Tunisie : le ''cheikh'' Ghannouchi SE FROTTE POUR LA PREMIERE FOIS A L’ELECTORAT

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Simple chemisette et visites de quartier: le chef historique du parti tunisien d'inspiration islamiste Ennahdha, Rached Ghannouchi, mise sur la proximité dans une campagne qu'il mène pour la première fois en tant que candidat, à l'occasion des législatives du 6 octobre.

A 78 ans, M. Ghannouchi règne depuis sa création il y a quatre décennies sur Ennahdha, portant le mouvement tout juste sorti de la clandestinité à la victoire aux élections de 2011. Malgré les déboires des premières années post-révolution, le parti avait ensuite su conserver une position clé au Parlement en 2014.

Personnalité jugée clivante, M. Ghannouchi n'avait néanmoins jamais brigué de mandat jusque-là, laissant Abdelfattah Mourou, un avocat plus pragmatique, se lancer dans la course à la présidentielle, dont il a été éliminé le 15 septembre.

Arrivé en luxueuse berline noire dans les ruelles de Bab Jdid, quartier populaire de la médina de Tunis, Rachid Ghannouchi, septuagénaire d'allure plutôt frêle, se lance au contact des habitants dans l'espoir de devenir député de la capitale.

Trois semaines après un scrutin présidentiel marqué par un fort rejet des partis de gouvernement, dont Ennahdha, l'accueil n'est guère plus chaleureux dans la rue.

Celui que ses partisans appellent respectueusement le "cheikh" essuie les quolibets.

"On a voté pour eux mais aujourd'hui, on est au pain et à l'eau, chien de Ghannouchi!", lance une habitante, Fatima Kassraoui.

"Nos fils n'ont trouvé ni travail ni espoir ici, ils sont partis clandestinement (vers l'Europe, NLDR) et ils ont disparu, c'est à cause de lui", accuse cette quinquagénaire voilée.

"Islam moderne" 

Les Tunisiens reprochent à la classe politique de ne pas avoir relancé l'économie, ni fait reculer le chômage et allégé le fardeau de l'inflation, engluant le pays dans la crise sociale.

"Ce sont des voleurs, on a fait la révolution, et ils se sont remplis le ventre, mais nous n'avons rien vu, sauf la misère", s'énerve un autre habitant, tandis qu'un voisin tente de le convaincre. "Ennahdha, c'est l'islam moderne, et ils ont été en prison pour leurs idées".

Les accusation de collusion passée avec des groupes jihadistes ont également ressurgi durant la campagne, d'autant que M. Ghannouchi se présente contre Basma Khalfaoui, la veuve de l'opposant de gauche Chokri Belaïd assassiné en 2013 par un extrémiste. La justice n'a toujours pas fait la lumière sur cette affaire, dans laquelle Ennahdha est accusé de complicité par ses détracteurs --dont Mme Khalfaoui.

"On est habitués à faire du porte-à-porte, ce mécontentement c'est la démocratie", tempère Imed Hammami, ex-ministre et actuel directeur de campagne de M. Ghannouchi, lors d'une pause dans un local aux couleurs d'Ennahdha, à l'écart de la foule. 

Mais, "vu les résultats de la présidentielle, nous avons décidé de réduire les gros meetings et d'être plus modestes pour montrer notre proximité", en tentant notamment de promouvoir de nouvelles têtes, affirme-t-il à l'AFP.

Il était néanmoins trop tard pour changer les listes, relève-t-il.

- Contesté en interne -

M. Ghannouchi, qui assure également les meetings d'Ennahdha dans les grandes villes du pays, se présente au moment où sa position est contestée au sein du parti. La stratégie de s'allier avec les partis centristes au pouvoir, critiquée par la base, a miné la crédibilité d'Ennahdha en tant que force de changement.

S'il était impossible jusqu'il y a peu pour des partisans du parti de critiquer le "cheikh" publiquement, son ancien directeur de cabinet Zoubair Chehoudi a démissionné mi-septembre en appelant clairement Rached Ghannouchi à "rester chez lui ou à la mosquée".

Il a dénoncé l'intervention du chef du parti et de son gendre, Rafik Abdelsallem, dans la nomination des tête de listes, leur reprochant d'avoir exclu les voix divergentes, notamment parmi les femmes et les jeunes.

M. "Ghannouchi rêve de maîtriser son mouvement, la députation lui apporterait une forme de légitimité", avance l'éditorialiste Zied Krichen.

L'historien Slaheddine Jourchi évoque une "situation très délicate" pour le chef d'Ennahdha, estimant que son ambition de présider le Parlement pourrait être compromise --certains sondages créditent le parti de moins de 40 sièges sur 217, contre 68 actuellement.

Affirmant qu'une nouvelle alliance avec les partis au pouvoir mènerait à "la division et l'effondrement du parti", il estime qu'Ennahdha "n'a pas d'autre choix que d'aller vers l'opposition".

Reste à savoir ce que deviendrait alors son leader historique, qui ne peut plus briguer de nouveau mandat à la tête du parti.

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