I - Le mea culpa de Abdejlil Lahjomri… Les nouvelles heures françaises du Royaume

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LE MAROC DES HEURES FRANCAISES est l’œuvre clé de Abdejlil Lahjomri, aujourd’hui Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume. Publiée en 1968 sous le titre « L’image du Maroc dans la littérature française de Loti à Montherlant », elle est rééditée en 1999, « revue et corrigée » à la lumière du temps qui passe. Il en a fait l’essentiel de sa quête dans la littérature en général et française en particulier, alors qu’aux lendemains de l’indépendance le préoccupait la place du Maroc dans cette littérature, et aussi son devenir. Dès le début, l’amplitude de la recherche le mène dans les interstices des images que se renvoient les peuples, selon qu’ils soient dominants ou dominés. Mission difficile et complexe, mais pas impossible. C’est un travail de « désinfection » que Abdejlil Lahjomri a entrepris, s’étonnant de « l’absence totale de réflexion », dans la décennie soixante du siècle dernier qui correspond à « une période de la décolonisation », sur « le rôle de la littérature dans l’élaboration des mythes et des images des pays récemment libérés et qui furent l’objet d’une domination politique, économique et culturelle. »

Cette recherche suivie d’une postface de « désinfection » qui s’étend sur 20 ans et à près de 500 pages, c’est dans sa mobilité temporelle qu’il la conçoit. Parce que dans son esprit ce n’est là qu’un prélude à la découverte permanente de l’Autre, qu’il poursuit actuellement qu’il est secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume en travaillant à la mise en place, avec le Collège de France, d’une chaire dédiée au sujet.

La décantation dont seul l’écoulement des jours et des ans est capable étant maintenant chose faite, estampant chemin faisant toute rancœur, Abdejlil Lahjomri considère qu’il « est temps de reconnaître que les affirmations, les certitudes, les convictions qui ont pu constituer la trame essentielle de [son ouvrage] ont été partiellement démenties, infirmées » par le cours du temps.

« Une des affirmations démentie par l’évolution littéraire relative au Maroc, est qu’il ne risquait plus d’y avoir ni rééditions, ni nouvelles publications qui choisiraient le Maroc comme thème littéraire, et que la fin de la colonisation verrait la fin de la présence du Maroc dans la littérature française ». Ce constat, il prend à cœur de le démontrer et c’est dans le cheminement de cette démonstration autocritique que l’on rencontre rarement chez un chercheur que le Quid vous invite à naviguer.

Dans la première partie de ce Mea-culpa, Abdejlil Lahjomri montre « l’évolution de la présence du Maroc dans l’actualité littéraire française […] qui, dès ses premières apparitions, hantait les personnages et leurs créateurs comme un pays de légende, de rêves inquiétant ou bienfaisants, [et] se retrouve aussi dans des écrits, à l’instar d’Un Aller-simple, comme légende, rêve ou cauchemar » :

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èLe critique littéraire peut, pour de multiples raisons, se tromper. Les chapitres qui précèdent reflètent autant les errements d’une littérature équivoque, que ceux de l’analyste qui a choisi de les cerner Maintenant que le passions ont appris à s’apaiser, que l’on accepte de voir avec curiosité le noyau de vérité que ces écrits recèlent, une fois débarrassés de leurs oripeaux idéologiques, maintenant que la période coloniale s’intègre dans le passé de la conscience historique marocaine, comme un élément constitutif du présent et de l’avenir, maintenant qu’une appropriation objective du regard de l’Autre estompe toute rancœur, il est temps de reconnaître que les affirmations, et les certitudes, le convictions qui ont pu constituer la trame essentielle des chapitres précédents ont été partiellement démenties, infirmées au cours de ces vingt dernières années. Ce démenti invite le lecteur, si engagé soit-il dans la défense et l’illustration de sa culture originelle, à plus d’humilité et de sérénité devant l’appréciation de tout regard étranger.

Une des affirmations erronées des pages qui précédent, démentie par l’évolution littéraire relative au Maroc, est qu’il ne risquait plus d’y avoir ni rééditions, ni nouvelles publications qui choisiraient le Maroc comme thème littéraire, et que la fin de la colonisation verrait la fin de la présence du Maroc dans la littérature française.

C’était sans compter que ce pays, de par son originalité, ne pouvait laisser indifférent le regard de l’Autre, qui, pendant un moment suspendu, ne s’était en réalité jamais détourné.

De plus en plus, en effet, des rééditions offrent à la curiosité d’un lecteur particulièrement attentif quelques-unes des œuvres majeures précédemment analysées. Dans Au Maroc de Pierre Loti, dans Les confidences d’une fille de la nuit de François Bonjean, il y a une compilation qui permet de revisiter plusieurs de ces textes : Maroc, villes impériales, présenté par Guy Dugas (1996), plus récemment, un opuscule illustré sur Marrakech, années 20 (1997), de Michel Berthaut, ou l’anthologie de Boubker El-Kouch, Regarde, voici Tanger (1997).  

Le lecteur d’aujourd’hui semble aborder ces rééditions avec plus d’ouverture qu’il y a deux décennies, amusé qu’il est par leur naïveté déconcertante, y débusquant souvent quelques fragments d’une réalité qu’il n’a pas connue et qui, maintenant lui semblent vrais ou vraisemblables.

Ces rééditions, conjuguées à tout un chapelet de nouvelles publications, parallèlement aux écrits d’auteurs maghrébins de langue française, font qu’à aucun moment le Maroc n’a disparu du paysage littéraire français, au point que, parfois, il est permis de se demande si c’est le Maroc, qui, par sa présence, habite quelque part la littérature française, ou bien si c’est la langue française qui habite le Maroc et l’enveloppe avec un droit de cité, s’y réactualisant comme source d’inspiration poétique et romanesque.

Le Maroc, comme émotion esthétique, est une belle revanche sur ceux qui en ont fait ou ont voulu en faire un objet de laboratoire.   Marrakech-Médine de Claude Ollier (1979), Danses au Maghreb d’une rive à l’autre de Viviane Le Lièvre 1987), Tanger de Daniel Rondeau (1987), la Chute de Tanger de Thierry de Beaucé, la Rivière aux grenades (1982) et le Maghreb à l’ombre de ses mains de Michel Jobert (1985), le Roman du Sahara de Marcel Langel (1991), les Riches heures de Tanger de Dominique Pons (1990), Les Sept printemps de Fès d’Edouard Secret (1990), Mogador, mon amour de Marcel Crépin, L’Olivier bleu de Thérèse  Fournier (1996), Tanger, oranges amères de Sylvie Fol (1996), Perla de Mogador de Nine Moati (1997), Désert (1995) de J.M.G. Le Clézio mais, aussi, du même auteur, Poisson d’or (1997) et, récemment Gens des nuages.

Si l’apparition du personnage de Nathalie, originaire du Maroc dans le Goncourt 97, le Chasseur zéro de Pascale Roze déclenche sans conteste le récit et provoque cette remontée dans la recherche de l’identité, et, plus tard, la guérison de Laure Carlson, ne peut être signalée que pour son aspect anecdotique, la présence du Maroc dans le Goncourt 95, un Aller-simple de Didier Van Cauwelaert, constitue un élément essentiel de la structure du roman, et, à l’instar des deux protagonistes principaux Aziz Et Jean-Pierre Schneider, s’offre comme un acteur privilégié dans le drame qui se noue et s’y dénoue.

Curieuse évolution de la présence du Maroc dans l’actualité littéraire française.  Ce pays qui, dès ses premières apparitions, hantait les personnages et leurs créateurs comme un pays de légende, de rêves inquiétant ou bienfaisants, se retrouve aussi dans des écrits, à l’instar d’Un Aller-simple, comme légende, rêve ou cauchemar. (A suivre)