Bouteflika, Notre compatriote le Président

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J’ai eu la chance en juin 1988 de découvrir Alger dans le sillage du voyage de Hassan II, l’un des rares, le premier depuis longtemps, pour assister au sommet arabe que la capitale algérienne abritait pour organiser la solidarité avec les enfants de la première intifada palestinienne qui recouraient à  la pierre contre le Goliath israélien avec beaucoup moins de succès que David. Je découvrais en même temps, avec une curiosité non dissimulée, les Algériens, surtout leurs journalistes.

Cet intérêt serait partiellement et partialement appréhendé si je ne disais, qu’enfant, à peine arrivé à Rabat de ma petite ville natale Sefrou, à l’aube des années soixante, j’ouvrais avec stupéfaction mes yeux sur une manifestation de rue. La première fois que j’en voyais une. La foule brandissait ce que je connaitrai plus tard comme les drapeaux algériens, scandant : « Ben Bella wa shabou  [dont l’avion a été détourné par les Français], f’janna y’tassabou » (Ben Bella et ses compagnons au paradis nous les trouverons).

Mais que commençant, au cours de cette mission, à connaitre cette Algérie qui a tant fait rêver ma génération pour mieux la décevoir, je découvrais l’ambivalence des sentiments que les Algériens, le peuple, portaient au Maroc et aux Marocains. Frères, pas tout-à-fait ; ennemis, pas entièrement. Des frères-ennemis dont enfin m’apparut le sens dans toute sa plénitude. Marocains et Algériens en étaient et en sont une déclinaison toute maghrébine et portaient et portent en eux toute la charge litotique de ce Va je ne te hais point !

Je vivrai en tant que reporter la fin de la genèse et l’éclosion de la décennie noire algérienne pour constater que ce drame n’atténuait en rien l’ambiguïté de la perception algérienne des Marocains ensemencée par ce que l’on appelle communément en Algérie le « clan d’Oujda » dont Abdelaziz Bouteflika fut le magouilleur sans égal.  

En plein drame des années quatre-vingt-dix j’ai entendu des confrères algériens affirmer cyniquement que si l’Algérie vivait sa tragédie islamiste, celle du Maroc était encore à venir, exprimé à la fois comme une consolation (maigre) et un vœu (ardent). Aussi, n’étais-je nullement étonné d’assister, à l’occasion de la présidentielle d’avril 2019, au réveil de ce sentiment anti-marocain en même temps que réémergeait de sa léthargie la conscience algérienne. Diffus, mais présents en permanence, ces préjugés, Bouteflika les a alimentés plus que tout autre élément du clan d’Oujda la marocaine.  

Au lendemain de son élection en 1999, le président sortant a fait de l’anti-marocanisme le pivot de sa tournée dans les régions. Dix ans auparavant, juste après les émeutes d’octobre 1988, je l’ai entendu déclarer devant 5000 congressistes sa haine du Maroc. En substance, il a vomi quelque chose comme « on me dit que les Algériens sont en admiration devant les Marocains. Je ne comprends pas. Voir un Algérien dans l’abaissement de vivre comme un marocain, m’insupporterait ». Si bien que 20 ans après je ne peux vivre que comme une ironie du sort ce soupçon de marocanité que font peser sur lui, au crépuscule de sa vie, ses compatriotes algériens.

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