L'ère de rien

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Avant, on les appelait “leaders d’opinion”, aujourd’hui, ils sont nommés “influenceurs”. Ce n’est pas qu’un glissement sémantique qui caractérise cette mutation. C’est plus que cela, c’est presque une révolution copernicienne ! 

Un leader d’opinion du temps où la galaxie Gutenberg dominait le monde était identifié par plusieurs critères qui conféraient de la légitimité à sa posture. Son instruction et sa culture donnaient du panache à ses prises de position. Son style était reconnaissable entre mille. Les justes causes pour lesquelles il se mobilisait étaient justement justes. Il était intraitable sur les questions éthiques. Et surtout, il avait le sens du bien commun et de l’intérêt général. Son influence coulait donc de source.

Les influenceurs d’aujourd’hui ne sont pas de la même argile. Avec l’avènement du numérique, tout puissant, et, parfois, la règle de l’anonymat, les seuls critères qui prévalent pour les définir, ce sont les clics. Tu vaux ce que valent les quantités de clics que tu engranges. Les clics se monétisant, par ailleurs, tu peux même vivre de cette activité. Point à la ligne.

Quels sont les sujets, les thématiques, les engagements qui marquent cette supposée activité ? La pertinence de ces éléments est extralinguistique, c’est-à-dire que ce ne sont pas les mots, les idées ou les concepts qui la déterminent. Ce sont les statistiques qui règlent les choses et, plus précisément, le nombre de clics ou le poids de l’audience. Plus c’est lourd, plus tu as raison, pour faire lapidaire.

C’est assurément un système qui ne valorise pas ce qu’il y a de meilleur chez l’être humain: son esprit. Pour faire des clics, et peser en tant qu’influenceur, il faut parler aux émotions, aux instincts, aux réflexes, aux peurs, aux angoisses… bref, à tout sauf à ce qui peut sublimer un esprit de manière consciente, construite, élaborée, utile ou humaniste. Beaucoup de colère, beaucoup de haine, beaucoup de souffrance et beaucoup de méchanceté sont dans ces réseaux peu sociaux. Tout cela, aujourd’hui, est une réalité. On ne peut pas la changer du jour au lendemain. Et cela représente une tendance — comme on dit dans le langage numérique — lourde et universelle et qui va marquer les sociétés pour les décennies à venir.

Des gens qui n’ont pas la vocation réelle, la légitimité suffisante, la conscience sociale utile ou la formation nécessaire continueront à “vociférer” par tous moyens, à “influencer” des générations, notamment de jeunes, sans frein ni retenue. Ça restera comme cela tant que l’on n’aura pas mis en place un système éducatif performant qui prémunit contre cette influence néfaste.