Qui est barbare ? Qui est civilisé ?

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Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume, Abdejlil Lahjomri organise et anime depuis que le Roi l’y a nommé, cycle après cycle, un courant d’échange fructueux d’idées et de pensées embrassant le continental aussi bien que l’international. En peu de temps il a redonné vie à une institution qu’était tombée dans la léthargie qui conduit immanquablement à l’oubli. Dans ce texte, il présente le thème de la conférence du Professeur Henri Laurent, mais lance dans son dernier paragraphe un coup de gueule. Ça ne lui arrive que très rarement, mais ce brillant fin intellectuel qui ne conçoit la réflexion qu’en dialectique avec l’action n’aime pas qu’on cherche à le réduire au silence    

Le thème choisi par le Professeur Henri Laurens, membre du Collège de France  pour sa conférence à l’Académie du Royaume « Barbares et civilisation : un parcours historique » est non seulement un thème d’actualité mais un thème, dont la particularité, est d’être présent des origines à nos jours.  T. Todorov rappelle dans sa passionnante étude « La peur des Barbares », « Au-delà du choc des civilisations » que « la Barbarie résulte d’un trait de l’être humain dont il semble illusoire d’espérer qu’il soit un jour définitivement éliminé ».  S’il est illusoire de voir un jour la civilisation éliminer et éradiquer la barbarie, et que l’on est toujours le barbare de l’autre, c’est que l’altérité est exclusion et l’identité une aspiration instable et changeante, que « le côté inhumain fait partie de l’humanité » comme le dit Romain  Gary cité par T. Todorov, qu’il a existé et existera toujours dans la longue histoire des hommes ceux qui nient et nieront toujours l’humanité des autres.

Dans le titre proposé, civilisation est au singulier, parce qu’au pluriel il n’a pas le même sens.  Il a plutôt le sens de cultures et que le pluriel évoque le relativisme des valeurs et que c’est ce relativisme qui a fait dire à Montaigne que le cannibale n’est pas plus sauvage que je ne le suis.  T. Todorov écrit justement en utilisant cette fois-ci le singulier de civilisation : « on ne peut avancer dans la voie de la civilisation sans avoir reconnu au préalable la pluralité des cultures », la tentation est grande de lui faire dire la pluralité des civilisations.  

Pour J.J. Rousseau le bien et le mal coulent de la même source et que cette source est à la fois générosité et cruauté.  C’est ce qui m’autorise à évoquer une œuvre significative, divertissante et curieuse de Bernardin de St Pierre, traitant du mythe « du bon sauvage » en digne disciple  de l’auteur de « l’inégalité parmi les hommes ».  Cette pièce de théâtre s’intitule « Empsael et Zoraide » ou « les blancs esclaves des noirs à Maroc ». Bien évidemment Bernardin de St Pierre n’est jamais venu au Maroc. Il y situe son récit. Ce qui nous intéresse ici plus que le mythe du « bon sauvage », c’est l’inversion que contiennent le titre et le sujet.  Ce ne sont plus les noirs qui sont esclaves des blancs mais les blancs qui le sont des noirs et dans cette inversion réside tout le relativisme des valeurs, des cultures, des civilisations, et des croyances, cher à un penseur que je me plais à toujours citer, Paul Hazard, l’auteur d’une œuvre magistrale « La crise de la conscience européenne ».

Dans cette inversion le noir sauvage est « bon », et le noir barbare « hospitalier », comme croyait l’être le blanc dispensateur de civilisation quant tout au long d’une histoire pas si lointaine, il ne manquait ni de cruauté ni de barbarie, quand il pensait répandre la civilisation.

Identité est le nom de quoi, alors, quand expression évoquée partout, à tout moment, et de tout temps, elle est impuissante à  transcender le paradoxe qui lie la barbarie à la civilisation.

De nos jours, le barbare est celui qui ne reconnait pas la particularité de l’Autre, son identité, ses valeurs.  Un peu comme ce Professeur qui curieusement s’est avisé, un matin bas et lourd, de m’adresser une injonction, m’interdisant d’écrire, et jusqu’à la liberté de penser.

 

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