Un assassinat en cliché de l’année

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La 59ème édition du World Press Photo a choisi de récompenser aussi et surtout la haine à travers une photo qui immortalise cette même haine aveugle

Le premier prix décerné cette année par le World Press Photo, le concours de photojournalisme le plus important au monde, fait polémique. Et à raison. Les membres du jury ont en effet décidé le 13 février dernier -et ils n’ont pas été unanimes à le faire- d’attribuer le premier prix de cette compétition mondiale que tous les photographes de presse rêvent de remporter, à un photographe turc pour sa photo de l’assassin de l’ambassadeur russe en Turquie. On s’en souvient, la photo avait fait le tour des réseaux sociaux et a été cliquée plus de 18 millions de fois. On y voit le tueur du diplomate russe doigt en l’air, un pistolet à la main et le visage déformé par une haine assassine et fier de l’avoir fait. Sur la même photo, à quelques centimètres du terroriste, on voit également l’ambassadeur russe, gisant à terre et probablement mort après avoir reçu les 9 balles tirés par l’assassin. C’était le 19 décembre dernier. C’est cette photo, sur les 80 000 prises par les 5000 photographes issus de 125 pays qui ont concouru, que le World Press Photo a récompensé et réservé les honneurs du premier prix.

Les juges ont, expliquent-ils, choisi de récompenser le courage d’un photographe qui, selon les déclarations de celui  là même qui a choisi d’immortaliser la mort, « a fait son travail », car il ne « pouvait pas partir pour sauver sa peau ».

Au-delà du courage, car il faut bien en avoir pour continuer de faire crépiter son appareil pour photographier un meurtre en direct, l’écho donné à un acte mortifère et terroriste pose un véritable problème de conscience et d’éthique. Les membres du jury du World Press Photo ont sûrement interrogé leur conscience, sondé la morale, interpellé leur humanité avant de décerner ce premier prix à ce photographe de l’Associated Press. Dans leurs délibérations –il faut rappeler que ce prix n’a pas fait l’unanimité au sein du jury dont le président a pris ses distances en déclarant avoir voté contre cette photographie qui montre côte à côte un meurtrier et sa victime-  ils se sont très probablement posé de question de savoir si en primant le courage d’un photographe de presse, ils ne donnent pas non plus une prime à la haine, à la violence aveugle, au terrorisme. Le jury a beau jeu de reconnaître que le choix était difficile. La 59ème édition du World Press Photo a choisi de récompenser aussi et surtout la haine à travers une photo qui immortalise cette même haine aveugle. On n’ira pas jusqu’à écrire que ceux et celles qui ont décidé de primer cette photo parmi les 80 000 en compétition ont du sang sur les mains. Mais le  cliché de l’année  laisse un goût amer, désagréable et même nauséabond. Une photo de presse qui, au final, et pour reprendre les termes du président du jury du world press photo n’a le pouvoir de rendre service à l’humanité, ne provoque pas d’empathie et ne produit pas le changement…