La leçon

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L’émotion est un puissant moteur des réactions humaines les plus diverses et les plus imprévisibles et les évènements qui ont suivi le décès bête et tragique du poissonnier d’Al Hoceima, Mohcine Fikri, ne pouvaient qu’obéir à cette règle.

J’ai lu des éditoriaux aux tournures larmoyantes sur la souffrance humaine et les damnés de la terre, qui ne se justifiaient pas si ce n’est par l’envie de jeter de l’huile sur le feu.

Mais l’onde de choc qui a traversé le pays avait de quoi inquiéter et le pire aurait pu survenir n’eut été la célérité de l’intervention royale dans cette affaire. Elle a permis de circonscrire le feu avant qu’il ne se transforme en incendie.

Ce qu’il faut éviter c’est d’aborder ce qui s’est passé à Al Hoceima comme un fait isolé et l’appréhender pour ce qu’il est : Le symptôme d’un état d’esprit et l’expression d’un bouillonnement qu’il est impératif d’interroger en profondeur.      

Dans pareils cas, il y a toujours une part d’absurde dans leur construction. Celle qui m’interpelle ici est d’un truisme ahurissant : Le défunt Mohcine n’aurait pu acquérir au port un poisson interdit à la pêche s’il n’y avait pas sur les lieux un grossiste agissant au grand jour. Or de celui-ci, on ne parle point, parce qu’il est le premier par lequel on peut détricoter tout un maillage.

En présence de cette lapalissade, on ne peut pas parler de dysfonctionnement, mais bien d’autre chose qui nous place à mille lieues du Nouveau concept de l’autorité proclamé par le Souverain en 1999. Il consiste « à assurer la protection des libertés, à préserver les droits, à veiller à l'accomplissement des devoirs et à réunir les conditions nécessaires qu'exige l'État de droit […] fondé sur la protection des services publics, des affaires locales, des libertés individuelles et collectives, sur la préservation de la sécurité et de la stabilité, la gestion du fait local et le maintien de la paix sociale ».

Tout se passe aujourd’hui comme si les changements qu’ont connus le Maroc et les Marocains sous l’effet de la conjonction de nombreux facteurs endogènes et exogènes, ne sont pas pris en compte par la gouvernance territoriale. On en sort avec la conviction qu’elle n’arrive pas, en définitive, à bien intégrer les effets induits par le Nouveau concept de l’autorité, qui ont connu un coup d’accélérateur avec le mouvement du 20 février.

Il est vrai qu’après le relâchement de l’autorité à la suite du pseudo printemps arabe, il fallait reprendre la main. Mais cela ne signifiait nullement un retour pur et simple aux vieilles pratiques et méthodes.

Or, la gestion de la campagne électorale ou le dramatique évènement d’Al Hoceima qui n’est que la culminance d’un comportement globale qui n’épargne aucun service et dont fréquemment les auteurs sont ceux-là même qui en sont souvent les victimes, trahit bien plus qu’une césure, une déconnection.  

C’est par hasard et sans relation avec le drame d’Al Hoceima, mais bel bien en rapport avec les élections et les élus, qu’un amis m’a envoyé cette réflexion qui s’applique parfaitement à ce que nous vivons : « Le discours Royal prononcé au parlement, m’écrit-il, est venu illustrer avec force cette réalité qui tire notre pays vers le bas, sans perspective de voir un ‘’choc salvateur’’ qui viendrait redresser la situation. D’où et par qui viendrait, d’ailleurs, ce choc, le discours de Sa Majesté ayant balayé tout le spectre des ‘‘détenteurs du pouvoir’’, du terrain jusqu’au niveau de l’administration centrale et son ‘’dépositaire’’ le gouvernement. Le rappel par Sa Majesté de Sa lettre au Premier Ministre en Janvier 2002 pour l’encouragement et la facilitation des investissements, avec la création des CRI est la preuve, s’il en fallait une, de l’incurie et l’inefficacité de la ‘’chaîne de commandement’’ de notre administration. L’expression arabe de “la nahi wa al mountahi” serait à cet égard appropriée pour définir la situation qui prévaut chez nous !! »

Contrairement à ce que l’on peut croire, ce n’est pas un appel au désarmement, mais un cri du cœur et de la raison. Une invitation à une introspection sans fard et sans faux-fuyants pour comprendre pourquoi malgré nos avancées, on a l’impression de faire du sur place, forcément synonyme de recul et de régression.