Conseil national de la presse : Un Conseil hétéroclite débordant le cadre de la presse

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Si la création d’un conseil national de la presse n’était pas prévue dans la constitution, c’est parce que le législateur aurait voulu éviter toute interférence des pouvoirs publics dans l’organisation du secteur de la presse, qui serait assimilée à une ingérence

J’ai suivi, comme tous mes confrères, actifs et retraités, le processus devant conduire à la mise en place d’un Conseil national de la presse,  organe non prévu par la Constitution de 2011. L’unique renvoi de la constitution de 2011 à ce sujet ressort de l’article 28 qui stipule «les pouvoirs publics favorisent l'organisation du secteur de la presse de manière indépendante et sur des bases démocratiques, ainsi que la détermination des règles juridiques et déontologiques le concernant".

Si la création d’un conseil national de la presse n’était pas prévue dans la constitution, c’est parce que le législateur aurait voulu éviter toute interférence des pouvoirs publics dans l’organisation du secteur de la presse, qui serait assimilée à une ingérence dans un métier dont les acteurs revendiquent jalousement leur indépendance par rapport au pouvoir. Les pouvoirs publics, partout dans le monde, évitent, en effet, de s’impliquer dans ce secteur pour laisser aux concernés la liberté d’organiser le métier, à l’abri de toute interférence extérieure de l’Etat, qui pourrait être accusé de vouloir mettre la main sur le secteur.

Les  autres Conseils prévus dans la Constitution ont des missions permanentes, comme le conseil supérieur de l’éducation, qui est chargé de la refonte continue du système éducatif. Le conseil national de la presse est,  certes, lui aussi, investi d’une mission permanente de médiation et d’arbitrage dans les conflits entre les journalistes et les employeurs ou entre les journalistes et les tiers. Toutefois, le conseil, version marocaine, contrairement aux pratiques en vigueur ailleurs tendrait à imposer, le cas échéant, ses conclusions d’arbitrage, en les faisant valider par la justice.  Il pourrait également procéder par la force (huissier de justice) au recouvrement des cotisations dues par les éditeurs, dans la proportion de un pour cent des bénéfices. Les journalistes du secteur public, qu’il soit dit au passage, échappent aux sanctions disciplinaires d’ordre déontologique du Conseil  (pour fautes professionnelles), qui restent du ressort des employeurs.

Comparativement,  l’ampleur de la tâche du conseil supérieur de l’éducation est immense. C’est la raison pour laquelle les pouvoirs publics ont mis à sa disposition un édifice flambant neuf, qui renvoie à sa pérennité   (bâtiment) d’une belle architecture à El Irfane à Rabat, pourvu que sa production se hisse au niveau des attentes des marocains, qui se plaignent de la médiocrité de l’enseignement dispensé à notre enfance et notre jeunesse tant aux différents stades de l’école qu’à l’université.

Le conseil national de la presse, par contre, ne poursuit pas les mêmes objectifs. Le conseil, qui existe sous d’autres cieux, avec beaucoup de nuances, devrait à priori, se charger d’élaborer une charte de déontologie et puis veiller à son application, mais sans pour autant suppléer la justice qui, dans bien des cas, resterait  l’ultime recours pour les justiciables, en cas de conflit avec les journalistes. Les tiers ne sont pas obligés de s’adresser au Conseil national de la presse et de solliciter son arbitrage. le Conseil est saisi à la demande de l’une des parties .

En Europe, les conseils les plus anciens, dans les pays nordiques et en Belgique, qui sont d’abord des conseils de déontologie, crées par les corporations professionnelles, avec naturellement une plate-forme légale, ont eu d’énormes difficultés pour régler des contentieux entre les plaignants et les journalistes, et après l’échec des tentatives d’arbitrage et de règlement à l’amiable, c’est la justice qui en était saisie en définitive . Il a été difficile pour certains Conseils, dans des situations particulières, d’imposer  quoi que ce soit à des confrères .

Le Conseil national de la presse a été initié par l’ex-ministre de la communication du PJD, Mustapha ElKhalfi , en vertu d’une loi adoptée par le gouvernement Ben kiran). L’ancien ministre de la communication, qui  a été durant tout son mandat en rupture totale avec les médias audiovisuels publics, encourageant insidieusement la création de chaines de télévision parallèles, pour éventuellement supplanter Al Oula et 2M, a préconisé, un Conseil,  qui a une double compétence : l’élaboration d’un code de déontologie et la délivrance des cartes de presse. Or, les cartes de presse sont délivrées, en Europe, par des commissions paritaires élues, composées des éditeurs et des journalistes professionnels, alors que le Conseil de déontologie, une forme de tribunal sans en être un,  est chargé de veiller au respect de l’éthique professionnelle.

A la différence des différents cas de par le monde, les membres du conseil seraient rémunérés. Selon des informations diffusées par des sites électroniques marocains, et bien que la grille des indemnités serait fixée par un règlement intérieur, il s’agirait de rémunérations alléchantes calquées sur les autres Conseils. Or, dans les autres pays, les Conseils de déontologie, mis en place par les corporations professionnelles, reposent sur le bénévolat. Il s’agit d’abord de conseils de déontologie. Même le budget serait pour moitié pourvu par les pouvoirs publics. Or, les conseils similaires en Europe évitent toute interférence des pouvoirs publics, qui serait préjudiciable aux intérêts des journalistes. Au Maroc, le budget du Conseil est notamment constitué des « subventions de l’Etat ».  les membres du Conseil « perçoivent des indemnités en compensation des travaux réalisés et des charges qu’ils supportent », selon la loi portant création du Conseil.

Pour rappel, tous les partenaires du secteur n’avaient pas été associés ou partiellement à l’élaboration de cette loi et l’on ne comprendra jamais assez les raisons qui ont poussé l’ancien ministre de la communication –et c’est une première dans les annales des conseils de déontologie- à imaginer une composition du conseil hétéroclite :  si les deux tiers sont réservés aux journalistes professionnels et aux éditeurs, à parité égale 7/7), le tiers restant est composé notamment d’un représentant du conseil du pouvoir judiciaire, un représentant du conseil des droits de l’homme, un représentant de l’association des avocats, un représentant du conseil des langues, un représentant des écrivains, puis, en sus, un ancien éditeur, et un ancien journaliste, tous deux désignés par les corporations professionnelles «les plus représentatives ».

Personnellement, j’ai exercé le métier de journalisme pendant 31 ans. Agencier, j’écrivais aussi pour des journaux  au Maroc et à l’étranger. Aujourd’hui retraité, je n’ai pas arrêté d’écrire : des livres, plus que des articles pour la presse électronique notamment, par moment, sans que cela se traduise par un engagement, une rémunération et une obligation de périodicité. En d’autres termes, j’écrivais quand je voulais. Je me demande pourquoi je n’ai plus droit, comme plusieurs de mes confrères à la retraite,  à une carte de presse, après 31 ans de service.

En désignant une commission chargée de préparer les élections du Conseil, le ministère de la communication n’a pas eu, comme toujours , le réflexe, de penser à une dizaine de directeurs de l’information successifs de la MAP,  qui ont tous totalisé 40 ans de service chacun. Le fait de livrer cette tâche (la délivrance des cartes de presse) à un conseil hétéroclite constitue-t-il un gage de sincérité du scrutin, pour lequel il y’aurait une très faible mobilisation ? .

 

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