Ahmed Boukous : ''Khatibi, le penseur de la différence''

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L’Académie du Royaume du Maroc célèbre le romancier marocain Abdelkébir Khatibi du 20 au 22 mars courant à travers le colloque « Abdelkébir Khatibi, quels héritages ? ». A l’instar des deux premières journées du colloque qui se poursuit jusqu'à ce vendredi 22 mars, le programme de cette journée prévoit plusieurs débats riches partagés par les chercheurs et écrivains autour de la personnalité de Abdlkébir Khatibi.

Le programme de cette journée comprend deux séances : l'une dédié à l’histoire et la modernité qui sera modéré par M. Nao Sawada. Ilest Professeur à l’Université Rikkyo (Tokyo) et l'autre dédiée à l'image, trace et inscription qui sera modérée par Mme Martine Mathieu-Job.

Docteur en philosophie à l’Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne. Ses domaines de recherche concernent la littérature et la philosophie. Il a notamment publié en japonais Jean-Luc Nancy: Étude de partage (2013) et L ’Appel à l’aventure : lecture éthique de Sartre (2002). Il a traduit Les Mots Les Chemins de la liberté de Jean-Paul Sartre, Maghreb pluriel d’Abdelkébir Khatibi, Moha le fou, Moha le sage de Tahar Ben Jelloun, ainsi que Le livre de l’intranquillité de Fernando Pessoa.

La séance du vendredi 22 mars connaitra la participation des intervenants :

-Fethi Benslama, Psychanalyste, professeur de psychopathologie clinique. Université Paris Diderot.« Raison et déraison en islam avec Khatibi ».Fethi Benslama est Psychanalyste, Professeur de psychopathologie clinique, directeur de l’Institut Humanités, Sciences et Sociétés de l’Université Paris Diderot, membre de l’Académie Tunisienne.

Ses travaux portent sur la clinique psychanalytique, sur la subjectivité et les processus de radicalisation, sur l’islam et la modernité dont notamment les essais suivants : › Le jihadisme des femmes, pourquoi ont-elles choisi DAECH, en coll. Avec Farhad Khosrokhavar, Seuil, 2017

› Un furieux désir de sacrifice, le sur musulman, 2016.

› L’idéal et la cruauté, subjectivité et politique de la radicalisation, 2015.

› La guerre des subjectivités  en Islam, 2014.

Fethi Benslama «  Raison et déraison en islam avec Khatibi »

 «Raison et déraison en islam » est le titre que Khatibi a proposé en 1986 pour le programmeau Collège International de philosophie naissant, que j’ai animé avec lui pendant plusieurs années. Je reprends ce titre pour approcher ce que Khatibi a mis en œuvre dans ses travaux, correspondantà ce programme ».

-Nabil El Jabbar, Professeur de littérature francophone. Université Ibn Tofaïl, Kénitra.« Le pari du poète, hommage à Abdelkébir Khatibi»

Nabil El Jabbar est Professeur de littérature francophone à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Université Ibn Tofail, Kénitra. Il est l’auteur d’un ouvrage sur Khatibi, L’Œuvre romanesque d’Abdelkébir Khatibi : enjeux poétiques et identitaires, (2014). Il a également publié de nombreux articles sur la représentation de l’Histoire et de la mémoire dans la littérature maghrébine d’expression française.

 Nabil El Jabbar : « Le pari du poète, hommage à Khatibi »

« Romancier, poète et essayiste de renom, Abdelkébir Khatibi est aussi grand lecteur et commentateur de poésie. Il a le don d’en pénétrer l’essence et le mystère avec art et subtilité. Le poète de l’aimance nous en donne une belle démonstration dans Quatuor poétique où il revisite quelques lieux essentiels de la littérature occidentale. En voyageur professionnel, il s’invite dans l’univers de Rilke, Goethe, Ekelöf et Lundkvist. Il décrit et commente leur œuvre poétique et suggère à partir de leur tropisme d’Orient, des croisements et des connivences inattendus. Il remonte le fil de leur généalogie textuelle dans une chaîne littéraire libérée des frontières géographiques et culturelles. Et de cet échange avec ces figures de l’étranger, naît le lien qui le rapproche, lui l’écrivain marocain de langue française, de son origine mythique et de sa différence active ».

-Ahmed Boukous, Universitaire, enseignant de linguistique à l’Université Mohammed V, Rabat. « Abdelkébir Khatibi, penseur de la différence ».

Ahmed Boukous est Professeur d’Université et Recteur de l’Institut Royal de la Culture Amazighe depuis 2003. Ses recherches portent sur la situation linguistique au Maroc, la politique linguistique et la diversité culturelle. Il est l’auteur, notamment, de Phonologie de l’Amazighe (2009), Rhapsodie de Tanit la captive, ( roman 2017), pour lequel il a obtenu le Prix Grand Atlas (2018), et des Essais sur les enjeux culturels, (2019).

Ahmed Boukous : « Khatibi, le penseur de la différence »

«La liberté engagée» que Khatibi s’est arrogée a fait de lui une figure emblématique de la pensée de la différence au Maroc. Ses analyses pertinentes, critiques et lucides ont introduit dans le champ de la pensée marocaine un paradigme nouveau dans la période postindépendance marquée par la double dominance symbolique des paradigmes du «traditionalisme» et du «modernisme». Face à la volonté de fermer le champ symbolique à l’influence étrangère jugée pernicieuse, d’une part, et face à la «volonté impériale» qui vise à «extraverser» ce champ, d’autre part, émerge un discours qui prône la paix culturelle par la réception positive et réciproque de la culture de l’Autre. A la suite de Khatibi, nous appelons «interculturalité» le discours qui tente de conceptualiser l’interaction des langues et des cultures et l’échange interculturel dans la perspective de l’édification d’une culture universelle en partage. La temporalité du monde d’aujourd’hui, singulièrement perturbé, est marquée par l’exacerbation de la contradiction entre «l’identité» et «la différence». Et du coup, le discours interculturaliste peut être interprété soit comme un discours naïf, innocent, soit comme un discours pervers ou encore comme un discours porteur d’une utopie, d’un idéalisme humaniste dans le meilleur sens du mot. C’est dire que «l’interculturalisme» est un projet qui s’inscrit dans une utopie humaniste qui peut constituer une alternative face, à la fois, à l’exercice de la dominance impériale multiforme et face au déploiement des divers intégrismes (régulier et séculier), de la pureté ethnique et du nationalisme. C’est ainsi que Khatibi a tenté de briser la bipolarité en développant une modalité discursive postmoderne qui a eu pour effet l’émergence de voix/voies novatrices ».

-Dr Jalil Bennani, Psychiatre et psychanalyste, Rabat. « La rencontre de Khatibi avec la psychanalyse »

Jalil Bennani est Psychiatre et psychanalyste à Rabat. Il est directeur de recherches au CRPMS de l’Université Paris Diderot-Paris 7 et auteur de plusieurs ouvrages, notamment : Le Corps suspect (1980), Psychanalyse en terre d’islam (2015), Traces et paroles (avec Mohammed Kacimi, 2008), Un psy dans la cité (2013/2014, prix Grand Atlas 2013), Un si long chemin – Paroles de réfugiés au Maroc, 2016-2017. Il a reçu, en 2002, le Prix Sigmund Freud de la ville de Vienne pour l’ensemble de son œuvre.

 Jalil Bennani : « La rencontre de Khatibi avec la psychanalyse »

« Si Khatibi s’est engagé dans une «psychanalyse ponctuelle», comme il a défini cette expérience personnelle, il fut sans doute, parmi les écrivains maghrébins, celui qui a été le plus durablement influencé par la psychanalyse. En témoignent nombre de ses écrits, ses dialogues et sa participation active à des colloques de psychanalyse. Ses romans, ses réflexions sur le bilinguisme et la bilangue, ses écrits sur la calligraphie et l’art ouvrent de larges perspectives pour la recherche. Il a interrogé les traditions, les images, les traces, les signes enfouis au plus profond de nous-mêmes. Son écriture implique le corps et crée un autre frayage pour la mémoire, les émotions, les non-dits. Elle dévoile des sens cachés, des contenus inconscients. Entre littérature et psychanalyse, entre écrit et parole, la démarche de Khatibi dévoile une créativité nouvelle et une rencontre féconde ».

La séance 4 "Image, trace et inscription" s'ouvre avec l'intervention de Nao Sawada dont le thème est "Khatibi et la culture japonaise". 

Nao Sawada :« Khatibi et la culture japonaise ».

«  Abdelkébir Khatibi, proche ami de l’auteur de l’Empire des signes, séduit à son tour par le Japon, nous a laissé quelques textes sur le Japon et sa culture, et tout particulièrement sur Junichiro Tanizaki, écrivain japonais de première importance. Une lecture attentive de ces articles nous permettra de comprendre ce que l’écrivain voulait découvrir dans la culture d’Extrême- Orient. Nous repérerons plusieurs éléments qui lient Khatibi à la culture japonaise à travers l’auteur de L’Eloge de l’ombre : l’exotisme, l’érotisme et l’« exophonie». Nous nous proposons donc d’examiner le portrait de la culture japonaise brossé par Khatibi au prisme de Tanizaki, en suivant trois axes : 1. exotisme, 2. corps et langues, 3. Eros et Thanatos, même si ces trois éléments, loin d’être séparés, sont mêlés et entremêlés aussi bien chez Tanizaki que chez Khatibi ».

L'intervention de Nao Sawada sera suivie par la présentation de M. René de Ceccatty. 

René de Ceccatty" Lerapport de Khatibi avec le Japon"

"Abdelkébir Khatibi propose dans Ombres japonaises une lecture d’Eloge de l’ombre de Junichirô Tanizaki. Je me propose de lire à mon tour ce texte et de le commenter à la lumière de la poésie japonaise et de certains thèmes abordés par Tanizaki, dans le reste de son œuvre, et repris par Khatibi. Que devient l’idée même de Japon lorsqu’un écrivain japonais tente de la réduire à quelques concepts censés opposer des formes de pensée orientale et occidentale et lorsqu’un écrivain d’une autre culture la transfigure à son tour ? Sôseki, un quart de siècle avant Tanizaki, dans Oreiller d’herbes, avait tenté, après un séjour en Occident (en Ecosse notamment), de définir l’approche orientale du sentiment poétique, à travers l’expérience de la peinture. Dans quelle mesure est-il possible de tenir un discours général sur l’esthétique et le mode de vie japonais, indépendamment des époques, des parcours individuels des artistes et des conditions spécifiques de leur existence ? Et je tenterai de souligner les dangers d’un impressionnisme conceptualisé en termes généraux, en esquissant une confrontation avec L’Empire des signes de Roland Barthes"

-Raja Ben Slama, Professeure de littérature et de civilisation arabes. Université Manouba. « La réception de Khatibi en Tunisie et dans le monde arabe ».

Raja Ben Slama est Professeure de littérature et de civilisation arabes à l’Université Manouba. Elle est aussi psychanalyste et rédactrice en chef de la revue arabophone de pensée critique alawan.org. Elle est directrice générale de la Bibliothèque nationale de Tunisie depuis 2015.

Raja Ben Slama : « La place de Khatibi dans la culture arabe »

« Notre génération d’étudiants tunisiens des années 1980 et 1990 a très peu connu Khatibi. D’autres auteurs maghrébins nés comme lui dans les années 1930, étaient plus audibles : Mohamed Abed Jabiri (1935-2010), Abdallah Laroui (né en 1933), Hichem Djaiet (né en 1935), etc. Une bibliographie comparée le montre bien. Quels sont les mécanismes de réception, de traduction et de consécration des écrivains maghrébins de la génération de Khatibi ? En quoi Khatibi est-il si étrange ? Quels sont les ressorts de sa poïétique et de son idiome ? Cet « horizontain », cet « étranger professionnel » est-il devenu plus audible dans les différentes sphères de la culture arabe actuelle ? »

-Mustapha Bencheikh, Professeur de littérature française et francophone. « Le chemin d’un résistant pacifique ». Mustapha Bencheikh est Professeur de littérature francophone et comparée, ancien directeur du laboratoire des études pluridisciplinaires de l’Université Ibn Tofaïl, ancien doyen des facultés des lettres de Béni Mellal et de Meknès, et ancien directeur du pôle Langues, cultures et civilisation de l’Université internationale de Rabat. Il est l’auteur de l’Université à l’épreuve, Okad 2004, a dirigé plusieurs ouvrages collectifs et a présenté les œuvres de Driss Chraïbi et de Abdelkébir Khatibi dans l’Encyclopédia Universalis.

Mustapha Bencheikh : « Le chemin d’un résistant pacifique »

«  Le plus séduisant dans l’œuvre de Abdelkébir Khatibi est sans doute cette aptitude à capter chez les grands auteurs les traces de leurs singularités respectives pour mieux construire la sienne. Ce travail, l’écrivain le doit à ses affinités pensantes, qu’il collecte dans ses nombreuses lectures, s’y réfère souvent, les habitants avec de nouvelles formules et une nouvelle langue. C’est ainsi que sa critique est également singulière, particulièrement celle des dernières décennies de sa vie. En ce sens, Khatibi ouvre la voie d’un chemin à suivre, «le chemin d’un résistant pacifique».