ne souffrait pas la contestation : aux sept légumes couvrant une bonne épaule d’agneau, aux pois chiches et raisins secs, à l’occasion au poulet, le soir sous l’appellation de seffa avec du sucre glacé et de la cannelle accompagné d’un bon verre de lait. Ou, en milieu d’après-midi ou sur les routes nationales, avec des fèves et du petit lait. Sicouk ça s’appelle.

La fois où en Tunisie on m’avait présenté un couscous merguez.  Du lèse-couscous qui flirte avec le sacrilège. Je m’y suis fait, de peur de créer une situation de belligérance, en philosophant sur nos différences. Si le Maghreb est un et les maghrébins plusieurs c’est pour que chacun fasse à sa guise.

J’ai mon beau-frère originaire du Souss qui mange le couscous avec du pain quand mon père à l’époque qui remonte à ma madeleine nous faisait des boulettes qu’il moulait avec amour au creux de sa main. Il fallait ouvrir bien grande la bouche. Aujourd’hui tout le monde prend ses distances avec le couscous et met une cuillère entre lui et la semoule.

Dans les situations tendues, il est de bon ton d’éviter tout acte qui peut être interprété comme une provocation et dieu sait qu’au Maghreb ce ne sont pas les tensions qui manquent. De toute façon, les archéologues et les anthropologues sont unanimes. Les traces du couscoussier remontent à trois siècles avant Jésus Chris, quand Allah, sous les Numides, s’appelait Tanit. Le temps aidant, les plaques tectoniques ont fait leur œuvre et le couscous a eu plus que largement le loisir de se mauritaniser, se tunisifier, se marocaniser et s’algérianiser.  Bien avant que l’Algérie n’existât.

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