C’était Hassan II

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De Gaulle n’était pas le seul à craindre, ou à espérer, une disparition prématurée de l’héritier de Mohammed V. Les dangers et les menaces planaient de partout sur Hassan II

Le 23 juillet 1999, Hassan II décédait. C’est en revisitant quelques chapitres de C’était de Gaulle, d’Alain Peyrefitte qui fut longtemps ministre du général fondateur de la cinquième république française et visiblement un peu son confident, que je me suis rappelé ce moment où chaque Marocain en âge de comprendre se rappelle où il était. Dans cet ouvrage édité chez Fayard on peut lire que juste après la visite de Hassan II à Paris en juillet 1963, De Gaulle se laisse aller devant le conseil des ministres à ce commentaire sur le souverain marocain bien  loin du jugement que lui prête Gilles Perrault dans Notre ami le roi : « La personnalité du roi s’affirme dans la bonne direction, dit de Gaulle. Il a fait des progrès. Il a trente cinq ans. Quand il en aura quarante cinq, ce sera un monsieur. Il n’y a pas de raisons qu’il n’y arrive pas. » Pour ceux qui ne l’auront pas compris, Alain Peyrefitte explicite le propos du général : « Chacun comprend, écrit-il, qu’il y a, au contraire, quelques raisons que [Hassan II] n’arrive pas à cet âge, et que, s’il y arrive, il aurait montré qu’il était « un monsieur » en effet… » Faut-il le rappeler, le défunt roi a dépassé de loin le seuil que lui a fixé de Gaulle, 70 ans.

De Gaulle n’était pas le seul à craindre, ou à espérer, une disparition prématurée de l’héritier de Mohammed V. Les dangers et les menaces planaient de partout sur Hassan II qui, n’ignorant rien de la précarité de sa situation, se positionnait lui-même dans une logique d’affrontement. L’Algérie, portée par une révolution triomphante, « dans le sens de l’histoire » croyait-on à l’époque, ne voyait la construction de son identité nationale naissante qu’aux détriments du « vieux » Royaume voisin. La guerre des sables de 1963 n’est que la face la plus visible d’une guerre de l’ombre sans merci.

Mais la menace était aussi intérieure. Au sein de l’armée qui s’exprimera par deux fois par les armes, en 1971 et en 1972. Et au sein des forces politiques qui lui disputaient le pouvoir, voire la légitimité. Même le très royaliste et loyaliste Allal El Fassi, inspiré par le modèle tunisien, a rêvé un instant d’un roi inaugurant les chrysanthèmes. Un bras de fer, avec son lot de répression et d’émeutes, d’emprisonnements politiques et de disparitions forcées, de méfiance et de défiance qui durera jusqu’au début des années quatre-vingt-dix. L’adoption de la constitution de 1996, pour la première fois par la totalité des partis, à l’exclusion insignifiante de l’OADP de Bensaïd Aït Idder, devait signifier la fin de cette époque d’affrontement alternant le frontal et le fleuret moucheté. La réalisation dans son sillage, en 1998, de l’alternance  consensuelle, devait de son coté achever ce processus et entamer la normalisation des rapports entre d’une part les partis et, de l’autre, le pouvoir et ses ramifications. Dix huit ans après le décès de Hassan II, on peut dire que la normalisation a creusé son sillon, mais aussi que les vieux réflexes ont la peau dure.