Tunisie : Le maintien de Nabil Karoui en détention inquiète l’Instance Indépendante des Elections

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Tunis - Le refus de la justice tunisienne de libérer le candidat Nabil Karoui, arrivé deuxième au premier tour du scrutin présidentiel, a laissé pantois les Tunisiens et nombre d'observateurs qui se demandent, à juste titre, du bien-fondé de tout un processus électoral si l’on persiste à incarcérer un sérieux candidat que tous les sondages ont, d’ailleurs, donné pour grand favori pour accéder au Palais de Carthage.

Force est de constater que la controverse s’est exacerbée avec le lancement, jeudi, de la campagne électorale pour le second tour de la Présidentielle anticipée du 13 octobre.

D’aucuns y distillent un goût d’inachevé, tant que l’équité des chances entre les deux candidats qualifiés pour le second tour de ce scrutin fait défaut. 

Face à une situation inextricable vu l’absence, dans la loi électorale, de dispositions applicables au cas du candidat Nabil Karoui, arrêté en août dernier pour suspicion de "blanchiment d’argent et d'évasion fiscale", l’Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE) a exprimé des inquiétudes quant à la possibilité de contester l’opération électorale dans sa globalité.

Pour Nabil Baffoun, président de l’ISIE, tous les efforts ont été déployés pour garantir l'égalité des chances entre le candidat Kaïs Saïed, soutenu par le parti Ennahdha et le président du parti "Qalb Tounès", Nabil Karoui, arrivés respectivement premier (18,7 pc des suffrages) et deuxième (15,5 pc) lors du premier tour de la présidentielle.

L’instance "a envoyé des courriers au ministère de la Justice, au procureur général et même au juge en charge de l'affaire pour qu'ils laissent à Nabil Karoui la possibilité de s'exprimer dans les médias, voire qu'ils le libèrent", argue Baffoun au lendemain du rejet de la Cour d'appel de Tunis d’une nouvelle demande de libération de Karoui, arrêté en août dernier suite à une plainte déposée contre lui par l'organisation "I Watch".

La campagne électorale de Karoui lors du premier tour de l’élection présidentielle anticipée a été menée, en son absence, par son parti "Qalb Tounes" (au Cœur de la Tunisie), qui, aux côtés de l’ISIE, des observateurs internationaux et nombre de responsables politiques, a appelé à ce que le candidat incarcéré puisse faire campagne de façon équitable pour le second tour.

Générant un imbroglio politico-juridique, cette affaire a suscité l’émoi d’un grand nombre d’acteurs parmi la classe politique qui considèrent que la poursuite de l’incarcération de Karoui, qui a des démêlés avec la justice, "aura inéluctablement un impact sur les résultats, tant il est estampillé de candidat non fiable par la majorité des électeurs" qui vont avoir droit à une course sans gloire, avec un seul candidat à bord.

Selon Jalel Hammami, avocat, analyste et chargé de presse de la campagne de Nabil Karoui, le candidat contestera les résultats de ce scrutin s'il ne jouit pas des mêmes conditions que son adversaire.

Il a dans ce sens déploré un "abus de pouvoir manifeste", relevant qu’en termes juridiques, l'arrestation a été faite sur la base de ce qu'on appelle "parallélisme de forme".
Tout en se déclarant qu’il est "optimiste" et qu’il fait confiance à la justice nationale tunisienne, il a souligné que si la justice est véritablement libre, Nabil Karoui sera libéré étant donné que juridiquement parlant, il ne représente pas un danger pour la société. Plus encore, Karoui a déclaré haut et fort qu'il ne veut pas de l'immunité accordée à un président, a-t-il enchaîné.

Le candidat incarcéré a promis aux Tunisiens de ne pas utiliser son droit à l'immunité et qu'il va se plier devant la justice si toutes les accusations qui pèsent sur lui s'avèrent vraies et qu'il est véritablement le "mafieux" qu'on prétend.

D'après la même source, maintenant qu'il n'est qu'un accusé "innocent jusqu'à preuve du contraire", il est inadmissible qu'il soit privé de son droit de mener sa campagne.

"Ceci est contre les principes mêmes de la justice", a martelé l’avocat Hammami, soulignant qu’il est inadmissible d'ignorer la volonté et le choix d’une bonne partie des Tunisiens qui ont voté pour Karoui.

Pour lui, la justice aurait dû se plier à la volonté du peuple, dont une partie a choisi de voter pour ce candidat, suggérant une issue juridique et morale de cette affaire.

Explicitant son propos, l’avocat estime que si cet homme, candidat de surcroît au second tour de l’élection présidentielle, ne représente aucun danger public ou menace pour autrui, il serait judicieux de respecter la souveraineté populaire et la volonté du peuple en séparant les pouvoirs, "d'autant plus qu'une partie au pouvoir a décidé de son emprisonnement".

Si on veut une véritable équité des chances, il est impératif que le débat télévisé entre Karoui et Saed Kaiss se passe au moins au sein de la prison et que le deuxième candidat y soit invité, préconise-t-il.

Dans ce même ordre d’idées, Abdallah Laâbidi, analyste et ancien diplomate, a qualifié, pour sa part, "de grande erreur dès le départ", l'emprisonnement de Karoui.

"Il fallait ou bien ne pas emprisonner Karoui ou bien ne pas accepter sa candidature", a-t-il insisté, considérant qu’il s’agit d’une "décision politique" et que "les différents pouvoirs ne sont pas aussi libres et séparés qu'on le pense".

Se disant "pessimiste", le chercheur a expliqué que face à toutes les erreurs accumulées depuis 2011 par les différents pouvoirs et gouvernements, le pays se trouve aujourd'hui dans une situation "très critique".

Poursuivi depuis 2017 pour "blanchiment d'argent et évasion fiscale", le magnat des médias Nabil Karoui a été placé en détention préventive le 23 août. Toutes ses demandes de libération ont été rejetées jusque-là. La date de son arrestation, 10 jours avant le début de la campagne, avait suscité des interrogations sur une "instrumentalisation de la justice par le politique". 

Pour nombre d’observateurs, le cas Karoui constitue bel et bien une première en Tunisie où un candidat qualifié pour le second tour de la Présidentielle croupit toujours dans les geôles, sans jugement et sans possibilité de mener à bon port sa campagne électorale.

En attendant sa condamnation ou, au contraire, sa libération, l’affaire Karoui promet des rebondissements sur une scène sens dessus-dessous.

 

*MAP

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